Jeudi, Théo Delezenne ©Marie Charbonnier

Jeudi, l’émouvant seul-en-scène de Théo Delezenne

Au théâtre La Flèche, Théo Delezenne signe avec «Jeudi» sa première création. Le jeune auteur, comédien et metteur en scène y fait montre de son talent dans un seul-en-scène vulnérable et émouvant.

Fidèle à son habitude, le théâtre La Flèche, incubateur de jeunes talents au cœur du XIe arrondissement de Paris, offre chaque jeudi depuis janvier une opportunité précieuse et assez rare sur nos scènes : celle de passer un moment privilégié en face d’un jeune artiste en devenir. À vingt-six ans, Théo Delezenne, en fin de cursus au conservatoire national, signe avec Jeudi sa première pièce. Une partition solitaire. Et s’il y campe un dénommé Matthieu, ce n’en est pas moins son parfait alter-ego qui s’adresse à nous. Nous arrivons dans la salle comme dans une chambre, c’est-à-dire en pleine intimité. Au milieu du plateau, un lit et quelqu’un qui s’agite sous la couverture. On tombe bien : Matthieu n’arrive pas à dormir. Demain est un grand jour. Alors il nous parle.

Jeudi, Théo Delezenne ©Marie Charbonnier
©Marie Charbonnier

On ne sait pas trop, avant la fin, ce qui attend le jeune homme trépignant ce jeudi-là. Il semble en tout cas que l’événement à venir remue les souvenirs les plus enfouis. Et si le garçon s’apprête à peine à quitter l’enfance, il charrie déjà indéniablement le poids d’une généalogie compliquée. Conçu au Touquet, élevé à Roubaix, Matthieu grandit entre l’église et la chasse à courre, parmi la bourgeoisie pas-de-calaisienne. En avançant dans l’âge, il tombe des nues face aux injonctions virilistes, aux logiques arbitraires du capitalisme et aux hypocrisies politiciennes, tandis qu’au-dessus de lui plane l’absence d’un grand-père démissionnaire et d’une tante suicidée. Pensant à voix haute quand il ne rattrape pas le public par des adresses directes ou des chansons, le jeune candide essaie de trouver du sens dans tout ça.

Jeudi ne cherche pas à réinventer le genre du seul en scène autofictionnel. À l’inverse, Théo Delezenne se prête à l’exercice avec une désarmante entièreté, sans prétention autre que celle de porter sur ses seules épaules ce monologue très personnel. Et avec ses airs d’un autre temps, rappelant volontiers un Galabru jeune, le comédien s’en tire avec beaucoup de panache, faisant montre d’une belle aisance à occuper le plateau. Les imperfections de cette œuvre de jeunesse, plus blessée qu’il n’y paraît au premier abord, sont le corollaire d’un tel pari. Le récit passe par quelques sentiers battus, et la naïveté du personnage se rend parfois indistincte de celle de l’auteur. En même temps, c’est cette fragilité qui rend possible la naissance d’une émotion pleine et sincère, comme lorsque Delezenne, un peu sonné par sa propre exaltation à parler au public, s’interrompt pour confier : « Je ne serai jamais nourri d’amour à la hauteur de ma faim ».

Samuel Gleyze-Esteban

Jeudi de Théo Delezenne
Théâtre La Flèche
77 rue de Charonne
75011 Paris

Tous les jeudis 21h du 12 janvier au 16 mars 2023

Texte, jeu et mise en scène Théo Delezenne

Photos ©Marie Charbonnier

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