En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher

Prix impatience 2023 : un collectif belge met d’accord le jury et le public 

Au Festival impatience, le collectif belge réunissant Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro-Meyer remporte la mise avec En une nuit.

Le collectif : Nous nous sommes tou.te.s les quatre rencontré.e.s à l’E.S.A.C.T. (Ecole Supérieure d’acteur.rice.s de Liège) où nous nous sommes formé.es. Nous étions dans la même promotion et avons donc partagé 4 ans de formation ensemble, avec la particularité que dans cette école les différentes promotions sont mélangées. Nous n’avons donc pas travaillé ensemble pendant 4 ans mais nous nous sommes régulièrement rencontré.e.s sur des projets.

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher
© Elsa Seguier Faucher

Le collectif : En 2016, nous étions en dernier année à l’E.S.A.C.T., Eva a découvert les Ecrits corsaires et les Lettres luthériennes de Pasolini, qui sont deux essais qu’il a écrit dans les années 70. Le premier est une compilation d’articles qui ont été publié dans des journaux italiens, le second un petit traité pédagogique qu’il a rédigé moins d’un an avant de se faire assassiner. Eva nous a rassemblés tou.te.s les 4 en nous proposant de se pencher sur cet auteur et ces écrits, sans savoir encore que faire de cette matière. Ces écrits ont été notre porte d’entrée dans la pensée et l’œuvre de Pasolini. Nous y avons chacun.e perçu des choses différentes mais avons tou.te.s ressenti une espèce de choc en lisant ces textes. Un choc de découvrir d’abord une critique de la société de consommation — dans laquelle nous vivons toujours, les analyses de Pasolini étant à la fois d’actualité et propres à un contexte historique qui nous avons par la suite étudié — faite par un poète. Cette critique n’est donc pas analytique mais sensible et ce qu’elle observe se situe sur le terrain de la vie quotidienne, de l’intime, des habitus. Ces textes nous ont donc éclairé.e.s sur notre présent et sur nos modes de vie actuels. Mais il y a également une seconde chose qui nous a impacté tou.te.s les quatre, c’est que Pasolini évoque l’existence d’autres façons de vivre, d’être au monde, qu’il voit se faire détruire par la société de consommation. Étant né.e.s 10 ou 20 ans après ces textes, nous n’avons rien connu d’autre qu’un système capitaliste néolibéral et néocolonial, autrement dit un système qui s’impose comme unique horizon et qui produit des violences sociales et économiques, détruit la planète et mène une guerre permanente aux altérités. Cette organisation du monde nous mène droit dans le mur. Aussi, le fait de savoir qu’il y a à peine 50 ans, en Europe, il existait encore d’autres rapports au monde nous a paradoxalement fait naître une possibilité de changement. Pasolini nous parle d’une destruction anthropologique en Italie mais en témoignant de ce phénomène, il sauve pour l’Histoire ces autres façons de vivre qui ont précédé la société de consommation et défait ainsi l’inéluctabilité dont le capitalisme se dote. Voilà, c’est ce double-mouvement qui est la genèse de ce projet : à la fois comprendre un phénomène violent qui transforme l’existence même des gens et à la fois fantasmer d’autres états du monde qui existaient il y a encore pas si longtemps. 

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher
© Elsa Seguier Faucher

Le collectif : C’est difficile de répondre à cette question car sa représentation a évolué au fur et à mesure de notre travail et elle continue d’être mouvante. Le monde est en mouvement perpétuel, nos points de vue également. A coup sûr, c’est un être qui nous a mis au travail. Sa pensée, son art, sa pédagogie ont déplacé notre regard sur le monde qui nous entoure. C’est aussi un être contradictoire dont il est presqu’impossible de faire une synthèse. Mais son combat permanent contre un système qu’il hait profondément, avec comme arme principale la poésie le rend pour nous très inspirant. Il fait partie pour nous de ces auteur.rices, penseur.euses vers qui on se tourne quand on est pris d’un doute, d’autant plus parce que ses idées sont complexes, il n’a pas de réponse toute faite, le dialogue avec lui et son œuvre est forcément dialectique. 

