Suzy Storck de Magali Mougel - Mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez

Suzy Storck, femme au bord du burn-out

En ouverture de saison du Théâtre de Lorient, Simon Delétang reprend Suzy Storck, pièce coup de poing de Magali Mougel.

Suzy Storck de Magali Mougel - Mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez

En ouverture de saison du Théâtre de Lorient dont il a pris la tête en janvier dernier, Simon Delétang reprend Suzy Storck, pièce coup de poing de Magali Mougel, créée l’été 2019 au Théâtre du Peuple de Bussang. 

© Jean-Louis Fernandez

Costume noir, très chic, tiré à quatre épingles, le comédien et metteur en scène, dont c’est la vraie première sur le plateau en tant que directeur du lieu, joue les maîtres de cérémonie. Après les recommandations d’usage — bien couper son portable, ne pas prendre de photos, de vidéos, etc. —, Simon Delétang entre sans transition dans le vif du sujet. Narrateur du récit, il se glisse sur scène, et expose les faits. 

Un banal Fait divers 
Suzy Storck de Magali Mougel - Mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
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Nous sommes un 17 juin, quelque part France. Le lieu n’a pas d’importance. On est ici et c’est déjà suffisant de le savoir. Le soleil n’est pas encore couché. Il fait encore très chaud. Impassible, comme hébétée, Suzy Storck (intense Marion Couzinié), le personnage central de l’histoire, attend, le visage collé à la fenêtre de la cuisine, le retour de son mari, Hans Vassili Kreuz (épatant Charles-Antoine Sanchez). Derrière les mots, les descriptions laconiques, itératives, l’atmosphère est tendue, électrique. Épuisée par la charge du quotidien, saturée par les reproches, les cris, elle a eu une minute d’inattention. Cela a suffi pour que la tragédie s’invite dans son monde. 

Rien d’extraordinaire, que du banal. Suzy a une trentaine d’années. Elle est mère de trois enfants, dont le petit dernier est encore un nourrisson. Plutôt intelligente, même si elle n’a pas fait d’études. Soumise aux injections sociales faites aux femmes, elle subit sa vie plus qu’elle ne la vit. Son mari n’est certes pas un mauvais bougre, mais là n’est pas la question. Le moule dans lequel il la cantonne ne lui sied pas. Elle aspire à autre chose, rien de grandiose, juste à exister par elle-même en dehors du rôle que lui assignent ses proches et la société tout entière. Son drame, ne pas avoir su dire non, avoir toujours essayé de bien faire, pour « ne pas mettre la honte » à sa mère, pour rendre fier son compagnon.

L’épuisement d’être femme
Suzy Storck de Magali Mougel - Mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
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Publiée en 2013, Suzy Storck n’a rien perdu de son acuité, de sa force dénonciatrice du sexisme ordinaire. Dans le monde rural où le personnage évolue, là où encore beaucoup de gens, ne voient que « des crétins, des bouseux », la pression sociale, le qu’en dira-t-on, le devoir moral s’impose à tous. Le hors-norme n’est pas toléré, n’est pas tolérable. De manière assez clinique, Magali Mougel dissèque non le corps de cette femme, mais bien son état émotionnel, sa charge morale. Écriture à l’os, l’autrice vosgienne évoque le renoncement, l’effacement, la vie dépréciée et sous emprise de son héroïne. Les mots sont triviaux, directs. Pas de fioriture, à peine quelques effets de styles — retour en arrière, répétitions — qui viennent surligner l’ennui, l’insupportable vacuité d’une existence sacrifiée à ses enfants, dont elle ne voulait pas, et à son mari, avec lequel elle aimerait bien se soustraire aux devoirs conjugaux. 

Avec le sens de l’espace, sa force de frappe, Simon Delétang s’empare de ce texte, lui donne vie non littéralement, mais bien à la manière d’une allégorie. Sur le plateau, tout est symbole, une machine à laver, un immense tas de linge, un plafond de néons crépitants une lumière crue. La vie de Suzy, qui défile, est sous projecteurs. Derrière le visage creusé, fatigué, sidéré de cette femme au bord de la crise de nerfs se dessine celui, hiératique, sacré, d’une mater dolorosa des temps modernes. Le Stabat Mater de Jean-Baptiste Pergolèse qui s’élève majestueusement dans les cintres et l’apparition vivante de la célèbre Vierge de l’annonciation d’Antonello da Messina n’en sont finalement que les stigmates. 

En programmant cette pièce-uppercut pour se présenter à son public morbihannais, le tout fringant directeur du Théâtre de Lorient marque le ton et fait très fort. C’était un pari audacieux. Il le gagne haut la main. Le public conquis, les jeunes notamment, applaudissent à tout rompre et offrent aux comédiennes et aux comédiens, tous excellents, une standing ovation ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lorient

Suzy Storck de Magali mougel
Spectacle produit et créé par le Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher (Bussang) le 7 août 2019
Théâtre de Lorient
Parvis du Grand Théâtre
56000 Lorient
Jusqu’au 23 octobre 2023
Durée 1h30

Mise en scène de Simon Delétang assisté de Polina Panassenko
Avec Marion Couzinié, Simon Delétang, Françoise Lervy, Charles-Antoine Sanchez
Scénographie de Simon Delétang
Lumière de Jérémie Papin
Son Nicolas de Lespagnol-Rizzi
Costumes de Marie-Frédérique Fillion
Accessoiriste – Léa Perron

Teaser de Suzy Storck de Magali Mougel, mise en scène de Simon Delétang © Théâtre du Peuple

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