Laetitia Mazzoleni © Serge Gutwirth

Laetitia Mazzoleni, retour gagnant sur les planches

Au Théâtre Transversal, qu'elle dirige, Laetitia Mazzoleni remonte sur les planches, après dix ans d'absence, dans "Atteintes à sa vie" de Crimp.

Laetitia Mazzoleni © Serge Gutwirth

Dix ans après avoir quitté la scène pour s’investir dans la mise en scène et dans la direction du Théâtre Transversal à Avignon, la comédienne remonte sur les planches avec Atteintes à sa vie de Martin Crimp. Solaire, généreuse, Laetitia Mazzoleni habite le plateau d’une belle présence et donne au texte de l’auteur anglais une belle couleur du Sud.

© Serge Gutwirth

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
C’est un souvenir d’ambiance : des bruits, des couleurs, de la chaleur. Je suis native d’Avignon, le Festival fait donc partie de mon ADN. Alors pour moi mon premier souvenir, c’est toute petite dans la foule des rues de la cité des Papes en juillet. Voir des comédiens à chaque coin de rue, c’était passionnant. Même si à mon avis, je n’en ai plus de souvenir, mais ça a commencé en poussette ! Ce qui est drôle, c’est que je serais incapable de dire quel est le premier spectacle que j’ai vu. Au fil du temps, j’en ai oublié pas mal, même certains que j’ai vus il y a moins de deux ans (rires). Pour moi, l’art vivant, avant d’être de l’art, un truc qu’on regarde de loin, c’étaient des gens. Des gens qui faisaient de l’art et qui vivaient pour ça.

Atteintes à sa vie de Martin Crimp © Delphine Michelangeli
© Delphine Michelangeli

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Lorsque je suis entrée au collège, en sixième, je me suis inscrite à un club théâtre… Je peux même dire que je suis assez fière d’avoir créé celui de mon collège. J’ai demandé à ma prof de Français pourquoi il n’y en avait pas, elle m’a renvoyé vers un surveillant en me disant qu’il faisait du théâtre. Effectivement, il était élève au conservatoire de Montpellier ! Alors j’ai trouvé des camarades qui voulaient s’inscrire et parce qu’on était assez nombreux, il a accepté d’animer le cours sur son temps libre. On faisait avec les moyens du bord, dans une salle de classe, mais j’ai trouvé les répétitions tellement passionnantes. Je crois que c’est ce que j’aime, encore maintenant : m’enfermer et travailler, chercher. Même s’il y a un côté jouissif à montrer son travail, pour moi, le plus passionnant, c’est le processus de création. C’est en travaillant mes rôles dans cette salle de classe que j’ai su que je voulais en faire mon métier. C’est quand même un des rares métiers où l’on joue ! Je trouve ça génial !

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et metteuse en scène ? 
Alors bêtement, comme j’ai commencé dans ce club théâtre, pour moi, le seul métier existant était comédien. Puis en entrant au conservatoire d’Avignon, j’ai découvert la technique, j’ai trouvé qu’une création lumière changeait tellement tout à un travail en cours… Encore une question d’ambiance ! Mais j’y ai juste touché, je ne suis jamais allé plus loin qu’entre les murs du conservatoire. Par contre j’ai fini ma formation en assistant Pierre Chabert à la mise en scène, quand il a monté Fin de partie de Beckett.. Et là, j’ai trouvé ça merveilleux. C’est drôle comme cet auteur me suivra dans ma carrière. Avec lui, on n’est pas metteur en scène, on est chef d’orchestre. Et ça m’a donné envie de créer mes propres projets. J’ai donc naturellement bifurqué du jeu à la mise en scène. Pour aujourd’hui, dix ans après, revenir sur les planches… C’est tellement bon ! Sans m’en rendre vraiment compte, ça m’avait manqué. Et puis après, il y a ma casquette de directrice de théâtre… Mais alors ça, c’est une autre histoire, je me suis retrouvée là complètement par hasard (rires).

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Les enfants de la truie de Gisèle Sallin et Marie-Hélène Gagnon. On a fait un festival dans un bus. C’était notre théâtre : l’Artibus. pour le transformer en salle de spectacles, on avait viré tous les sièges pour mettre une scène. Il y avait aussi une expo photo et des concerts le soir. Mon souvenir de cette expérience ? Un bus garé toute la journée sur les allées de l’Oulle ? La chaleur ! On dormait même dedans parce qu’on n’avait pas les moyens d’embaucher un gardien de nuit…

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Je ne sais pas si c’est le plus grand, mais le souvenir le plus prégnant : j’ai été invitée sur la scène de la cour d’honneur du Palais des Papes, pour assister à une représentation de La Tragédie du Roi Christophe, vu de l’intérieur du bus qui servait de scénographie. Encore une histoire de bus ! On ne m’avait rien dit, sauf d’être en baskets et tout en noir. Des techniciens m’y avaient conviée, donc j’imaginais que j’allais les accompagner dans leur travail en coulisses, mais pas être au plateau ! Alors oui, voir un spectacle de l’intérieur, c’est quand même quelque chose ! Et pour la jeune fille que j’étais, même pas majeure, être avec cette équipe de comédiens après la représentation, discuter avec eux, c’était assez extraordinaire.

