Kheir Inch'Allah, Yousra Dahry, Mohamed Ouachen © Emilie Sfez
© Emilie Sfez

Kheir Inch’Allah : comment écrit-on « drari » au féminin ?

Jeune femme dans un monde d'hommes, Yousra Dahry offre avec "Kheir Inch'Allah" une chronique généreuse de la banlieue bruxelloise.

Kheir Inch'Allah, Yousra Dahry, Mohamed Ouachen © Emilie Sfez
© Emilie Sfez

« Je suis une peureuse. » Protégée par l’obscurité d’un plateau pas encore éclairé, Yousra Dahry, qui incarne dans Kheir Inch’Allah son propre rôle, autobiographique, se livre le temps de quelques secondes. Quand les lumières s’allument, ce n’est pas tout à fait la même qui parle : toujours Yousra mais dans son accoutrement de « drari », ces jeunes qui zones en bas des immeubles de la banlieue bruxelloise, seule fille dans cette communauté de garçons. Tout un éventail de personnages lui tournent autour, dans lesquels la comédienne entre comme dans un gant, endossant et poussant les mimiques et les attitudes de chaque archétype. Il y a la voisine ou la tante cancanière qui plaint la mère, « miskina », de n’avoir accouché que d’une fille unique, le gérant de la librairie islamique, ultra tchatcheur et un brin roublard, ou bien une conseillère de Planning familial aux accents néocoloniaux. Dahry égrène cette galerie de portraits avec beaucoup d’énergie. En pointillés, c’est un rapport complexe à la féminité qui est examiné, entre le poids d’injonctions malhonnêtes et le goût du travestissement.

Habilement, l’autrice et comédienne anderlechtoise réussit à faire langage commun des particularités et des références culturelles de cet environnement qu’elle connaît bien. Elle y parvient à la faveur d’une exposition maline en forme de dictionnaire vivant (où l’on apprend le sens aussi drôle que poétique du « taghenanisme ») ; grâce, également, à une qualité d’interprétation qui, si parfois trop précipitée et arrimée au texte, demeure suffisamment ouverte vers l’extérieur pour faire rire le plus grand nombre. L’humour de Kheir Inch’Allah est branché sur une grande tradition populaire du comique de caractère, mais ses imitations sont toujours soutenues par l’écriture. De même, si cette communauté immigrée, toujours sous-représentée, forme l’objet premier de la satire, celle-ci ne semble jamais prendre la forme d’une exhibition à un regard dominant. À l’inverse, il faut plutôt accepter de ne pas pouvoir toujours partager le référentiel et se laisser cueillir, à la place, par ce que chaque saynète contient d’humour en propre. Et il y en a.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Kheir Inch’Allah de Yousra Dahry
Théâtre EpiscèneFestival Off Avignon
5 rue Ninon Vallin, 84000 Avignon

Du 5 au 29 juillet 2023 à 18h10
Durée 1h05

Mise en scène Mohamed Ouachen
Assistanat dramaturgie et production Samira Hmouda
Regard dramaturgique Bwanga Pilipili
Lumières Tarek Lamrabti
Costumes Selay Ovski et Rabia Id’Said
Régie Valentine Bibot, Caroline De Decker

Avec Yousra Dahry

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