Merieme Menant - Emma la clown © Cathie Girma
© Cathie Girma

Merieme Menant au cœur palpitant d’Emma la clown

Il y a trente-deux ans surgissait Emma la clown. Depuis, elle délivre au gré de ses spectacles ses réflexions sur le monde tout en libérant de grands éclats de rire dans le public. Ce début décembre, à la Scala, la créatrice de ce formidable personnage, Merieme Menant, présente Le divan, La mort et Le vide.

Merieme Menant : Elle vient de très loin. Peut-être même d’avant ma vie. J’avais une grand-mère qui aimait rire énormément. Il y a un peu d’elle dans Emma la clown. Quand elle monte dans les aigus pour flatter la tenue d’un spectateur, cela vient de ma grand-mère paternelle.

Merieme Menant - Emma la clown © Wahib
Emma la clown © Wahib

Merieme Menant : J’ai eu mon premier choc théâtral à treize ans lorsque j’ai joué dans un spectacle au collège qui s’appelait Un cheval évanoui de Françoise Sagan. J’avais le rôle du jeune amoureux. Un provincial très maladroit, très timide, qui s’entiche d’une belle parisienne. On a travaillé toute l’année sur le spectacle et, à la fin des cours, nous l’avons joué devant toute la classe. Je portais le costume de mon grand-père qui était trop petit, car j’étais plus grande que lui, et la perruque de ma tante. Et j’ai fait rire ! Je ne m’y attendais pas du tout, d’autant que ce n’était pas prévu dans les répétitions. Cela m’a fait un choc énorme. C’est comme si toutes mes cellules étaient joyeuses en même temps. Je me suis dit, si c’est ça être vivant, c’est ça qui m’intéresse. Donc j’ai tout fait pour faire du théâtre, jusqu’à l’école Jacques Lecoq à vingt ans.

Merieme Menant : En première année, on passe d’abord les six premiers mois sans avoir le droit de parler. On fait les éléments, les matières. J’ai désappris tout ce que j’avais appris. Je me rappelle Lecoq me disait : « Vous faites du théâtre amateur ! Vous faites des grimaces… » Ensuite, on attaquait les personnages. On devait revenir des vacances de Pâques avec l’idée d’un personnage, celui que l’on voulait. Le mien s’appelait Agathe. J’avais une chemise bleu clair, une jupe plissée noire, des chaussettes Dim qui allaient jusqu’aux genoux, des chaussures plates et une raie bien au milieu. Il se trouve que ça allait être la chemise et la jupe d’Emma la clown. Je ne savais pas que je le garderais. En deuxième année, on a travaillé sur les clowns. J’ai laissé Agathe et je suis parti sur totalement autre chose. Après ma formation, je suis allée jouer dans le métro avec un copain américain. Il faisait du ukulélé. Comme je faisais de la percussion, il m’a proposé d’acheter un xylophone portatif. On s’est retrouvés dans le métro. En une journée, le xylophone était remboursé ! Et comme on n’était pas de super musiciens, on s’était habillé en clowns. Ce n’était pas encore le costume d’Emma, mais c’était le début.

Merieme Menant : Il était en deuxième année quand j’étais en première à l’école Lecoq. Je l’avais repéré, il avait un côté Buster Keaton. Il est devenu mon chéri ! On a un peu continué le métro puis on a décidé de monter un duo. Et le costume d’Emma la clown est revenu, je ne sais pas comment. En tout cas la chemise et la jupe. Les chaussures, je les avais depuis mes seize ans. Les chaussettes venaient des Emmaüs de Brive-la-Gaillarde. La cravate, Perestroïka, je l’ai trouvé aux puces. C’est tout un assemblage.

Merieme Menant : Elle est vachement usée ! À chaque fois que je la ressors, il y a des petits-fils en moins. On ne voit plus que Pe… K et un tout petit peu l’étoile rouge !

Merieme Menant - Emma la clown © Pascal Gely
Emma sous le divan © Nicolas Gallon

Merieme Menant : Totalement par hasard ! Je n’ai jamais été scout de ma vie ! Il part de loin, ce personnage. Pendant quatre ans nous avons formé le duo. J’incarnais l’Auguste, l’assistante en tout — et pas que sur la scène ! On s’est séparés et je suis passée en solo. Emma la clown, c’est toute ma vie. Cela fait trente-deux ans de ma vie que je partage avec elle. Et quand je repense à ma passion que j’avais du théâtre à dix-sept ans, je ne m’imaginais pas, alors, que ce serait si bien, ni que ce serait aussi difficile.

