Pauvre Bitos - Anouilh - Harcourt © Bernard Richebé
© Bernard Richebé

Pauvre Bitos, déjeuner de têtes coupées à la sauce Harcourt

C'est l'un des grands mythes de l’histoire du théâtre. Créée en 1956, remontée en 1967 avec Michel Bouquet, dans le rôle-titre, cette comédie grinçante signée Anouilh revient enfin sur le devant de la scène.

De prime abord, ce qui saisit dans cette version de Pauvre Bitos, c’est la beauté esthétique de la mise en scène de Thierry Harcourt. Il y a quelque chose de grandiose dans ce prieuré à l’abandon qui fait songer à un théâtre vide. La scénographie, qui s’appuie sur les décors de Jean-Michel Adam, les lumières de Laurent Béal et les costumes de David Belugou, donne à ce spectacle la magnificence d’antan, quand l’économie permettait le faste. Dans ce bel écrin, le texte de Anouilh, dramaturge majeur du XXe siècle, retrouve sa place.

Pauvre Bitos - Anouilh - Harcourt © Bernard Richebé
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La pièce avait fait scandale à sa création. Évoquer l’épuration, dix ans après la fin de la guerre, n’était pas une chose aisée. Si l’on ajoute à cela qu’Anouilh était de droite et que, dans les années 1950, il valait mieux être de gauche, on comprend pourquoi la critique a grincé des dents et une partie de l’intelligentsia lui est tombé dessus. Le public, lui, a répondu présent. Ce fut un grand succès. Sept décennies plus tard, cette nouvelle production semble bien partie pour prendre le même chemin.

Bien qu’on ait changé de siècle, que la société a connu bien des mutations, l’âme humaine a gardé ses travers, surtout lorsqu’il est question du pouvoir, des classes sociales, de rancunes et de vengeance. Même si le texte a été resserré — très beau travail de Maxime d’Aboville et d’Adrien Melin avec l’accord de la famille Anouilh — et que des personnages ont disparu, on entend très bien les propos de l’auteur, qui gardent tout leurs sens.

L’action se passe dans les années 1950, dans une ville ennuyeuse de Province. Maxime de Jaucourt, nobliau et snobinard, a une dent contre son camarade d’école, André Bitos. Les raisons sont nombreuses. Il était boursier, donc pas à sa place dans ce collège d’élite. Avec sa tête de premier de la classe, il raflait tous les premiers prix. Le brillant élève, devenu un intransigeant substitut du procureur de la République, revient au pays. Maxime veut démontrer que Bitos est loin d’être aussi intègre qu’il le prétend, et entend bien lui faire avouer ce qu’il pense vraiment de l’ordre public.

Pauvre Bitos - Anouilh - Harcourt © Bernard Richebé
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Maxime organise alors un dîner de têtes. Le thème : la Révolution française. Quand on sait que les têtes y étaient tranchées, l’idée est assez amusante ! On sort, juste de l’épuration, où bien des têtes sont tombées. Maxime s’est fait la tête de Saint-Just. Ses autres invités celles de Danton, Mirabeau, Marie-Antoinette, Camille et Lucile Desmoulins. Quant à Bitos, il arrive en Robespierre, car on ne lui avait pas dit la règle. Rien n’a été laissé au hasard dans ces choix. Le massacre peut commencer. Le jeu de miroirs entre les deux époques est des plus savoureux. Tribun du peuple, ce Pauvre Bitos sera broyé. À part Victoire et l’instituteur Deschamps, les autres n’en sortiront pas indemnes non plus.

Le théâtre de Anouilh, très écrit, est au service de ceux qui le font vibrer, c’est-à-dire les comédiens. Harcourt est un directeur d’acteurs formidable. Sous sa baguette, Adrien Melin (Maxime/Saint-Just), Francis Lombrail (Vulturne/Mirabeau), Étienne Ménard (Julien/Danton), Adel Djemai (Deschamps/Camille Desmoulin) Adina Cartianu (Lila/Marie-Antoinette), Sybille Montagne (Victoire/Lucille Desmoulin) sont formidables.

On attendait avec impatience Maxime d’Aboville dans le rôle de Bitos. D’abord parce qu’il a été l’élève de Bouquet, à qui il a rendu un magnifique hommage avec son spectacle, Je ne suis pas Michel Bouquet, et qu’il est aussi un fin connaisseur de la Révolution française. Mais surtout parce qu’il est un artiste remarquable et que sa palette de jeu est admirable. Sec, nerveux, jouant de sa petite taille et de sa voix, le comédien offre à Bitos bien des nuances, montrant ainsi toute la complexité d’un homme que personne n’a jamais aimé et accepté. Bravo !


Pauvre Bitos – Le dîner de tête, de Jean Anouilh en collaboration avec Nicole Anouilh.
Théâtre Hébertot
78, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Jusqu’au 5 mai 2024
Durée 1h30.

Mise en scène de Thierry Harcourt assisté de Clara Huet
Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Étienne Ménard, Adina Cartianu en alternance avec Clara Huet, Sybille Montagne
Décors de Jean-Michel Adam
Lumières de Laurent Béal
Costumes de David Belugou
Musiques de Tazio Caput
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1 Comment

  1. J’adore votre critique de  » Pauvre Bitos », c’est clair, incisif, et ça donne envie. C’est merveilleux de vous lire. Merci de votre soutien engagé et enthousiaste pour le Théâtre. Béatrice Agenin

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