Œuvrer son cri, chronique d’un théâtre occupé

Dans «Œuvrer son cri», Sacha Ribeiro transforme le spectacle en occupation, et donne à voir la naissance d'un théâtre autogéré.

©Marion Bornaz

Dans la vague des mobilisations de contestation qui suivent le passage en grande force de la réforme des retraites, des collages surplombent la scène du TCI. Côté cour, on peut lire en peinture noire sur feuilles blanches « non à la réforme, oui à la mobilisation. » Les pistes sont brouillées entre la pièce et son dehors. La vie qui imite l’art… Sur scène, des interviews vidéo vont d’abord chercher les personnages d’Œuvrer son cri dans leurs environnements respectifs, rallumant le souvenir des occupations de théâtres de 68 à nos jours, de Paris à Berlin en passant par Lyon, où le metteur en scène Sacha Ribeiro, formé à l’Ensatt, participait à occuper les Célestins en 2016. Les mêmes comédiens ne tardent à débouler, éclairés à la torche, dévalant les coursives pour élire domicile dans la salle noire de la Cité internationale universitaire. Fiction aux airs de déjà-vu : alors que la mairie s’apprête à sacrifier le théâtre en faveur d’un projet encore indéfini — extension du restaurant universitaire en face, construction d’un solarium ou rachat par un promoteur immobiliers — ces jeunes artistes décident d’occuper les lieux pour tenter d’y construire une oasis libertaire, ouverte et participative, garantissant un accès égalitaire à l’outil de travail et tissant un lien entre la salle et les habitants du quartier.

Œuvrer son cri montre un théâtre en construction. La pièce elle-même est conçue pour s’adapter aux lieux et aux publics, pour renouveler à chaque fois un même défi : et si le théâtre dans lequel nous sommes assis devait être laissé à l’abandon ? Lucie Auclair, Logan De Carvalho, Alicia Devidal, Marie Menechi, Lisa Paris, Clément Soumy, Simon Terrenoire et Alice Vannier, comédiens et coauteurs de la pièce, campent les différentes forces vives de cette occupation, avec ses doutes et ses tâtonnements. Montrant en accéléré ce petit monde prendre forme dans le théâtre vide, la Cie Courir à la catastrophe signe une pièce composite, où des instants chorégraphiés laissent ici place à un poème de Brecht, et là s’entremêlent à des propositions plastiques et performatives. L’ensemble sonne juste dans sa description des contradictions internes et des embuscades politiques qui, souvent, brouillent les plans établis a priori. L’un des personnages rappelle assez tôt dans la pièce qu’occuper un théâtre, c’est aussi imposer des formes. Mais à force de lucidité, Œuvrer son cri se montre trop réservé, comme si, ayant posé les contingences desquelles la petite équipe est tributaire, la pièce se retrouvait empêchée dans l’invention de ce à quoi pourrait ressembler le travail de ce théâtre utopique. Il n’empêche que cet ouvrage porte fièrement le sceau du collectif, et fait vivre, au plateau, de beaux moments de vie militante. Dehors, dans Paris, les manifestants aussi cherchent d’autres modèles. Et Brecht de conclure : « Les vaincus d’aujourd’hui sont demain les vainqueurs/Et jamais devient: aujourd’hui ».


Œuvrer son cri de Sacha Ribeiro/Cie Courir à la catastrophe
Théâtre de la cité internationale
17, boulevard Jourdan
75014 Paris

Du 18 au 27 mars 2023
Durée 1h45

Mise en scène Sacha Ribeiro
Écriture collective
Scénographie Camille Davy
Lumière Clément Soumy
Costume Léa Émonet
Vidéo Jules Bocquet
Son Nicolas Hadot
Avec Logan De Carvalho, Lucie Auclair, Alicia Devidal, Marie Menechi, Lisa Paris, Clément Soumy, Simon Terrenoir 
et Alice Vannier

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