Merieme Menant : Dans Le vide, je parle de ça justement. « Il y a en a qui disent que je parle trop, normalement ça fait du mime, du jonglage…  J’y peux rien, j’ai un flux et il faut que ça sorte… »

Merieme Menant : Parce que cela m’intéresse, et autant faire des choses qui m’intéressent ! Comme ça, je m’ennuie moins. Le monde, les humains, la complexité humaine, la tragédie, la solitude, la souffrance humaine, la recherche, la science, la nature, tout cela m’intéresse. C’est être vivante ! Chaque spectacle me fait avancer dans ma vie. Et fait aussi avancer Emma dans sa palette de jeu et de réflexion. C’est tellement passionnant, la vie, le monde. Mais pas l’actualité, cela ne m’intéresse pas beaucoup. Je peux faire de temps en temps une blague sur un sujet, comme à l’époque où Bachelot était ministre de la Culture.

Merieme Menant : Parce que chacun de ses spectacles a un fil et donc on ne peut pas faire des extraits. Il y a une évolution. Je ne peux pas faire un patchwork de choses qui ont un début, un milieu et une fin.

Merieme Menant - Emma la clown © Pascal Gely
Emma mort, même pas peur © Pascal Gely

Merieme Menant : Ce que j’aime dans les trois spectacles, c’est l’évolution. Emma part d’un préambule de départ, une souffrance, une envie de mourir, une fanfaronnade. Qu’est-ce qu’elle va traverser pour arriver à la fin où elle ne sera pas la même. Comme dans la vie, quoi ! Et donc une trilogie, parce qu’une quadrilogie, c’est moche. La trilogie, c’est rond. Deux, ce n’était pas assez. La trilogie, c’est, peut-être, un peu comme La Trinité. Le père, c’est Le divan, le fils, La mort et le Saint-Esprit, Le vide ! À cause du covid, je n’ai pas pu fêter les trente ans, c’est pour ça que je le fais cette année. C’est un petit marathon !

Merieme Menant : Le divan, c’est la souffrance humaine, la névrose. Je commence en disant : « J’ai envie de mourir ! » Un jour, en 2002, j’étais épuisée, j’en avais un peu ras-le-bol et je me suis dit : « J’ai envie de mourir, de disparaître, de devenir intouchable, inodorante, invivante ! » Et là je me redresse, en me disant : « Mais c’est pas mal ça ! » J’ai noté et c’est devenu le début du Divan. On ne sait pas comment les choses arrivent, c’est ça qui est magnifique ! L’univers me fait des cadeaux tout le temps en fait ! À l’époque je faisais encore ma psychothérapie, à la suite d’un accident de voiture que j’ai eu en 1998, avec une femme formidable. On ne sait pas ce qui s’entremêle dans l’esprit ! En tout cas le sujet, je l’ai parcouru personnellement.

Merieme Menant : Quand j’ai créé Le Divan, j’étais toute seule dans la salle de répétition et je me suis demandé ce que j’allais faire après. Et comme un flash, la mort est venue en idée. Puis, en 2008, j’ai réfléchi, je me suis demandé ce que j’allais dire et il m’a semblé que Dieu était un meilleur sujet. Et j’ai fait Dieu est-elle une particule ?, un spectacle sur la science. Ma metteuse en scène norvégienne, Kristin Hestad, m’a offert à la fin de cette création un livre d’Élisabeth Kübler-Ross, Mémoire de vie, mémoire d’éternité. Cette doctoresse suisse, qui a émigré dans les années 1950 aux États-Unis, est la première à faire parler les mourants, les gens en fin de vie. À l’époque, elle a été traitée de charognard, parce que cela ne se faisait pas ! J’ai lu le livre et je me suis dit que j’allais faire un spectacle là-dessus. Je me suis beaucoup documentée. Je n’ai pas pratiqué la mort parce que je ne suis pas certaine que j’en serais revenue ! Mais, je suis allée à Bénarès, en Inde, où j’ai vu les rituels funéraires sur les bûchers.
Et puis, j’ai fait ce spectacle, Emma Mort, que j’aime énormément parce que je trouve qu’il y a beaucoup d’amour. Il se passe quelque chose avec les spectateurs qu’il n’y a pas dans les autres. Les gens se marrent d’un rire libérateur, un rire qui leur fait du bien. Mais c’est le spectacle qui remplit le moins ! La peur de la mort ? C’est Jean-Michel Ribes qui m’a fait rajouter le « même pas peur », pourtant « Emma mort » c’était un beau titre !

