© Michel Cavalca

François Hien, élément perturbateur de l’Éducation nationale

L'auteur et metteur en scène lyonnais, en collaboration avec Sigolène Pétey, signe la première création 2024 du TNP à Villeurbanne.

Avec un titre qui laisse peu de place à l’interprétation, Éducation nationale n’aurait pas pu trouver meilleur écrin que le Théâtre National Populaire. Pour cette première création 2024, les deux metteurs en scène proposent une pièce plus politique que théâtrale, sur un sujet bien vaste qui peut difficilement s’affranchir du réel.

© Michel Cavalca

“Les questions sont les mêmes qu’à l’époque où j’enseignais, ça n’a pas changé”. La citation ne vient pas du texte de la pièce, mais d’une professeure retraitée qui lit la feuille de salle juste avant la représentation. Dans l’entretien avec Sabine Collardey qui y est retranscrit, la dramaturge et comédienne relate les sujets soulevés par Éducation nationale : “Qu’est-ce qu’enseigner ? Pourquoi, c’est parfois si difficile ? Pourquoi est-ce qu’on y croit quand même ?”.

Pour tenter d’y répondre, François Hien s’engage dans sa pièce comme dans un documentaire. Il ne sera pas question ici de faire spectacle, mais bien de proposer une photographie à l’instant T – à l’image de la photo de classe jaunie qui illustre l’affiche de la création – de ce qu’est l’Éducation nationale. En quête d’une approche réaliste, la mise en scène qu’il partage avec Sigolène Pétey propose une immersion dans le quotidien du lycée Jean Zay, établissement imaginaire dans la banlieue d’une grande ville tout aussi imaginaire. Pourtant, rien ne semble se jouer hors du domaine du réel. Les heures de cours, les réunions syndicales, les conseils de classe et de discipline, les confrontations avec la hiérarchie et les institutions… Tout y est représenté sans fiction, s’autorisant à peine quelques conventions théâtrales. Même les rôles des élèves, éléments essentiels dans le traitement de cette thématique, sont confiés à des lycéens venus chaque soir – ou presque – d’un établissement différent.

© Michel Cavalca

Malgré une distribution nettement inégale qui perturbe la lecture d’une pièce qui se veut réaliste, le propos de François Hien semble toucher juste un public qui – ne nous le cachons pas – est déjà acquis à sa cause avant même le début de la représentation. Par affinités politiques ou par satisfaction de voir son enfant sur scène, les spectateurs sont particulièrement investis dans ce spectacle, bien qu’il soit délicat de distinguer ce qui tient de la création artistique et ce qui a trait au contexte lui-même. Toujours est-il que la forme semble être précisément à sa place dans l’antre du théâtre populaire, d’autant qu’elle a le mérite de se concentrer pleinement sur un sujet qui n’en finit pas d’être urgent.

Au travers des nombreux personnages qui habitent sa pièce, François Hien prend le parti d’une parole aux sens multiples. En dépit de la difficulté de rendre audible cette multitude de voix, il parvient à dresser un tableau lisible et pertinent – moyennant quelques rares tournures encore trop littéraires –, et ouvre par ce biais une salve de questions laissées sans réponse. Car si Éducation nationale finit bel et bien par ressembler à un manifeste, c’est dans le sens du constat d’une institution à bout de souffle depuis trop longtemps. Derrière ses apparences sociales, sociétales et politiques, le texte pose une problématique de fond : l’Éducation nationale a-t-elle pour objectif d’instruire ou d’éduquer ? Le sujet est presque philosophique et les éléments de réponse apportés au plateau tiennent autant de la théorie que de la démonstration.

Et s’il est indéniable que cette création s’empare de son sujet et le traite dans sa globalité, l’absence quasi totale de théâtralité et la forme sommairement concrète ont de quoi questionner. Éducation nationale est un spectacle qui doit être vu et défendu, ne serait-ce que pour apporter une visibilité essentielle à “la réalité du terrain”. Il est par ailleurs parfaitement réussi et sait capter l’attention de son auditoire. Tout le travail engagé en ce sens est d’une qualité et d’une sincérité sans faille, notamment auprès des établissements scolaires impliqués. Reste que de l’expression “théâtre politique”, François Hien et Sigolène Pétey semblent n’avoir gardé que la seconde moitié, sans quoi ils signaient là une très belle réalisation artistique.


Éducation nationale de François Hien
Théâtre National Populaire – Villeurbanne
Du 9 au 19 janvier 2024
Durée 3h20 (entracte compris)

Les 1er et 2 février 2024 – Le Vellein – scènes de la CAPI
Le 9 février 2024 – Théâtre du Parc d’Andrézieux-Bouthéon
Le 15 février 2024 – 5C de Vaulx-en-Velin
Les 6 et 7 mars 2024 – Théâtre de Villefranche
Les 14 et 15 mars 2024 – Théâtre Théo Argence de Saint Priest

Mise en scène de Sigolène Pétey et François Hien, assistés d’Ophélie Ségala
Avec Anne de Boissy, Gilles Chabrier, Sabine Collardey, Clémentine Desgranges, Kathleen Dol, Géraldine Favre, Yann Lheureux, Lauryne Lopes de Pina
En alternance avec Ophélie Ségala, Martin Sève, Léa Sigismondi
Et chaque soir, une classe différente de lycéens de la métropole : lycées Pierre-Brossolette et Frédéric-Faÿs (Villeurbanne), Jean-Perrin (Lyon), Jean-Paul-Sartre (Bron), Marcel-Sembat (Vénissieux).
Dramaturgie de Sabine Collardey
Costumes et scénographie de Sigolène Pétey
Régie générale et lumières – Benoit Brégeault et Maxime Rousseau

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com