Visuel de l'Affiche du Festival Vis-à-vis © DR

Le festival Vis-à-Vis se décentralise

Le Festival Vis-à-vis s'installe au théâtre de Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon.

Visuel de l'Affiche du Festival Vis-à-vis © DR

Ce festival, destiné à valoriser et rendre visible des projets artistiques et culturels pluridisciplinaires créés dans les établissements pénitentiaires, s’installe à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon, sous le parrainage du chorégraphe Angelin Preljocaj. L’occasion de suivre les répétitions du spectacle C(h)œur de femmes aux Baumettes. Une expérience qui ne s’oublie pas.

Lorsque l’équipe de Châteauvallon-Liberté nous propose de venir découvrir une création en milieu carcéral, nous acceptons l’offre sans hésiter. Le théâtre a toute sa place dans le processus de réinsertion : en plus de pouvoir redonner confiance en soi, il est une porte ouverte sur le monde extérieur. Nous voilà partis dès potron-minet pour Marseille. À notre arrivée à la Gare de Saint-Charles, un soleil radieux nous accueille. On a l’air fin avec nos gros manteaux ! Avec l’équipe de Châteauvallon (le chargé de communication, Jonas Colin, et la chargée des relations avec le public et du Festival Vis-à-Vis, Alice Pernès), on file direction les Baumettes.

Un quartier historique

Les Baumettes est un quartier de Marseille, situé sur les hauteurs. C’est de là que l’on part si on veut visiter les calanques. Mais c’est aussi là que se trouve la prison du même nom, qui est à la fois un centre de peines aménagées, un centre de détention pour femmes et une maison d’arrêt. Après avoir longé les longs murs de la prison, récemment rénovée, nous nous sommes rendu au restaurant où nous attendaient pour le déjeuner par Julien Troullioud, coordinateur culturel de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP), et Samantha Fontaine, sa responsable de communication.

Appât loup, projet du Centre pénitentiaire de Borgo © DR
Appât loup, projet du Centre pénitentiaire de Borgo © DR

Le duo est fier de porter dans leur région cet événement mis en place en 2016 par Valérie Dassonville et porté par le théâtre Paris-Villette. Dès la première édition, ce festival, imaginé comme un « temps fort » de la création artistique en milieu carcéral, a connu un beau succès. Des coordinateurs culturels de la DISP de Marseille se sont rendus à Paris lors de la dernière édition en 2022. C’est ainsi que la DISP et la DRAC Paca ont décidé d’adopter le projet pour la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’idée est aujourd’hui de le rendre itinérant sur ce territoire. La première édition est donc portée par Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon. Soutenu par le ministère de la Culture, la justice en région et la fondation Meyer, la volonté est que « main dans la main, culture et justice » travaillent sur ce festival. Les créations sont soutenues par l’État et le centre pénitentiaire qui porte le projet.

Réinsertion

Du 31 mai au 2 juin, Châteauvallon-Liberté accueille cinq propositions sur son plateau, ainsi que des projets satellites (des vidéos et les capsules sonores Merveilles, que nous vous invitons vivement à écouter ici). Le théâtre se charge d’héberger ces compagnies particulières comme ils le font avec les autres. Même si cela demande d’accueillir également les participants, les coordinateurs et les surveillants. « Ils sont reçus sans jugement, comme des artistes et non comme des personnes privées de liberté ». Ce point est important quand il est question d’aide à la réinsertion. À ce sujet, la prison des Baumettes veut se doter d’une salle de spectacle. Ce qui permettra à certains détenus d’apprendre la technique, en espérant trouver par la suite un métier. Car comme le rappelle Julien Troullioud, la culture étant « un levier qui permet de se réconcilier avec le monde extérieur », leur objectif est « d’offrir aux personnes détenues une expérience artistique basée sur le collectif, l’engagement et l’aboutissement ».

Du c(h)œur des femmes, projet - Centre pénitentiaire des Baumettes © DR
Du c(h)œur des femmes au centre pénitentiaire des Baumettes © DR

Il est l’heure de se rendre au centre de détention pour femmes. Nous laissons dans la voiture nos sacs et surtout nos portables. En revanche, nous n’oublions pas nos papiers d’identité. On nous prévient qu’entrer dans un centre pénitencier n’est pas simple pour les visiteurs. Effectivement, on a l’impression d’entrer dans un aéroport, en beaucoup moins joyeux. Pris en charge par la direction de la prison, nous passons plusieurs grilles, traversons, sous le cagnard, des allées ceintes de hauts murs, longeons un petit jardin de plantes aromatiques. Même si nous sommes en plein air, le mot enfermement prend tout son sens. C’est assez impressionnant. Puis nous arrivons devant un bâtiment, nommé « salle de culte ». Un endroit neutre qui fait le lien entre religion et théâtre. La métaphore est amusante. Dès notre entrée, nous sommes séduits par le dispositif scénographique installé. Vanille Fiaux nous reçoit. Cette jeune autrice, comédienne et metteuse en scène, fondatrice de la compagnie Fitorio Théâtre, est en charge du projet artistique des Baumettes.

