Stamsund Internasjonale Teaterfestival - StamFest - Directeur Thorbjørn Gabrielsen © OFGDA

STAMFEST, le festival du bout du monde

Au cœur des îles Lofoten, dans la petite ville de pêcheurs de Stamsund, se tient jusqu’au dimanche 28 mai, le STAMFEST bat son plein.

Stamsund Internasjonale Teaterfestival - StamFest - Directeur Thorbjørn Gabrielsen © OFGDA

Au cœur des îles Lofoten, dans la petite ville de pêcheurs de Stamsund, se tient jusqu’au dimanche 28 mai un des festivals internationaux dédiés au spectacle vivant des plus septentrionaux d’Europe. Sous l’impulsion de son directeur Thorbjørn Gabrielsen, du Teater Nor, de l’E&G Teaterkompani et de la directrice du Figurteatret i Nordland, Ynglvid Aspeli, la manifestation fait la part belle à la marionnette et aux arts visuels.

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Il est un pays, la Norvège, où dans ses régions, les plus nordiques, le jour semble durer une éternité. À quelques encablures du pôle Nord, le soleil inonde plus de six mois durant en quasi continu fjords, montagnes basaltiques, contrées verdoyantes, lacs, torrents et maisons en bois à dominante rouge. Dans ce lieu envahi l’été par des hordes de touristes et déserté l’hiver en raison de son climat particulièrement rude, une communauté d’artistes a investi le village de Stamstund, connu surtout pour être un des plus importants ports de pêche des Îles Lofoten. Bordée par le Vestfjord, la bourgade qui s’étend sur plusieurs kilomètres de côtes déchiquetées abrite trois théâtres pour un peu plus de mille habitants. Fort de ce magnifique apanage culturel, est né en 2001 le Stamsund Internasjonale Teaterfestival, que les locaux ont baptisé plus familièrement le STAMFEST.

Entre ciel et mer 
Port de Stamsund - StamFest © OFGDA
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Entre la comté des hobbits, les terres de Mordor et les eaux azuréennes presque caraïbéennes, le paysage norvégien de cet archipel situé entre le ciel et la mer est fait de contrastes, d’étonnantes associations, de singuliers amalgames. Propices aux rêveries les plus folles autant qu’aux pires cauchemars, les Îles Lofoten ont de quoi inspirer les esprits, réveiller les imaginaires, stimuler autant nos lumineuses que nos sombres pensées, inviter aux voyages et offrir le temps serein de la réflexion. Qu’autant d’artistes fassent le long périple pour accéder à ce coin de terre loin de tout et y posent leurs valises à plus ou moins long terme — le temps d’une résidence ou pour prendre la direction d’un lieu, comme Yngvild Aspeli, fondatrice de la compagnie franco-norvégienne Plexus Polaire — n’a rien à voir avec le hasard, mais bien à une conjecture des possibles.

Tout ici étonne et détonne : ce bateau de pêche, orange et ramassé, que l’on croirait sorti d’usine, cette morue abandonnée sur son séchoir de bois pour le folklore, cette absence de monde dans les rues ou ce soleil de minuit aux rayons bleutés. En temps normal, ne cherchez pas les habitants, ce n’est pas en journée que vous les verrez. Mais si vous avez la chance de croiser Thorbjørn Gabrielsen, facilement reconnaissable à sa crinière poivre et sel, à ses ongles et sa cocarde rose aux couleurs du festival, suivez-le entre les maisons de pêcheurs, il vous mènera de son pas alerte au Nor Theatret, point de départ des festivités et de la parade. En un clin d’œil, le village s’agite. Enfants, parents, grands-parents se retrouvent pour suivre et écouter la fanfare. Portant chacun une lettre constituant le nom STAMFEST, huit individus se joignent au cortège, les font danser dans les airs et les emportent devant le seul et unique bar-restaurant de la ville. L’ambiance est joyeuse. Elle donne le ton au festival. Ici, c’est la convivialité qui compte. Préférant les petites formes, les performances, les spectacles intimes, la programmation mise sur la force de visuel, le pouvoir suggestif de l’esthétisme. Après quelques discours, un pas de deux exécuté par de jeunes danseurs, venant de s’installer non loin d’ici à Valberg, Ina Bråstein et Oliver Paulsson, place aux premiers spectacles qui ouvrent cette édition 2023.

Le fantasme Dracula 
Dracula (Lucy's dream) d'Yngvild Aspeli - StamFEST © Mathias Leander Olsen
Dracula (Lucy’s Dream) d’Yngvild Aspeli © Mathias Leander Olsen

Eaux noires, vent glacial, le port de Stamsund n’a rien à envier à celui de Varna, tel que le décrit Bram stoker dans son roman. Comment ne pas imaginer que cette étrange similarité, que ce jour et cette nuit sans fin n’aient pas infusé dans l’esprit d’Yngvild Aspeli ? Différente autant que semblable, l’atmosphère des Lofoten est un terreau fertile pour invoquer les morts, pour transcender le passage à trépas, pour exorciser ses peurs, sa mélancolie, son spleen, ses sombres pensées. En s’attachant au personnage de Lucy, jeune femme de la bonne société londonienne, délurée et sensuelle, la metteuse en scène porte un autre regard sur le mythe de Dracula. Autant figure terrifiante qu’ensorcelante, le roi des vampires est ici relayé au second rôle. Vivant dans l’ombre, se transformant à vue en loup, en chauve-souris, il peuple le sommeil de la jolie rousse sans arriver à saisir que les temps ont changé, que la femme n’est plus soumise, mais est douée de libre-arbitre. 

