Les Téméraires - Charlotte Marzneff © Grégoire Matzneff

Charlotte Matzneff et ses brillants Téméraires

Après son beau succès au Festival Off d'Avignon, ne manquez pas à la Comédie Bastille, Les Téméraires, mis en scène par Charlotte Matzneff.

Les Téméraires - Charlotte Marzneff © Grégoire Matzneff

Qu’est-ce que le romancier Émile Zola et le réalisateur Georges Méliès ont en commun ? La défense du capitaine Dreyfus. Avec Les Téméraires, Julien Delpech et Alexandre Foulon, rendent hommage à leur courage et à leur grandeur d’âme. Ce spectacle passionnant, mis en scène remarquablement par Charlotte Matzneff, est à découvrir sans tarder.

© Grégoire Matzneff

Nous avons découvert ce spectacle lors du festival Off d’Avignon au théâtre des Gémeaux. La salle était pleine à craquer, preuve de l’intérêt inépuisable du public pour les pièces qui abordent la grande histoire par la lorgnette de la petite. En l’occurence, comme il paraît que l’histoire aime bégayer, il n’est pas dit qu’un Zola ou un Méliès, s’ils avaient vécu à notre époque, n’auraient pas mené d’autres grands combats.

Un combat contre la haine
Les Téméraires de julien Delpech et Alexandre Foulon - Charlotte Marzneff © Grégoire Matzneff
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De 1894 à 1909, l’affaire Dreyfus a divisé la France et s’inscrit à jamais dans la liste des grands scandales politiques français. Marquant la fin d’une époque, elle a ouvert la porte à ce dramatique XXe siècle. L’écrivain Émile Zola s’engagea, tardivement mais avec une grande détermination, à faire éclater la vérité en prenant position dans la presse. La litanie de son « J’accuse… ! », parue dans le journal L’Aurore, est un admirable brûlot destiné à provoquer une prise de conscience.
Fortement ébranlé, lui aussi, par ce qu’il entend et observe, Georges Méliès prend sa caméra pour faire éclater la vérité. Cette œuvre, censurée en France, est considérée aujourd’hui comme étant le premier film politique de l’histoire du cinéma. Julien Delpech et Alexandre Foulon ont eu l’excellente idée de mettre face à face ces deux grands héros qui, par leur talent, ont réussi à faire « fléchir une armée ».

« La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera »

À partir d’une recherche minutieuse sur les événements et sur les biographies de Zola et Méliès, les deux auteurs ont tricoté intelligemment leur pièce. Leur style tend vers la comédie. Cette légèreté apparente capte toute l’attention du public. Elle permet très efficacement de faire entendre l’histoire, l’inscrivant dans le quotidien de ces deux grands hommes. Cela n’empêche pas l’émotion de passer, bien au contraire. Les deux auteurs, comédiens de formations, ont le sens des dialogues. Le découpage de leur pièce est ingénieux.

D’un côté, il y a Zola, sa vie, sa double vie même, son travail, ses doutes. Ils nous montrent le cheminement intellectuel et émotionnel du romancier tout au long de l’Affaire. Ce qui fera dire à Anatole France à sa mort : « Il fut un moment de la conscience humaine ». De l’autre côté, il y a Méliès réalisant son film, le premier à avoir une durée de dix minutes et à puiser son sujet dans l’actualité. Les auteurs s’en servent pour résumer et faire comprendre cette machination instaurée par une armée déjà en déroute. À la question d’un de ses acteurs amateurs lui demandant si cela s’est vraiment passé comme ça, le réalisateur répond : « On aurait voulu l’inventer, on n’aurait pas osé ! » Ce qui n’est pas faux. Cette partie rend également hommage à cet art balbutiant qu’était le cinéma, cette balle de frappe qui allait rebondir dans le monde entier.

Une formidable mise en scène
Les Téméraires - Charlotte Marzneff © Grégoire Matzneff
© Grégoire Matzneff

Charlotte Matzneff signe une mise en scène remarquable. Possédant un grand sens du rythme, son travail possède une fluidité exceptionnelle. Quelle belle idée que cet impressionnant meuble de bureau polymorphe, qui se transforme selon les lieux et les endroits en tant d’autres choses, et autour duquel elle fait circuler l’histoire ! La scénographie d’Antoine Milian, mise en lumière par Moïse Hill, est de toute beauté, tout comme les costumes de Corinne Rossi. Nous sommes dans les tons sépia de l’époque, ce qui donne un sacré cachet. La musique de Mehdi Bourayou contribue à instaurer l’atmosphère. En bon chef d’orchestre, Matzneff a dirigé cette pièce chorale de main de maître. Aucune fausse note ne vient entacher les sentiments et les actions des protagonistes.

Une troupe à l’unisson

Romain Lagarde est un Émile Zola magnifique. Sandrine Seubille est exceptionnelle en Alexandrine Zola. Le couple fonctionne à merveille. Stéphane Dauch est tout aussi convaincant en Méliès exalté qu’en Georges Charpentier, éditeur dépassé par les événements. Barbara Lamballais, Arnaud Allain, Auguste Kestner, Armance Galpin et Thibault Sommain incarnent à eux seuls une trentaine de personnages. Ce sont des artistes brillants qui, tels des caméléons, prennent subtilement les atours de leurs différents rôles. On ne peut que saluer la prouesse de ces comédiennes et comédiens qui font battre et palpiter le cœur de cette terrible et passionnante Affaire Dreyfus.

Marie-Céline Nivière

Les Téméraires de Julien Delpech et Alexandre Foulon.
Comédie Bastille
5 rue Nicolas Appert
75011 Paris.
Du 7 septembre 2023 au 30 mars 2024.
Les mercredis et vendredis à 19h, les jeudis et samedis à 21h, le dimanche à 17h.

Durée 1h30.

Mise en scène de Charlotte Matzneff,
assistée par Manoulia Jeanne.
Avec Arnaud Allain, Stéphane Dauch, Armance Galpin, Romain Lagarde, Barbara Lamballais, Sandrine Seubille et Thibault Sommain.
Musique de Mehdi Bourayou.
Scénographied’Antoine Milian.
Lumières de Moïse Hill.
Costumes deCorinne Rossi.

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