Merieme Menant - Emma la clown © Pascal Gely
Qui demeure dans ce lieu vide ? © Pascal Gely

Merieme Menant : Quand je pense que j’avais ce livre dans ma bibliothèque depuis des années et que je l’ai lu que récemment. Pourquoi ? Effectivement concernant l’espace vide, il l’est, puisque je n’utilise que le plateau et une chaise, c’est tout.

Merieme Menant : Je voulais parler de physique quantique ! Heureusement je ne l’ai pas fait ! Je me suis souvenu de la phrase que Jacques Lecoq m’a donnée à la fin de mon cursus. « La commande » est un exercice, destiné à présenter, en sortie d’école, un petit spectacle de quinze minutes autour de cette phrase. Il m’avait donné celle-ci, Qui demeure dans ce lieu vide ? Je n’avais pas bien compris pourquoi il me donnait ça. J’ai fait un truc moyen. Puis, au fil du temps, je me suis rendu compte que je tentais de répondre à cette question à chacun de mes spectacles. Alors, j’ai décidé que pour les trente ans d’Emma, j’allais essayer d’y répondre vraiment.
Au final, c’est ce que l’on est à l’intérieur de nous. Je convie les spectateurs à faire l’expérience du vide, être assis à ne rien faire et à entrer à l’intérieur. J’adore jouer ce spectacle, parce que je ne fais rien et que je reste dans le silence ! Ce qui est beaucoup plus difficile que de sortir une tirade. Au final, Emma trouve quelque chose. Dans ce spectacle, j’aborde des choses qui me touchent beaucoup.

Pendant le confinement, les théâtres étaient fermés. Ce qui m’a permis d’approcher des thèmes que je n’aurais pas explorés sans cela. J’ai abordé mon amour du théâtre. C’est un endroit unique où il se passe des choses qui ne passent nulle part ailleurs. Si vous venez au théâtre, c’est pour chercher un truc que vous ne trouvez pas dans la rue, en famille, chez le psy… Dans le spectacle, je parle du théâtre, de la servante, des fantômes du théâtre, de Molière, de la lumière. Je fais également intervenir mes techniciens, parce que j’évoque aussi de ce monde-là. On revient à Brook, même si je n’y avais pas pensé au départ !

Merieme Menant : Si on me le propose, oui, bien sûr. L’intérêt est que cela permet aux spectateurs de voir l’évolution d’un personnage, d’une artiste. Que s’est-il passé entre chaque dix ans qui séparent chaque spectacle ? Je commence avec un spectacle où je fais tout et je termine par un où je ne fais rien ! Alors oui, si des théâtres m’invitent à faire la trilogie, j’adorerai. Pourquoi pas le In ! Qu’est-ce que j’aimerais jouer ce marathon à Avignon ! Il n’y a jamais eu de spectacle de clown au festival !


Emma la clown, la trilogie : Le Divan, La Mort, Le Vide, de et par Meriem Menant.
Festival Off AvignonLa Scala Provence
3, rue Pourquery de Boisserin
84000 Avignon.

Du 1er au 15 juillet 2024, à 14h05 sous le divan (durée 1h20), suivie à 16h05 d’Emma même pas peur (durée 1h10) et à 17h55 d’Emma – Qui demeure dans ce lieu vide (durée 1h05).

La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Du 6 au 8 décembre 2023.
Épisode 1, Emma sous le divan
Mercredi 6 décembre à 20h30
Durée 1h20.
Épisode 2, Emma Mort, même pas peur
Jeudi 7 décembre 20h30
Durée 1h10.
Épisode 3, Qui demeure dans ce lieu vide ?
Vendredi 8 décembre 20h30 – Durée 1h10.

De et avec Emma La Clown – Merieme Menant.
Lumières d’Emmanuelle Faure.
Son de Romain Beigneux-Crescent.
Plateau Yvan Bernardet.

© La Scala

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