Poupées de taille humaine, les marionnettes qui hantent le spectacle de l’artiste norvégienne semblent, à l’instar d’un Pinocchio, prendre vie. L’effet d’optique, de manipulation est troublant, dérangeant. Habitant le plateau, jouant les doubles du duo Dracula-Lucy, les cinq comédiens-marionnettistes du spectacle – Pascale Blaison, Dominique Cattani, Yejin Choi, Sebastian Moya, Marina Simonova – dansent, volent, virevoltent et emmènent le spectateur au plus profond d’un rêve éveillé mâtiné de sauvagerie à la limite d’un surnaturel crépusculaire. Femme enfant confrontée à son possible trépas, provoqué par sa propre concupiscence, Lucy doit faire un choix crucial : lutter contre ses démons ou s’abandonner aux vertiges des ténèbres éternelles. Avec la complicité d’Ane Marthe Sørlien Holen à la musique et Emilie Nguyen aux lumières, Yngvild Aspeli repousse les limites de l’irréel. Sa morsure artistique est tout aussi charnelle et irradiante que celle d’un vampire rêvant d’humanité.

Les petites manies d’une mamie
Go ! de Polina Borisova - StamFEST © Patrick Parédes
Go ! de Polina Borisova © Patrick Parédes

Un peu plus tard, au Figur Theatret, Polina Borisova, artiste complice de la toute nouvelle directrice, réinvente le réel et signe avec Go !, un spectacle sidérant. Tout commence dans le noir. Des pas font grincer le plancher. Une lampe désuète s’allume. Une ombre se dessine. On distingue vaguement un casque de cheveux blancs. Vêtue d’un gilet et d’une jupe d’un autre âge et affublée d’une prothèse de mâchoire, la marionnettiste et metteuse en scène apparaît sous les traits d’une vieille dame. Regard bleu azuréen espiègle, elle observe son environnement, se laisse distraire par un bruit, un objet, une idée qui lui traverse la tête. Avec rien, modulant sa gestuelle, elle donne vie au monde qui l’entoure. 

Quelle claque, quelle ingéniosité ! Avec juste un scotch, Polina Borisova répare ses lunettes, croquent des silhouettes, esquissent les contours d’une fenêtre, d’une porte. Jouant sur nos imaginaires, elle nous plonge dans le quotidien drôle, cocasse, bizarre de cette mamie plein de charme, décalée. Derrière les grands hublots qui lui servent de binocles, elle donne à cette journée en accéléré des airs d’épopée immobile, de folle embardée romanesque autant que banale. L’artiste russe, qui a élu domicile à Toulouse, a touché les cœurs des festivaliers par son art délirant de la manipulation et de la poésie du geste ordinaire.

Au fil des jours, les concerts, les performances se suivent et ouvrent de nouveaux horizons, révèlent des esthétismes variés. S’intéressant aux sujets qui traversent nos sociétés occidentales ou allant chercher dans les contes d’autres sources d’inspirations, les artistes invités font montre d’audace, d’onirisme et de savoir-faire. À proximité du cercle polaire, le spectacle vivant palpite, vibre et ne demande qu’à se laisser porter vers d’autres horizons européens. Cet été, la Norvège installe un pavillon dans la cour du musée Angladon. Une initiative de la Manufacture, portée avec inventivité par la compagnie Plexus Polaire ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Stamsund 

Stamsund Internasjonale Teaterfestival
Stamsund
Nordland
Du 23 au 28 mai 2023

Dracula (Lucy’s dream) d’Yngvild Aspeli
Mise en scène d’Yngvild Aspeli
Marionnettistes – Kyra Vandenenden, Dominique Cattani, Yejin Choi, Sebastian Moya, Marina Simonova 
Musique d’Ane Marthe Sørlien Holen 
Fabrication des marionnettes – Yngvild Aspeli, Manon Dublanc, Pascale Blaison, Elise Nicod, Sébastien Puech 
Scénographie d’Elisabeth Holager Lund en collaboration avec Angela Baumgart
Création vidéo – David Lejard-Ruffet
Régie lumière et plateau – Emilie Nguyen 
Régie son et vidéo Baptiste Coin

Tournée
du 7 au 24 juillet 2023 à La Manufacture – Festival OFF d’Avignon

GO ! de Polina Borisova
mise en scène, scénographie, interprète – Polina Borisova
technique – David Claveau

Teaser de Dracula (Lucy’s dream) d’Yngvild Aspeli © Plexus polaire
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