Cyrano de Bergerac, mise en scène d'Emmanuel Daumas © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Un Cyrano en quête de verve au Français

Salle Richelieu, Emmanuel Daumas se frotte avec plus au moins d’aisance au hit théâtral d’Edmond Rostand. Offrant à un Laurent Lafitte tout en ambiguïté le rôle-titre, il esquisse un drame romantique où la farce parodique l’emporte sur la tragédie des amours contrariées.

Attendu, trop peut-être, le tout nouveau Cyrano, tout beau, tout chaud de la Comédie-Française a fait ses premiers pas sous les ors de la Salle Richelieu en ce début décembre. Treize ans après la version de Denis Podalydès, où brillait un Michel Vuillermoz à la faconde fiévreuse dans le rôle-titre, c’est Emmanuel Daumas qui cette fois, s’y colle. Après les très réussis Dom Juan de Molière en 2022 et L’heureux Stratagème de Marivaux en 2018, le metteur en scène, à la demande de l’administrateur de la Comédie-Française, Éric Ruf, plonge dans l’univers gouailleur des cadets de Gascogne et dans celui plus précieux de la belle Roxane. Confronté à la difficulté d’aborder autrement l’une des pièces et les plus populaires du théâtre français, l’artiste marseillais tente un pas de côté en s’affranchissant des codes du genre pour lorgner du côté du « music-hall » des années 1950, façon Michael Powell et Émeric Pressburger ou, pour être plus chauvin, du côté des comédies musicales à la Jacques Demy. Mais voilà, malgré sa bonne foi et sa bonne volonté, l’œuvre de Rostand, dont l’on connait certaines tirades par cœur, résiste à un tel traitement. 

Cyrano de Bergerac, mise en scène d'Emmanuel Daumas © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

En ouvrant sur un Hôtel de Bourgogne, transformé en décor de cabaret – rideaux lâmés or, une estrade ronde de quelques marches, etc. – , Emmanuel Daumas nous éloigne d’un Paris où règnent les beaux esprits et Louis XIII pour nous entraîner dans un monde de paillettes et de pourpoints rose et bleu layette. Bien évidement à l’époque, les genres n’étaient pas aussi tranchés qu’aujourd’hui. Les hommes pouvaient porter rubans et autres fanfreluches pour être à la dernière mode sans que cela entache leur virilité. Mais ce décalage entre la vision collective d’un Cyrano tonitruant, très mâle, et celle plus ambivalent qu’incarne un Laurent Laffitte plus cabotin que fougueux, râpe aux entournures et ne convainc pas tout à fait. 

Certes, il a le costume des hâbleurs du siècle de Molière, les atours d’un gentilhomme désargenté, mais le verbe bien que haut n’a pas les belles tournures poétiques qu’on connait au personnage. C’est suspendu sur une tyrolienne qu’il entre en scène. Le torse bombé, Cyrano-Laffitte s’en prend à Montfleury (Nicolas Chupin), comédien médiocre aux costumes de paon ou de monstre préhistorique façon Jurassic Park, qu’il refuse de souffrir sur les planches d’un théâtre. C’est le début des empoignades verbales. Certaines se perdent dans un brouhaha, une brouée de mots – problème d’acoustique récurent de la salle – , d’autres touchent à la fin de l’envoi. Et c’est une bonne chose. 

Cyrano de Bergerac, mise en scène d'Emmanuel Daumas © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

De la tirade du nez, plutôt rondement menée, à la scène du balcon, en passant par les confidences de Roxane chez Raguenau, Emmanuel Daumas tente à sa manière de réinventer Cyrano en vain, malgré de vaillants efforts. Mais l’enjeu est peut-être trop grand – pièce de légende, lieu mythique, etc. – … c’est finalement le siège d’Arras qui emporte la mise. En plaçant les cadets de Gascogne dans un dortoir fait de lits superposés en métal, dépouillés de tout, même de matelas, le metteur en scène frappe fort et juste. Pas besoin d’effets, juste des présences fantomatiques, celles des soldats affamés, celle de Christian qui comprend enfin que Roxane, amoureuse de prime abord de son enveloppe corporelle, est totalement enfiévrée des mots de Cyrano, de Cyrano enfin qui ne peut croire qu’on l’aime malgré sa protubérance nasale. 

Alors oui, clairement, ce Cyrano n’a pas le panache attendu. Les pistes explorées par le metteur en scène ratent leur cible – notamment le fait que tous les rôles féminins, à l’exception de celui de Roxane (Jennifer Decker), soient joués par des hommes comme dans La Grande Illusion de Renoir – , plus par incompréhension et maladresse, que par erreur d’aiguillage. Il en va ainsi de la vie, de la mort de notre héros – trop longue pour émouvoir. La langue de Rostand garde une force universelle, ses saillies si célèbres continuent à enchanter les publics de tous âges. Et c’est déjà, à l’heure de la cancel culture, de la baisse de niveau en français au collège et au lycée, une belle gageure !  


Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand
 La Comédie-Française
Salle Richelieu
Place Collette
75001 Paris
jusqu’au 29 avril 2024 
Durée 2H45 environ avec entracte

Mise en scène d’Emmanuel Daumas
avec Laurent Stocker, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Yoann Gasiorowski, Birane Ba, Nicolas Chupin, Adrien Simion, Jordan Rezgui et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française – Pierre-Victor Cabrol, Alexis Debieuvre, Elrik Lepercq 
Dramaturgie de Laurent Muhleisen 
Scénographie de Chloé Lamford 
Costumes d’Alexia Crisp-Jones 
Lumières de Bruno Marsol 
Musiques originales et son de Joan Cambon 
Réglage des combats – Jérôme Westholm 
Collaboration artistique – Vincent Deslandres 
Assistanat aux costumes – Pauline Juille 

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