Les Messagères, Jean Bellorini ©Juliette Parisot
Les Messagères, Jean Bellorini ©Juliette Parisot

Les Messagères, des Antigone afghanes chez Bellorini

Au TNP, Jean Bellorini met en scène les comédiennes de l'Afghan Girls Theater Group dans «Les Messagères» d'après Antigone de Sophocle.

Les Messagères, Jean Bellorini ©Juliette Parisot

Au TNP, Jean Bellorini met en scène les jeunes comédiennes de l’Afghan Girls Theater Group dans Les Messagères, une adaptation de l’Antigone de Sophocle dialoguant avec l’histoire de ces réfugiées.

© Juliette Parisot

Comment amplifier la parole de réfugiées dans son intégrité, tout en rendant possible l’échange culturel ? La question s’est posée à Jean Bellorini, metteur en scène des neuf jeunes femmes de l’Afghan Girls Theater Group, une petite troupe fondée en 2015 et partie pour la France en août 2021. Âgées de dix-neuf à vingt-quatre ans, celles-ci étaient déjà montées sur scène dans le TNG voisin en novembre dernier, sous la direction du metteur en scène qui les a accompagnées depuis Kaboul, Naim Karimi. Avant, il y a eu l’exil, l’accueil à Lyon par l’entremise de Bellorini et Joris Mathieu suite à l’appel lancé par Kubra Khademi, l’apprentissage de la langue. Si le directeur du TNG les avait invitées à témoigner en leur nom propre dans une adresse très directe, le directeur du TNP les confronte à la tragédie grecque, celle de Sophocle, comme une invitation à poser leurs bagages dans les grandes contrées du théâtre.

La première fois que le metteur en scène pénètre dans une librairie persane pour trouver des ouvrages à partager avec ces jeunes filles qui parlent le Dari, ses yeux se posent sur une traduction d’Antigone. À la même époque, les comédiennes expriment leur désir de ne plus se raconter elles-mêmes et de se confronter à l’altérité de personnages de théâtre. Le travail est ainsi entamé. En juin 2022 commencent les répétition autour de la pièce de Sophocle, qui donnent lieu, un an plus tard, à la première des Messagères sur le grand plateau de la salle Roger-Planchon, qui sera on l’espère suivi d’une belle tournée encore à construire.

Pop afghane
Les Messagères, Jean Bellorini ©Juliette Parisot
©Juliette Parisot

Au sol, un grand rectangle d’eau qui reflètera bientôt une lune changeante. La troupe fait son entrée fracassante sur Aman, le tube du chanteur afghan Valy (plus tard, Créon dansera sur un autre banger local). La bataille d’eau laisse bientôt la place au silence, et la parole advient. Si Jean Bellorini a pensé un instant à partager le rôle d’Antigone de façon chorale, Les Messagères opère finalement une distribution classique des rôles pour ces personnalités singulières. Dans le face à face d’Antigone et Ismène, deux destins du peuple se dessinent, soumis à la loi inique du roi. Ici, les sœurs se ressemblent, elles se font les deux faces d’un destin féminin de l’Afghanistan contemporain, où celles qui se révoltent sont exécutées et celles qui survivent deviennent les témoins forcés des horreurs commises sous leurs yeux.

À travers cette mise en scène épurée qui, si elle ne semble pas saisir toutes les singularités, laisse néanmoins sa place à l’épanouissement de la jeune troupe, c’est l’entrée de celle-ci dans la cour du théâtre public français qui est mise en scène. A fortiori au sein de l’un de ses temples symboliques. Les jeunes comédiennes demandent encore à se rôder le soir de la première, c’est normal. Quelque chose néanmoins finit par sauter aux yeux, alors que la tragédie avance et qu’Antigone s’apprête à mourir. Certes, un prologue (extrait d’Antigone peut-être de Martine Delerm) et un épilogue (signé Atifa Azizpor, l’une des comédiennes), cousus à la pièce, se chargent de faire directement référence à leur histoire, laquelle a tout à voir avec les mots de Sophocle. Mais là, au milieu, ces passeuses d’un témoignage afghan viennent occuper enfin, par-delà l’assignation forcée à leur tragédie nationale, un pays commun.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Villeurbanne

Les Messagères d’après Antigone de Sophocle
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon, 69100 Villeurbanne

Mise en scène Jean Bellorini
Textes de Sophocle, Martine Delerm et Atifa Azizpor
Collaboration artistique Hélène Patarot, Mina Rahnamaei et Naim Karimi
Lumière Jean Bellorini
Création sonore Sébastien Trouvé
Avec L’Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor,Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi,Tahera Jafari, Marzia Jafari, Sohila Sakhizada

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