Le collectif : Ce projet a été un long processus de recherche et de création. Nous avons choisi de prendre le temps d’étudier, de décortiquer, d’expérimenter. Il est important de dire qu’il ne suffit pas de choisir de prendre le temps, nous avons obtenu une bourse du FRArt (Fonds pour la recherche en art) qui nous a permis de chercher pendant un an. 
Au cours de cette année, nous avons fait plusieurs modules de recherches, sans injonction au résultat ni à la mise en connexion rapide de ces terrains d’expérimentation. Nous avons étudié la vie de Pasolini, plusieurs de ses œuvres (la liste est longue : films, pièces de théâtre, poésies, romans, essais, articles, correspondances, documentaires), le contexte historique dans lequel il a vécu, l’histoire de l’Italie du XXème siècle, et une série d’autres penseur.euses chez lesquel.les nous sentions des affinités électives avec la pensée pasolinienne. Nous nous sommes attardés sur les nombreux entretiens qu’il avait donnés, en cherchant à les théâtraliser, puis nous avons expérimenté le principe des appunti. Les appunti (notes pour) est une forme que Pasolini a beaucoup utilisée : le principe est de ne pas réaliser un film ou d’écrire un roman, mais de faire des notes pour un film, des notes pour un roman etc. L’accumulation des idées, des contradictions, des potentialités, des réflexions annexes, en bref le processus de création fait œuvre plutôt qu’un produit fini. La découverte formelle des « notes » a particulièrement fait écho à notre démarche et à notre groupe composé de 4 individualités qui partagent un socle commun de réflexions et de désirs mais qui se distinguent de par leur approche singulière et leur sensibilité particulière. Nous y avons vu la possibilité de faire co-exister dans une même forme nos quatre personnalités. Et enfin nous avons cherché à reconvoquer, par les moyens du théâtre, des mondes disparus (ces mondes périphériques, sous-prolétaires, paysans, que Pasolini n’a cessé de mettre en lumière et dont il a déploré la disparition). 
Au bout de cette année de recherche, nous avons décidé de faire un spectacle avec ces matières accumulées qui n’avaient pas encore pris forme ensemble. C’est la deuxième phase qui a commencé : la création d’un spectacle. Nous avons travaillé en écriture de plateau, par improvisations, mais aussi à des écritures à la table.
Dès l’année de recherche, nous nous sommes entouré.e.s de collaborateur.rices qui nous ont suivi dans ce projet : Elsa Seguier-Faucher qui a créé la scénographie, les costumes et a apporté un regard esthétique, Orell Pernot-Borras qui nous a regardé, mis au travail et pris en charge énormément de choses, Caspar Langhoff et Lila Ramos-Fernandez qui ont créé la lumière. Nous avons ensemble formé un grand collectif. 

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher
© Elsa Seguier Faucher

Le collectif : Ça nous fait très plaisir évidemment et ça nous touche énormément. Ce projet a été un travail de longue haleine, on a traversé des périodes de doutes et d’errances mais on a continué parce que l’apprentissage qu’on faisait valait le coup. C’est donc touchant de sentir que ce spectacle parle à des gens, qu’iels voyagent avec nous à travers ces notes qu’on leur propose. Et puis c’est la possibilité de raconter encore cette histoire, de jouer encore ce spectacle. 

Le collectif : La suite de l’aventure, c’est la possibilité de tourner ce spectacle en France la saison prochaine, et donc de continuer de le travailler. C’est un spectacle qui nous laisse intranquilles depuis le début, que nous n’avons pas cessé de modifier, réécrire par petites touches, affiner au fil des représentations. Même si nous arrivons maintenant à une forme quasi-finale qui nous satisfait, il y a toujours des petits détails à requestionner, des sincérités nouvelles à trouver. Rester en chemin de travail, c’est ce qui nous permet de rester vivant.e.s et en dialogue avec la matière.


En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro-Meyer d’après l’oeuvre de Pier Paolo Pasolini
présenté en novembre au Théâtre Sorano dans le cadre du Festival Supernova #8 puis aux Plateaux Sauvages dans le cadre du Festival Impatience

mise en scène et interprétation – Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro
co-mise en scène et assistanat – Orell Pernot-Borràs
scénographie et création costumes d’Elsa Séguier-Faucher
création lumières de Caspar Langhoff
régie lumière – Lila Ramos Fernandez
assistanat à la mise en scène – Antoine Herbulot
regard scénographique – Nicolas Mouzet-Tagawa

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro-Meyer d’après l’oeuvre de Pier Paolo Pasolini © DR
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