Vignette(s), Bernardo Montet, Maguy Marin, Volmir Cordeiro, troupe Catalyse ©Jean-Marie Heidinger
©Jean-Marie Heidinger

Au festival du TNB, le handicap en jeu et en danses

Pour l'ouverture de son festival, le théâtre rennais mettait dos à dos deux spectacles portés par des interprètes handicapés, réaffirmant sans détours leur juste place dans des pièces exigeantes et complexes.

Hamlet de Chela de Ferrari, une adaptation libre de Shakespeare pensée pour et avec des comédiens trisomiques découverte par le public français aux Passages de Metz en mai dernier, nous l’avait déjà prouvé : la représentation du handicap, au théâtre, par les principaux concernés donne lieu à de beaux succès internationaux. C’est aussi le cas de The shadow whose prey the hunter becomes, création de la compagnie australienne Back to Back Theatre. En ouverture du festival du TNB, cette pièce met au plateau trois acteurs atteints de déficiences mentales.

La pièce est mise en scène par son directeur artistique, Bruce Gladwin, mais elle est le produit d’une écriture collective. Elle s’ouvre sur une prise de pouvoir : une petite leçon sur le consentement donnée par Scott Price à Sarah Mainwaring, sans besoin de l’intermédiaire d’un professeur dit valide. Cela, alors même que la sexualité des handicapés est, habituellement, une invisibilité dans l’invisibilité. Bientôt rejoint par Simon Laherty, le plateau se transforme en réunion citoyenne où une tribune s’improvise puis se déboulonne, et où ce sont justement ces questions d’assistance qui occupent le centre des discussions : qui aide qui ? Qui vient au secours de qui ? L’intelligence artificielle, présente en texte et en voix, ne place-t-elle pas de manière inédite les handicapés et ceux qui ne le sont pas dans une même position d’assistanat ?

Scott, fier porte-parole de l’autisme, Sarah, révoltée contre toutes les condescendances, et Simon, qui se rêve maire de cette petite communauté citoyenne, digressent, débattent. Il y a tant de choses à dire pour une communauté qui ne prend pas souvent le devant de la scène, et il y a tant de divergences parmi ses représentants, même s’il ne sont que trois, que la pièce se dérobe à toute téléologie discursive. The shadow… s’avère paradoxalement moins intéressante lorsqu’elle affirme une revendication face public — c’est toujours la caution morale facile d’une audience forcément d’accord au bas coût d’un applaudissement — que lorsqu’elle déboulonne, non sans humour, les attentes à l’endroit même de l’opération dramaturgique. Au gré notamment de la composition musicale saisissante du Luke Howard Trio qui l’accompagne dans sa contre-rythmique, la pièce tire précisément toute sa singularité de ce qu’elle invente un mode dramaturgique taillé pour ces interprètes et leur parole qui bute un peu mais finit toujours par atterrir, limpide.

The Shadow Whose Prey The Hunter Becomes, Back to Back Theatre ©Kira Kynd
The Shadow Whose Prey The Hunter Becomes ©Kira Kynd

Dos à dos, justement, la création de la compagnie australienne et le programme à suivre de trois formes courtes chorégraphiques porté par la troupe Catalyse, émergée du Centre national pour la création adaptée de Morlaix. Bernardo Montet les a menés avec la certitude que des danseurs sommeillaient dans ces acteurs, et Vignette(s), présenté dans la MJC de la Paillette, lui donne raison. Parce que deux des pièces sont profondément des jeux sur l’expressivité — du corps, du visage — elles forment un terrain précieux pour les sept interprètes (Tristan Cantin, Manon Carpentier, Guillaume Drouadaine, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic, Emilio le Tareau).

L’épaisseur des univers respectifs de Maguy Marin et Volmir Cordeiro permettent d’assouvir un enjeu double : d’une part, amener ces comédiens irréductibles à faire corps, à s’incorporer dans un geste chorégraphique. De l’autre, laisser s’épanouir des individualités atypiques. Le handicap, lui, n’est plus un sujet. Entre l’interrogation beckettiennes du légendaire May B. et dans l’ostentation joueuse et ludique de L’œil, la bouche et le reste, un solo : un extrait du Soleil du Nom de Bernardo Montet. Face aux images de Montet dansant dans le court expérimental de Téo Hernandez, Pas de ciel, un interprète captivant, Guillaume Drouadaine. C’est alors une bouleversante transmission qui a lieu sous nos yeux, entre le chorégraphe sexagénaire à la tête de la compagnie Mawguerite et l’interprète de vingt-neuf ans. Par la danse, par-delà les autres barrières. De quoi ouvrir en beauté le festival rennais. Celui-ci court jusqu’au 27 novembre.


Festival du TNB
Théâtre national de Bretagne
1 rue Saint-Hélier, 35000 Rennes

Du 15 au 27 novembre 2022

The shadow whose prey the hunter becomes du Back to Back Theatre
TNB – Salle Vilar
1 rue Saint-Hélier, 35000 Rennes

Du 15 au 18 novembre 2023
Durée 1h

Textes de Mark Deans, Michael Chan, Bruce Gladwin, Simon Laherty, Sarah Mainwaring, Scott Price, Sonia Teuben
Mise en scène Bruce Gladwin
Composition Luke Howard Trio (Daniel Farrugia, Luke Howard, Jonathon Zion)
Son Lachlan Carrick
Lumières Andrew Livingston, Bluebottle
Costumes Shio Otani
Directrice de tournée Tamara Searle
Régisseur Alana Hoggart
Régisseur son Eugene McKinnon

Avec Simon Laherty, Sarah Mainwaring, Scott Price

Vignette(s) de Volmir Cordeiro, Maguy Marin et Bernado Montet – Compagnie Mawguerite
La Paillette
2 rue du Pré de Bris, 35000 Rennes

Du 15 au 17 novembre 2023
Durée 1h

Conçu et porté par la compagnie Mawguerite
Chorégraphes Maguy Marin, Volmir Cordeiro, Bernardo Montet
Accompagnement éducatif de la troupe Catalyse Erwanna Prigent et Julien Ronel
Lumières Maude Raymond
Régie son Maël Contentin
Costumière Clémentine Page

Avec Tristan Cantin, Manon Carpentier, Guillaume Drouadaine, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic, Emilio Le Tareau

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