Nos corps empoisonnés de Marine Bachelot Nguyen © Hélène Harder

Nos Corps empoisonnés, orange n’est pas qu’une couleur

Aux Plateaux Sauvages, avant Mythos en avril et Avignon en juillet, Marine Bachelot Nguyen présente sa nouvelle création, Nos Corps empoisonnés.

Nos corps empoisonnés de Marine Bachelot Nguyen © Hélène Harder

Aux Plateaux Sauvages, avant le festival Mythos à Rennes en avril et Avignon en juillet, Marine Bachelot Nguyen présente sa nouvelle création Nos Corps empoisonnés. En portant au plateau les combats la militante Tran To Nga, c’est toute l’histoire moderne du Viêt Nam qu’elle met en lumière.

© Hélène Harder

Une femme se tient droite, imperturbable face au public, aux juges du TGI d’Evry et à la dizaine d’avocats de multinationales qu’elle accuse depuis des années d’avoir empoisonné son corps, son sang, ses enfants, sa terre ainsi que des millions d’autres personnes. À 79 ans, Tran To Nga n’a rien perdu de sa niaque, de sa pugnacité. Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné, la comédienne qui l’incarne, est certes nettement plus jeune, mais a en commun avec elle cette force intérieure, ce petit air de ressemblance qui lie les combats de l’une aux mots que l’autre porte au plateau. 

« Une femme-monde »
Nos Corps empoisonnés de Marine Bachelot Nguyen © Hélène Harder
© Hélène Harder

Née en 1942 dans une famille aisée de Sóc Trăng, alors sous protectorat français, Tran To Nga est un phénomène, un symbole. Silhouette gracile, presque fragile, visage déterminée, elle impose le respect. En huit décennies, elle en a connu des drames, des tragédies. Son histoire, c’est celle du Viêt Nam. De la lutte pour l’indépendance jusqu’au procès d’Evry en janvier 2021, où elle se porte partie civile contre quatorze firmes d’agrochimie ayant fourni à l’armée américaine le fameux agent orange, défoliant responsable de millions de victimes des années 1960 à nos jours en passant par la guerre contre les Américains et l’instauration en 1975 du gouvernement communiste, elle a tout vécu dans sa chair. 

Indestructible, imperturbable, elle lutte, se bat. Jamais elle ne renonce. Journaliste, elle raconte son histoire, celle ses concitoyens, de ses amis, de ses proches. Profondément humaine, elle croit en la justice, en un monde meilleur. Déjà enfant, elle aide sa mère à passer des messages aux rebelles. Devenue jeune adulte, elle rejoint le mouvement du Front national de libération du Sud Viêt Nam et devient correspondante de l’agence vietnamienne d’information. En 1966, une pluie gluante dégouline sur ses épaules. C’est la première fois qu’elle est contact avec l’agent orange. Une bonne douche, vite, lui conseille sa mère et l’incident est aussitôt oublié. C’est bien plus tard qu’elle fera le lien avec la mort à 17 mois de sa première fille, les atteintes cardiaques et osseuses dont souffrent ses deux autres enfants et les maladies — cinq des pathologies identifiées par les Américains comme étant causées par une exposition à la dioxine contenue dans l’agent orange — dont elle-même est victime. Comme nombreux de ses compatriotes et leurs descendants, mais aussi comme beaucoup d’américains ayant fait la guerre du Viêt Nam, elle a été empoisonnée. Plus question de se taire, Tran To Nga, « femme-monde » comme la voit Marine Bachelot Nguyen, entame un long combat pour que soit reconnu l’écocide subit par son pays. 

Un nouvel espoir
Nos Corps empoisonnés de Marine Bachelot Nguyen © Hélène Harder
© Hélène Harder

Bien que le tribunal d’Evry se soit déclaré incompétent pour juger de la plainte de l’activiste Franco-Vietnamienne, l’autrice et metteuse en scène souhaite poursuivre la lutte et porter le débat sur la scène d’un théâtre. Sur le fond, rien à dire. De sa plume limpide et très documentée, elle offre une belle tribune à Tran To Nga et à ses combats. On vibre à chaque drame subi, on se laisse porter par sa détermination, sa force de caractère, toujours égale malgré les épreuves. C’est sur la forme que l’on peut s’interroger. Malgré les images d’archives qui défilent et le jeu tout en nuances d’Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné, l’ensemble reste un peu trop lisse, trop classique, trop terre-à-terre. Comme si le tout manquait un peu de ce souffle si vital, si ardent, que la militante insuffle à chacune de ses batailles, à chaque moment de sa vie. 

Avec Nos Corps empoisonnés, Marine Bachelot Nguyen poursuit son exploration des mémoires familiales, des tragédies d’ailleurs qui habitent les exilés d’hier et leurs successeurs d’aujourd’hui. S’inscrivant dans la lignée de Circulations capitales, cette nouvelle création a tout d’un théâtre documentaire qui ne demande qu’à prendre chair. Le temps, ainsi que la présence irradiante et omniprésente de Tran To Nga, devraient l’aider à y arriver. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Nos Corps empoisonnés de Marine Bachelot Nguyen
Les Plateaux sauvages
5 Rue des Plâtrières
75020 Paris
jusqu’au 25 mars 2023
Durée 1h25

Tournée
le 6 avril 2023 au Festival des cultures, La Sorbonne Nouvelle (Paris)
le 11 avril 2023 au Théâtre du Champ au Roy (Guingamp) 
le 14avril 2023 au Festival Mythos 2023 (Rennes)
les 2-3 mai 2023 au Festival Eldorado, CDN de Lorient 
en juillet à La Manufacture-Avignon – Festival OFF d’Avignon

Mise en scène de Marine Bachelot Nguyen
Avec Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné et la participation de Tran To Nga
Vidéo et scénographie de Julie Pareau
Création lumière d »Alice Gill-Kahn
Son de Pierre Marais

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