Valérie Dassonville et Adrien de Van © Louise Arnal

Vis-à-Vis#4, une fenêtre théâtrale sur le monde carcéral au Paris-Villette

Au Paris-Villette, du 20 au 23 janvier 2022, la quatrième édition du Festival Vis-à-Vis offre une vision de la création artistique en milieu carcéral.

Pour la quatrième édition de Vis-à-Vis, qui aura lieu du 20 au 23 janvier au Paris-Villette, nous avons rencontré Valérie Dassonville, directrice artistique du festival, pour évoquer ce temps fort de la création en milieu carcéral.

Comment avez-vous eu l’idée d’ouvrir la porte du Paris-Villette aux créations partagées ?

Atelier Fleury - Cadre Vis-à-Vis © Coralie Tchina DAP

Valérie Dassonville : En tant que metteuse en scène, j’avais beaucoup travaillé en création partagée à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Cette expérience de travail en milieu carcéral m’avait beaucoup intéressé. J’avais donc ça très en tête. L’idée est venue à la fois de mon parcours personnel et en même temps d’une volonté avec Adrien de Van, de créer et d’accueillir au Paris-Villette des formes nouvelles de création. Rappelez-vous, que la ligne directrice artistique était la création jeunesse sous toutes ses formes. Ce qui inclut la jeunesse des projets, des propositions, des dispositifs. On s’est dit qu’il ne fallait pas laisser tomber cette partie-là de la création, plus précisément celle partagée avec le milieu carcéral. En 2015, nous avons monté une sorte de prototype. Nous avions proposé à deux compagnies de gérer une création en détention et une autre dans un centre social dans le 19e arrondissement. Ces deux créations devaient s’assembler pour donner lieu à une création partagée qui s’est faite à Fleury et ensuite au Paris-Villette. On a réuni sur scène des jeunes détenus hommes de Fleury-Mérogis avec des femmes, plutôt âgées, en alphabétisation à l’espace 19. Tout s’est très bien passé. On a obtenu les permissions de sorties. Le résultat a donné une chose merveilleuse. Cela nous a beaucoup touché ainsi que le public, venu nombreux.

C’est donc ainsi qu’est né le festival ?

Valérie Dassonville : Avec les partenaires de la culture de l’administration pénitentiaire, puisque la mission culturelle y est maintenant très clairement identifiée, on a imaginé reproduire cette expérimentation mais à une échelle plus importante sur toute la région Ile-de-France. C’est né ainsi, d’une envie de rendre visible le travail de création des artistes et de donner la possibilité à ces personnes qui sont sous la main de justice de participer à des projets, qui ont ambition entre autre de leur permettre de se présenter à nouveau à la société. Et sur une scène de théâtre ce n’est pas rien ! C’est même se « représenter » au sens littéral du terme. Notre souhait était de donner une véritable visibilité. Nous avons donc imaginé ce festival pour que tout ceci ne demeure pas isolé et sporadique.

Comment cela s’est-il mis en place ?

Iliade dans le Cadre de Vis-à-Vis TPV © Charlotte Gonzalez

On ne savait pas du tout si on allait avoir l’autorisation de réunir des détenus de différentes prisons, le même jour, dans le même théâtre. Cela a été possible et en plus cela s’est même très bien passé. Cela coïncidait aussi avec le moment où les politiques interministérielles, sur tout ce qui était culture-santé, culture-justice, etc., étaient en train de se développer. C’était très bien, mais il fallait rappeler qu’on devait se donner les moyens de ces politiques. Il faut porter haut ces gestes-là. On ne peut le faire qu’en les accueillant au sein de nos programmations. Si on veut faire de la démocratisation culturelle, il faut partager les artistes, les théâtres et les œuvres. Sinon on reste souvent à mi-chemin.

D’autant que le travail théâtral proposé à ces gens, qui à un moment de leur vie se sont mis hors la loi, en dehors la société, n’est pas de l’ordre du divertissement mais une approche véritablement artistique.

