La (nouvelle) ronde d'Yann Verburgh d'après l'œuvre de Schnitzler - Mise en scène de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage

La (nouvelle) Ronde de Johanny Bert cultive le hors champ

Invité de la Maison des Métallos en ce mois de décembre 2023, Johanny Bert présentait "La (nouvelle) Ronde", une de ses dernières créations.

La (nouvelle) ronde d'Yann Verburgh d'après l'œuvre de Schnitzler - Mise en scène de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage

Pour cette résidence à la Maison des Métallos, Johanny Bert reprend La (nouvelle) Ronde. Créé en 2022 au Théâtre de la Croix-Rousse, cette adaptation très libre de l’œuvre d’Arthur Schnitzler par Yann Verbugh a tout d’une fresque ambitieuse sur les pratiques amoureuses. Peut-être trop ambitieuse ?

© Christophe Raynaud de Lage

Combien pouvez-vous citer de personnages de théâtre expressément bisexuels ? Avez-vous le souvenir d’une pièce où des partenaires discutent sereinement de leur transidentité ? Connaissez-vous un personnage masculin qui puisse aborder dans une même scène son rapport à l’asexualité et le fétichisme racial dont il fait l’objet ? Les discours sur le pouvoir des représentations se limitent souvent au cinéma et aux séries. C’est à tort, car l’effet miroir du théâtre s’avère bien plus puissant puisqu’il se produit sans écran.

La (nouvelle) ronde d'Yann Verburgh d'après l'œuvre de Schnitzler - Mise en scène de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

De la pièce sulfureuse de l’auteur autrichien Arthur Schnitzler, écrite en 1897, censurée ensuite, cette création garde le principe simple : les relations sexuelles servent de liant aux personnages et aux scènes. Chacun joue dans deux scènes consécutives. Une scène, une relation. L’occasion de parler d’adultère mais aussi de polyamour et de relations non exclusives dans cette nouvelle version.

La pièce initiale traversait déjà les milieux sociaux, elle restait toutefois cantonnée à des relations cisgenres et hétérosexuelles. Si les identités et pratiques sexuelles que la pièce de Johanny Bert met en lumière ne sont pas nouvelles, elles s’expriment de manière tout à fait inédite dans le spectacle.

Après le cabaret Hen et sa marionnette non-binaire, le metteur en scène et marionnettiste, fondateur du Théâtre de Romette, table à nouveau sur cette plasticité unique. Les marionnettes ne s’encombrent ni de la pudeur ni des lois les plus fondamentales de l’anatomie. On verra donc un bras devenir le corps d’un des personnages alors qu’il atteint l’orgasme. Le long pénis d’un autre servira tantôt de fouet, tantôt de poutre dans un surprenant jeu d’équilibriste. Pourquoi pas ?

Mais n’y a-t-il pas dans cette infinité de possibles, dans la pluralité de ces thématiques, le risque de se noyer ? Les marionnettes savent peut-être nager, toujours est-il qu’il est aisé de perdre pied sur le tapis roulant en avant-scène sur lequel défilent les décors. Un ingénieux dispositif qui permet de matérialiser le hors champ de certaines pratiques et identités sexuelles. Un club libertin est donc arraché aux coulisses, les toilettes d’une boîte de nuit s’animent et rappellent le théâtre d’objet… Tant d’images qui permettent au puppy play, aux combinaisons de latex et aux jouets sexuels de se frayer un chemin sur le plateau. Une série de paris audacieux qui pourraient difficilement se passer de marionnettes.

La (nouvelle) ronde d'Yann Verburgh d'après l'œuvre de Schnitzler - Mise en scène de Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Basé sur une série d’entretiens, le texte habile de Yann Verbugh capture les subtilités de ces existences, sans jamais les réduire à leur identité sexuelle. Chacun a ses qualités, ses défauts, ses insécurités… Le dramaturge évite ce piège du « bingo », souvent adressé à Netflix qui fait des minorités des tokens : des faire-valoir peu développées, présents pour cocher des cases. L’acuité des dialogues donne de la chair à ces personnages « courant d’air » qui portent chacun une problématique par scène.

Pourtant, dans tout ce foisonnement, quelque chose pêche. Les scènes s’enchaînent à une cadence effrénée que la musique live de la bassiste ne retranscrit pas vraiment. Quand certaines thématiques sont amenées sur scène, il manque parfois un temps, un recul et parfois, un contexte. La pièce est résolument « feel good ». Il n’est donc pas question de violences sexuelles, d’IST (infections sexuellement transmissibles) ou de contraception. Les rapports de pouvoir qu’induisent une grosse différence d’âge (doublée d’un déséquilibre hiérarchique) sont, au mieux, l’objet d’une plaisanterie.

Bien sûr, on peut se réjouir de voir sous ce jour les existences queers que les représentations cantonnent souvent aux tragédies les plus violentes. Bien sûr, la légèreté de la pièce est trompeuse, car bien des réflexions se dessinent en creux. Mais quand la pièce s’essaie au méta, le malaise se confirme ; alors que Johanny Bert se met lui-même en scène pour converser avec un personnage, le spectacle perd en précision. S’il prête à sourire, l’échange semble trahir cette difficulté d’assumer totalement le parti-pris de départ : laisser les personnages parler pour eux-mêmes et que leur relation soit le seul liant du récit.

Bien que perfectible, le résultat reste saisissant. On est évidemment ravi de suivre ces personnages au septième ciel, mais on garde en tête qu’il y a un pilote dans l’avion, qu’une fresque ne se dessine pas sans point de vue situé et qu’une marionnette ne s’anime pas seule.


La (nouvelle) Ronde de Yann Verbugh*
présentée du 7 au 16 décembre 2023 à La maison des Métallos, Paris

En tournée
6 et 7 Février 2024 au CDN de Normandie-Rouen
14 Février 2024 au Sablier, Centre national de la Marionette – Ifs
13 au 15 Mars  2024 au Théâtre de Cornouaille – Quimper
26 au 28 Mars2024 à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle

conception et mise en scène de Johanny Bert
dramaturgie d’Olivia Burton
avec Yasmine Berthoin, Yohann-Hicham Boutahar, Rose Chaussavoine, George Cizeron, Enzo Dorr, Elise Martin
composition et musicienne en scène – Fanny Lasfargues
collaboration à la mise en scène – Philippe Rodriguez Jorda
scénographie d’Amandine Livet, Aurélie Thomas
construction décors – Atelier du Théâtre de la Cité
création costumes – Pétronille Salomé
création lumières – Gilles Richard
création sons – Tom Beauseigneur
création des marionnettes – Laurent Huet, Johanny Bert assistés de Camille d’Alençon, Romain Duverne, Judith Dubois, Pierre Paul Jayne, Alexandra Leseur, Ivan Terpigorev, Benedicte Fey, Doriane Ayxandri, Franck Rarog
régie générale et plateau Camille Davy
régie plateau Charly Osmond

à l’exception de la scène 6, écrite par l’équipe du spectacle

La (nouvelle) Ronde de Yann Verburgh, mise en scène de Johanny Bert © Théâtre de Romette
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