En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher

Supernova #8, Toulouse à l’heure de la jeune création 

Sous l’impulsion du Théâtre Sorano, dirigé par Sébastien Bournac, la ville rose fait la part aux jeunes artistes et aux nouvelles formes scéniques.

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher

Sous l’impulsion du Théâtre Sorano, dirigé par Sébastien Bournac, la ville rose fait la part belle trois semaines durant aux jeunes artistes et aux nouvelles formes scéniques. Au programme de cette huitième édition du festival Supernova, des lectures, des maquettes, des créations et beaucoup de découvertes ! 

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher

Sous un pâle soleil d’automne, Toulouse s’anime lentement en ce week-end de la mi-novembre. Depuis un peu plus d’une semaine, les théâtres de la ville vibrent au rythme du festival Supernova créé en 2016 par Sébastien Bournac. Après La Nuit se lève de Mélissa Zehner de la Cie Les palpitantes, qui a ouvert les festivités le 8 novembre dernier, la programmation à venir, riche de créations et de rencontres avec de jeunes compagnies a clairement trouvé son public. Les salles sont pleines. Les festivaliers sont au rendez-vous.

Devant le ThéâtredelaCité, un petit groupe de spectateurs, composés de professionnels et de quelques passionnés, attendent patiemment l’ouverture des portes. Tous sont venus assister aux lectures par les comédiens étudiants de l’AtelierCité de trois textes lauréats de l’aide à la création d’Artcena, Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Pour cette nouvelle édition des Inédits, le choix s’est porté sur Sit Jikaer (ou la peine perdue) de Grégoire VauquoisLes Essentielles de Faustine Noguès et Souterrain de Raphael Bocobza. Un moment convivial, une mise en bouche prometteuse pour cette journée marathon. 

Trois petits cochons, les monstres courent toujours de Marion Pellissier © DR
Trois petits cochons, les monstres courent toujours de Marion Pellissier © DR

En entrée de ce menu éclectique, le festival propose de découvrir au théâtre du Pont Neuf une étape de création, celle de Marion Pellissier et de sa revisite très personnelle du conte pour enfants, Les Trois Petits Cochons. Loin de l’image gentillette que le dessin animé de Walt Disney a gravé dans notre mémoire collective, la jeune metteuse en scène tire la fable vers le théâtre de genre, l’art gore. À travers une fratrie de trois enfants – deux sœurs et un frère – , les Cochon, elle questionne le rapport au danger, ainsi que le lien qui les unit au sein d’une famille dont l’équilibre ne tient qu’à l’amour d’une mère. 

Ici pas de méchants loups, mais un père un brin tyrannique et un vrai monstre (excellent Julien Derivaz), un homme prêt à tout, un vampire. S’amusant des codes qu’ils soient scéniques ou cinématographiques, les détournant juste ce qu’il faut pour donner à la pièce un décalé, Marion Pellissier signe un spectacle prometteur. Et sa troupe de comédiens n’est pas en reste pour nous mettre l’eau à la bouche. 

Travol’Time d'Adeline Fontaine et Alexis Ballesteros © DR
© DR

Un peu plus tard, au théâtre Jules Julien, la chorégraphe Adeline Fontaine et le comédien Alexis Ballesteros se servent de la figure disco de John Travolta pour nous inviter au cœur d’un monde agricole entre authenticité, poésie et un brin France profonde. Avec humour, les deux artistes tentent de revenir sur les terres de leur enfance, d’apporter un autre regard sur la vie à la ferme, et de s’inventer un avenir façon succès story invraisemblable. 

L’idée de tisser des liens entre les tubes chantés par Travolta réécrit à la sauce paysanne et les vraies activités en monde rural, de confronter leurs rêves à la réalité, est, sur le papier, en tout cas, assez alléchante. Malheureusement, le passage au plateau est une autre affaire. Mise en scène poussive, surjeux, gags appuyés et bons mots aux forceps donnent au spectacle un goût d’inachevé. Dommage, les deux artistes ont clairement du potentiel. On leur souhaite de trouver leur chemin scénique. 

Heimweh / Mal du pays de Gabriel Sparti  © DR
Heimweh / Mal du pays de Gabriel Sparti © DR

Au théâtre Garonne on passe au plat de résistance. Avec un humour ravageur, limite glaçant, Gabriel Sparti, artiste suisse ayant étudié en Belgique avant d’y installer sa jeune compagnie, fait le portrait au vitriol de son pays natal. Scénographie utra-simple, une table et quatre chaises, il joue sur le vide et les silences, pour tailler un short au légendaire flegme de nos amis helvétiques. D’une immense fourchette plantée dans un lac trop calme à une gentillesse qui confine à la bêtise, il utilise avec ingéniosité les travers de ses concitoyens, en surligne l’absurdité, et use jusqu’à la corde un humour de crispation des plus jubilatoires. 

Porté par un quatuor d’acteurs aux jeux délicieusement savoureux et décalés – Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs – , Heimweh / Mal du pays se déguste avec un malin plaisir. Tout juste crée, le spectacle demande à se patiner, à se resserrer, mais c’est déjà un premier jet fort détonnant. Menant sa troupe tambour battant, Gabriel Sparti fait une entrée remarquée sur la scène française. 

En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher
En une nuit de Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer © Elsa Seguier Faucher

À l’heure du diner, le collectif belge réunissant Ferdinand DespySimon HardouinJustine Lequette et Eva Zingaro Meyer propose une immersion apnéique dans la tête du cinéaste italien. Tels des médecins légistes de l’âme, ils se rapprochent au plus près du corps violenté, tabassé à mort et écrasé par sa propre voiture de Pier Paolo Pasolini, pour mieux en comprendre l’idéologie et le courant de pensée. D’une des plus proches amies de l’artiste à une galerie de personnages hauts en couleur allant de la dernière journaliste qui l’a interviewé à Pasolini lui-même, les quatre jeunes comédiens transforment le plateau du Théâtre Sorano en terrain de répétition. Invitant le public à assister au processus créatif de leur prochain spectacle, ils jouent avec les codes du théâtre pour mieux le mettre en abyme, et ainsi insuffler un second degré salvateur à cette tragédie humaine. 

Contrairement à ce qu’ils essayent de faire croire, leur travail est particulièrement abouti. En recréant la plage d’Ostie où est mort le cinéaste, dont l’on voit par moment la silhouette spectrale couchée au sol, ils dépassent la simple reconstitution pour confronter l’héritage intellectuel et les combats de Pasolini à l’aune des enjeux et des défis sociaux et politiques de notre temps. Inachevé volontairement, toujours en mouvement, mais particulièrement ciselé, En une nuit est un spectacle d’une redoutable efficacité. Donnant vie à l’œuvre du cinéaste tout en leur apportant leur propre regard, les quatre comédiens nous embarquent dans une sorte de road-movie immobile qui tient en haleine le public 1h40 durant. Sélectionné pour participer au Festival Impatience 2023, ce quatuor belge est clairement à suivre. Ils seront aux Plateaux sauvages les 15 et 16 décembre, ne les rater pas !


Festival Supernova #8
Théâtre Sorano
35 allée Jules Guesde
31000 Toulouse

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