Valérie Dassonville : Les projets du festival Vis-à-vis, ce sont avant tout des projets menés par les artistes. Ils ne se questionnent pas forcément en se disant qu’est-ce que l’on va faire avec des détenus ? Non, la question est, qu’est-ce qu’on a envie de partager ? Quel genre de créations, veut-on mettre en partage. Le geste artistique de Vis-à-vis n’est pas : je vais leur apprendre à travailler du Molière, à dire de la tragédie, où de leur faire jouer un trucléger qui les divertira. On est plutôt dans l’idée que le langage poétique étant un langage universel, quel récit collectif peut-on maintenir en créant ensemble et, grâce à cela, comment trouver un espace commun qui fait que l’on reste contemporain les uns des autres ? Je l’analyse plutôt comme ça. C’est une façon pour tout le monde d’arriver à se parler, à se comprendre, à dialoguer. On peut ne pas être en prison un jour et y être un autre, être en prison et en sortir, comme on peut être malade un jour et guéri un autre. Il ne faut pas oublier qu’on a l’impression que ces choses-là ne nous concernent pas alors que tout le monde est concerné de près ou de loin. Ces contextes sont très clivants. En plus avec la prison, il y a le spectre de dire que l’on met les gens hors état de nuire, qu’ils sont en train de payer leurs dettes à la société et donc il n’est pas question qu’ils aient accès à quoique ce soit pendant ce temps-là. On peut avoir une vision de la prison effectivement très isolante, or il ne faut pas oublier que dans la peine prononcée et exécutée, il y a la notion de non-récidive qui est au cœur des préoccupations de l’administration pénitentiaire. Il y a aussi la notion de réhabilitation et je rajouterai, la notion plus biblique de pardon. Celle de la société vis-à-vis du détenu et celle du détenu vis-à-vis de lui-même et du coup de la société vis-à-vis d’elle-même si l’on veut croire à un principe de rédemption. Tout ça fait que l’on n’a pas intérêt à s’isoler les uns des autres. La création permet aux artistes d’entrer dans une prison. Il n’y a pas beaucoup de gens de la société qui ont le droit d’y pénétrer pour y faire quelque chose. Il y a les enseignants, les médecins, les différents intervenants sportifs et puis la culture. C’est une petite représentation de la société e laquelle les artistes ont la chance de faire partie. Cela sera vraiment dommage de ne pas vivre ces expériences-là.

Le rôle des artistes, en leur faisant aborder des textes contemporains, est donc de les amener à réfléchir sur eux-mêmes et sur la société.

Atelier Fleury - Cadre Vis-à-Vis © Coralie Tchina DAP

Valérie Dassonville : On est dans un moment d’échange, dans un instant où l’on va placer des personnes dans une expérience qu’elles vont avoir choisie, dans un contrat qu’elles vont passer avec une équipe artistique, dans une implication, dans un engagement et dans un récit. Celui-ci n’est pas forcément le leur, car il ne s’agit pas de faire leur autobiographie où de raconter leur vie en prison, mais ce sont des grands récits du théâtre qui sont, comme on le sait, totalement universels. Quand on vient sur scène pour dire, je me présente à vous pour que vous me voyiez à nouveau, eh bien c’est beau de le faire avec des projets menés par des artistes et avec des artistes. C’est ça qui me bouleverse. Quand on a présenté avec un grand succès, L’Iliade, mise en scène par Luca Giacomoni, avec des personnes en sous-main de justice et des acteurs professionnels, beaucoup nous disaient que cela marchait bien parce que la guerre, l’honneur, le pouvoir sont des choses que partagent les détenus avec les personnages d’Homère. J’ai enseigné à Science-po pendant trois ans et j’ai fait étudier cette étude de cas, la création de L’Iliade avec des détenus. Une élève, à qui on posait la question pourquoi ce texte fonctionnait avec la prison a répondu quelque chose de très juste auquel personne n’avait pensé. L’Iliade, c’est le retour, la fin de la guerre et cela se termine par cette phrase : Je m’appelle Ulysse, j’habite à Ithaque et je rentre chez moi. Cette élève souligne que pour des détenus longue peine, qui vont sortir de prison, cela va être L’Odyssée. Je me suis dit qu’elle avait tellement raison. La poésie se place parfois là où l’on n’arrive pas tout de suite à la voir et cela a un sens fou de jouer avec les grandes passions humaines. C’est ça qui passe avec Vis-à-Vis. C’est une manière de dire : écoutez-nous, regardez-nous, voyez-nous à nouveau. Ça, c’est du côté de l’artiste. La pénitentiaire va expliquer que c’est important pour eux de pouvoir s’exprimer, de pouvoir mettre des mots. Et pour les mots des poètes sont nécessaires. Que c’est important qu’ils s’impliquent dans un projet collectif, aillent au bout de quelque chose, respectent leur contrat et leur engagement. C’est une expérience préprofessionnelle en quelque sorte. Il y a aussi l’idée de se sentir fier d’avoir fait ça, d’avoir été capable de jouer sur scène devant du public que l’on ne connait pas.