Du c(h)œur de femmes

L’artiste promène le projet Du c(h)œur des femmes à travers les quartiers de France et d’Afrique, de Nantes à Djibouti, permettant ainsi à des femmes venues de tous horizons de prendre une parole poétique pour se raconter et se dévoiler. Aux Baumettes, elles sont six. Ensemble, elles ont écrit le texte du spectacle, tissé à partir de discussions et de textes du répertoire, comme ceux de Saint-Exupéry et Lagarce. Louant « leur énergie », Vanille Fiaux leur a créé un spectacle « sur mesure ».

L’action se déroule dans un cabaret désaffecté où, tels des fantômes, six femmes en attendent une septième. Chacune a son histoire, son style, son monde intérieur. Vanille Fiaux précise que, pour la représentation au théâtre, les comédiennes des Baumettes joueront avec deux femmes issues du quartier de la Belle de Mai de Marseille, de trois autres appartenant déjà au C(h)œur, et de musiciens. Les filles devaient faire connaissance de Fatou, arrivée la veille de Djibouti, mais celle-ci ayant oublié à l’hôtel ses papiers, elle n’a pu entrer dans la forteresse.

Une troupe unie

La porte s’ouvre sur une gardienne, précédée de cinq femmes. On sent leur plaisir d’arriver là, mais lorsqu’elles découvrent qu’il y a des spectateurs, un frisson de trac les saisit. Vanille les rassure : nous ne sommes pas là pour les juger pendant cette répétition, mais pour découvrir leur travail. Elle ajoute qu’avoir un public va les booster. Ce qui va se révéler exact. Au C(h)œur des femmes, les comédiennes portent toutes des noms de fleur ou d’arbre. Ces noms de scène leur permettent de prendre des libertés derrière un anonymat protecteur.

Chacune part se changer en régie. Lorsqu’elles reviennent, ce ne sont plus des détenues mais les personnages. Elles se mettent à leur place. La première commence et s’arrête. On vient de frapper à la porte, la sixième arrive ! Un phénomène, une Jacqueline Maillan en puissance ! Elle est à deux doigts de faire demi-tour et se ravise. La répétition reprend. Si quelques-unes ont un peu de mal à se concentrer, toutes suivent avec attention les indications proposées par la metteuse en scène. Et l’on devine les prémices d’un spectacle qui porte des belles couleurs poétiques.

Un vent de liberté

Les dernières minutes sont consacrées à un bord plateau. Comme tous les artistes, leur première attente est de connaître notre sentiment sur ce que l’on vient de découvrir. Nous les rassurons. Même si les conditions de la répétition, de voir un bout de texte remis à l’ouvrage plusieurs fois, leur travail est des plus intéressants. Et surtout, elles nous ont beaucoup touchés. Puis nous les interrogeons sur ce qui les raisons qui les ont poussées à participer à ce projet. En chœur, elles citent Vanille. Faire du théâtre leur a permis de constituer un groupe, ce qui n’est pas négligeable dans un univers carcéral où les relations sont souvent tendues. L’une raconte, amusée, qu’une surveillante a été surprise de l’entendre crier des choses bizarres. « Alors, que je répétais juste mon texte ! ». Les autres éclatent de rire. Laissons les mots de la fin à la Jacqueline Maillan du groupe : « Au théâtre, on se dit des choses et on s’aime, mais aussi on m’aime, on me fait confiance. Cela permet de faire des choses que l’on n’aurait pas faites à l’extérieur ».

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale aux Baumettes de Marseille.

Festival Vis-à-vis
Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon
Du 31 mai au 1er juin 2023

Mercredi 31 mai à 19h30 :
Ouverture du festival en présence d’Angelin Preljocaj
« Appât de loup » (Théâtre) par la Compagnie 1er Acte – Centre pénitentiaire de Borgo.
« L’île aux diables » (cinéma), Mujô Production – Maison Centrale d’Arles.
Jeudi 1er juin à 19h30 :
« Du C(h)œur des femmes » (Théâtre) par le Fitorio Théâtre – Centre pénitentiaire des Baumettes.
« L’autre » (théâtre) de la Compagnie Totem – Maison d’arrêt de Digne-les-Bains.
« Exister » (cinéma), Les Films du Papillon – Maisons d’arrêt de Gap et de Digne-les-Bains.
Vendredi 2 juin à 19h30 :
«  Le Lab’Oratoire » (Théâtre – Danse) par le Théâtre du Lézard – Maison d’arrêt de Draguignan.
« Au nom du rêve » (danse) par la Compagnie Humaine – Maison d’arrêt de Nice.
Courts Métrages (cinéma), Les Films du Papillon – Maisons d’arrêt de Gap et de Digne.

Projets satellites :
Merveilles, créations sonores de la Compagnie Dispensa Barzotti – Maison d’arrêt de Grasse.
Itinéraires, création sur tissu, Diane Etienne – FRAC – Centre de détention de Salon-de-Provence et Centre pénitentiaire d’Aix-Luynes.

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