Atteintes à sa vie de Martin Crimp © Delphine Michelangeli
© Delphine Michelangeli

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Matéï Visniec, que j’ai étudié au conservatoire, que j’ai rencontré et qui a toujours suivi ma carrière d’un œil bienveillant. Samuel Beckett, même si ce n’est qu’une rencontre littéraire, et surtout Sébastien Piron, le metteur en scène d’Atteintes à sa vie que je joue cet été. C’est sa première mise en scène, mais il m’a accompagné dans toutes mes créations. C’est un musicien à qui je donne carte blanche, car je sais qu’il va comprendre une œuvre et faire mieux que ce que je serais capable d’imaginer. Il est également créateur lumière et il crée des tableaux grâce à ses lumières. On travaille ensemble depuis presque quinze ans et sans lui, je ne serais pas grand-chose !

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Mon métier me déséquilibre ! Et c’est le déséquilibre qui fait avancer. Il n’est jamais bon de rester dans sa zone de confort. Disons que mon équilibre réside dans cette instabilité d’une vie où rien n’est jamais acquis. La vie est une lutte personnelle permanente, un dépassement perpétuel, un questionnement de chaque jour. Mon travail m’accompagne dans cette réflexion, mais pas que : je vis ma vie aussi au jour le jour, comme s’il n’y avait pas de lendemain. 

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Le monde qui m’entoure. Les êtres humains. Je ne suis pas contemplative, ce n’est pas la nature qui m’anime. Professionnellement, je parle. C’est la vitesse à laquelle on va tout droit dans le mur qui me fascine. La façon dont l’être humain s’auto-détruit alors qu’il est d’une intelligence folle. Pardon, ce n’est pas très gai, mais vous voyez ce que je veux dire. Je ne suis pas pessimiste non plus. J’aurais pu être ethnologue.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
La scène me calme. Elle calme mes angoisses. Je suis quelqu’un de très nerveux, hyper angoissée, très irritable et colérique, avec des tendances dépressives. Mais pas du tout dans le travail. Dès que je suis dans un théâtre, je m’apaise et tout devient facile et évident. Mon instabilité émotionnelle trouve un certain équilibre au plateau, j’arrive à lâcher prise alors que dans la vie, je veux tout contrôler.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Le plexus solaire. Ce n’est pas un truc cérébral. J’ai tendance à dire que c’est viscéral, mais ça ne se passe pas vraiment au niveau des tripes pour moi, c’est plus haut. C’est par là que je suis touchée, que je le sens très fort. Ça fait une chaleur et un pincement au milieu de la poitrine et au fur et à mesure que cette chaleur irradie, je me relaxe. C’est hyper agréable à ressentir.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Romeo Castellucci ! Définitivement ! Et Guillaume Vincent aussi. Et puis ça ne se fera jamais, mais Peter Brook ou Claude Régy. Je dis que ça ne se fera jamais… comme si avec Romeo Castellucci ou Guillaume Vincent, c’était envisageable (rires) !

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
La programmation d’un Festival d’Avignon. Ça me semble partir de tellement loin, se réfléchir, c’est tellement loin de ma façon de faire. J’adorerais participer pour apprendre à calmer mon impatience. C’est un peu fou, non, la programmation du festival le plus prestigieux du monde ? 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
C’est pas à moi de répondre à ça ! Vous voulez que je demande autour de moi ? Le Baiser de Gustav Klimt ? Vous ne voulez pas forcément une œuvre littéraire, hein ? Sinon, Pas moi de Samuel Beckett. Vous me verriez en quoi, vous ?

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Atteintes à sa vie de Martin Crimp
Festival OFF Avignon 
Théâtre Transversal
10 rue d’Amphoux
84000 Avignon
du 07 au 25 juillet 2023 – Relâche le mercredi

Durée 1h30 environ 

Texte de Martin Crimp
traduction de Christophe Pellet
mise en scène de Sébastien Piron
avec Bertrand Beillot, Paul Camus, Théodora Carla et Laetitia Mazzoleni
création lumière et musique de Sébastien Piron

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