Rapunzel, Mélissa Guex © Pierre Planchenault
Rapunzel de Mélissa Guex © Pierre Planchenault

Trente Trente raisons d’aller au spectacle

Pour sa 21e édition, le festival bordelais des formes courtes offrait un condensé de haute volée de la création contemporaine.

Pas facile d’être alien au théâtre, où tout est par essence trop humain. Pas facile non plus d’y faire peur. Mais voilà que Mélissa Guex, recouverte d’argile blanche du nez jusqu’aux cheveux, la bouche barbouillée de rouge qui lui donne l’air d’avoir arraché un foie à pleines dents, fait les deux à la fois. Un peu inhumaine, un peu effrayante. L’image dans laquelle on découvre cette figure à la Vivienne Westwood, échouée dans son dispositif circulaire, avec un peu d’eau au sol et un rideau à franges au-dessus, est déjà poétique. Rapunxel, présentée pour sa première française à Bordeaux, au Glob théâtre, dans le cadre du festival Trente Trente, enlève une pierre de plus à l’édifice attaqué par nombre d’autres artistes contemporaines. Celui des représentations canoniques de la féminité, cette iconographie codifiée et souvent corsetée dont l’époque ne veut plus.

Rapunzel, Mélissa Guex © Pierre Planchenault
Rapunzel de Mélissa Guex © Pierre Planchenault

Comme son visage, Mélissa Guex se partage en deux. Elle est la statue et la sirène, la princesse et le monstre, la belle et la bête. Si cette performance chorégraphiée marie les contraires, elle ne se contente pas de les juxtaposer, mais de compenser chaque force par son inverse. La première partie du spectacle déroule un enchaînement dysfonctionnel de poses, catalogue de postures d’une lady souriante et fanée. Mais cette étude préliminaire de la stase renforce le mouvement qui vient, ces roulements hypnotiques de muse contemporaine qui suivent d’autant plus fluides et kinétiques qu’ils succèdent à ces séquences de figé. Et ainsi de suite : des clignotements de stroboscope pour autant de de lumière continue, de l’eau pour autant d’argile sèche.

L’expérience est très formelle, finalement pas si discursive, mais elle réaffirme cet adage, beauty is terror, et le retourne théâtralement : sur scène, la terreur est une beauté. Nous n’avions pas vu de solo de danse aussi riche de personnalité depuis Clashes Licking de Catol Teixeira à Avignon cet été. Laquelle partageait avec sa compatriote suisse une excroissance : des sabots en bas des jambes. Un geste aussi affirmé tombe toujours comme une évidence, pourtant il faut la place pour pouvoir le poser : en cela, le festival dirigé par Jean-Luc Terrade constitue un écrin précieux.

Dark Horse, Meytal Blanaru © Pierre Planchenault
Dark Horse de Meytal Blanaru © Pierre Planchenault

Ce soir-là, à Trente Trente, il y avait deux autres performances, de quoi nous consoler d’avoir raté d’autres pièces comme Sadboi de Panos Malactos ou The Very Last Southern White Rhino de Gaston Core. La première voyait la fascinante chorégraphe israélienne Meytal Blanaru se confronter tour à tour aux deux faces d’un public assis en bifrontal dans une danse précise, minimale et hypnotique, mais pas sans avoir laissé les deux camps de spectateurs se toiser pendant quelques minutes dans le blanc des yeux.

La seconde, en clôture de soirée, mettait ensemble, sur scène, le danseur Eric Fessenmeyer de la compagnie La Cavale et le saxophoniste Yohan Dumas dans un Intervalle portant leur nom. Le premier laissait danser ses jambes pendant que le buste résistait, s’adaptait et cherchait l’équilibre, avant de déplacer les lignes de forces dans le haut du corps. Avec lui, le second soufflait dans son saxophone des sons graves, en-deçà de la musique, faisant corps à la fois avec l’instrument et avec son partenaire, formant un beau duo d’hommes.

Planait sur les deux pièces une tension qui a tout à voir avec l’extrême sensibilité du travail à l’œuvre ; une sensibilité qui, malgré les formats fugaces inhérents à ce festival de formes courtes, a tout à voir avec une certaine concentration, avec le sentiment d’un temps consacré. Et voilà qu’au milieu des remaniements ministériels et des questionnements grandissants sur la survie des structures, Trente Trente montre des formes exigeantes mais dont la précision et la finesse donnent tous son sens à cette chose étrange qu’est la recherche esthétique.


Trente Trente – 21e rencontres de la forme courte dans le spectacle vivant
Bordeaux métropole/Boulazac
Du 16 janvier au 2 février 2024

Rapunzel de Mélissa Guex
Concept, chorégraphie, interprétation : Mélissa Guex
Création sonore : Charlotte Vuissoz 
Création lumière : Justine Bouillet 
Scénographie et costume : Lucie Meyer 
Administration, production et diffusion : Milena Pellegrini 
Accompagnement dramaturgique : Selina Beghetto

Dark Horse de Meytal Blanaru
Conception et interprétation : Meytal Blanaru

Intervalle Fessenmeyer/Dumas de La Cavale
Conception et chorégraphie : Éric Fessenmeyer
Interprètes, collaborateurs artistiques : Eric Fessenmeyer (danseur) / Yohan Dumas (saxophoniste)
Regards complices : Julie Coutant, Camilo Sarasa Molina et autres invités 
Conception scénographique : Ronan Virondaud // Archicombi
Lumières et scénographie : Josué Fillonneau


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