Comment se met en place le festival et avec qui ?

Iliade dans le Cadre de Vis-à-Vis TPV © Charlotte Gonzalez

Valérie Dassonville : Ce n’est jamais facile à monter ! Encore plus en ce moment particulier et que j’espère contextuel qu’est la Covid ! Nous avons une singularité dans la manière de monter ce festival. Le Paris-Villette l’organise et le produit mais nous n’en faisons pas la programmation. On travaille de la façon suivante. Avec le référent culturel de la direction interrégionale des services pénitentiaires et la DRAC, nous contactons les coordinateurs culturels de tous les établissements pénitentiaires d’Ile-de-France. Il y en a un par établissement. Un an et demi avant l’édition du festival, nous leur demandons les projets qu’ils souhaiteraient faire remonter. Ils ont du temps pour réfléchir. On se revoit six mois plus tard. Ils nous disent alors qu’ils travaillent avec tel artiste, tel chorégraphe, tel metteur en scène, tel plasticien et ce qu’ils voudraient présenter à Vis-à-vis. Les coordinateurs culturels vont avec les compagnies produire les créations et s’engager à ce qu’elles convergent un temps sur les jours du festival. C’est vraiment le choix des coordinateurs et nous le respectons. Nous n’intervenons pas. Il se trouve qu’il y a des artistes que l’on connaît, parce que l’on a déjà travaillé avec eux où par leur renommée comme Olivier Py. Dans cette édition, il y a Anthony Quenet et Claire Jenny. Il y a deux ans, il y avait Alexandre Zeff et Julie Brochen. C’est pour cette raison que le festival tient bien, parce que son fonctionnement est très collaboratif. Vis-à-Vis essaye de donner une visibilité à toutes ces actions qui sont menées par des grands metteurs en scène, des connus et des moins connus, des artistes dont c’est le projet artistique. L’artiste, pour moi, est vraiment dans le travail de l’espace commun. Après il vient rendre compte sur scène de cette aventure. C’est ça qui est beau. Il a un rôle de lien. 

Quels sont vos souhaits pour ces créations ?

Valérie Dassonville : Il faut que ces projets soient transmis au public. C’est peut-être aux directeurs de théâtre de faire ce lien parce que ces créations ne sont pas encore suffisamment intégrées aux programmations. On a prouvé avec L’Iliade qu’un spectacle avec six détenus longue peine, trois qui venaient de sortir et cinq comédiens professionnels, cela pouvait tourner deux ans et demi. Et tout le monde était payé et sous contrat ! Quand les spectacles sont beaux, il faut les considérer comme des spectacles à part entière ! Vis-à-Vis est un cheval de Troie ! Les artistes ne font pas les choses au rabais. Il y a deux ans, après les spectacles de Claire Jenny et Anthony Quenet, le public était debout. Cela crée une observation réciproque de la société sur elle-même qui est fabuleuse.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Festival Vis-à-Vis#4
Théâtre Paris-Villette
211 Avenue Jean Jaurès
75019 Paris

Du 20 au 23 janvier 2022

Crédit photos © Louise Arnal, © Coralie Tchina DAP et © Charlotte Gonzalez

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