Jean-Michel Ribes © Giovanni Cittadini Cesi

Les 20 ans de Ribes au Rond-Point, souvenirs, souvenirs…

Après 20 ans à la tête du Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes quitte ce lieu magique.

Jean-Michel Ribes © Giovanni Cittadini Cesi

Janvier 2002, avec la nomination de Ribes à la tête du Rond-Point, le paysage culturel parisien prend les couleurs d’un arc-en-ciel. Décembre 2022, ce grand directeur qui a choisi le rire, la curiosité et la découverte comme arme de résistance, part de ce lieu qu’il a rendu mythique. Quitte à être familière, tout en restant Palace : merci Jean-Michel pour toutes ces belles années.

Pour célébrer ses années Rond-Point, Jean-Michel Ribes et son équipe, sans laquelle rien n’aurait pu se faire, ont regroupé dans un beau livre leurs souvenirs de ces 20 ans de liberté. En le feuilletant, à la manière de Georges Perec, j’ai égrené les miens sur cette époque bénie. J’ai beaucoup traîné mes guêtres et ma soif de théâtre dans ce lieu qui ne ressemblait à aucune autre. J’y ai connu tant de plaisir, de joie, d’éclats de rire, mais eu aussi des déceptions et des expectatives. C’est le principe de la création, il y a des fois où ça passe et d’autres où ça casse. Mais le foisonnement était tel qu’il s’y passait toujours quelque chose. J’y ai aussi, et c’est essentiel, rencontré de très belles personnes.

Je me souviens du Rond-Point d’avant
Le Théâtre du ROnd-Point © Giovanni Cittadini Cesi

En 1977, c’était une patinoire où j’allais glisser sur la glace avec les copains et les copines. De 1981 à 1991, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault en firent un beau théâtre, que Marcel Maréchal dirigea ensuite de 1995 à 2000. Après son départ, une question était sur toutes les lèvres : qui allait être nommé à la direction ? Bien que ses murs appartiennent à la Ville de Paris, il n’est pas municipal. Le ministère de la Culture a son mot à dire, parce qu’il le subventionne. Comme le rappellera Ribes lors d’un entretien : « C’est un lieu atypique, subventionné à 50 % par la ville et 50 % par l’État. Mais cela ne représente qu’un tiers du budget » — le reste est assuré par les recettes propres, les tournées et les partenariats. Alors, qui allait être choisi ? Francis Huster, qui en rêvait tant ? Un entrepreneur de spectacle ? Une grande figure de l’intelligentsia ?

Je me souviens de la nomination de Jean-Michel Ribes

Ça en avait fait, du bruit ! Catherine Tasca, ministre de la Culture, et Bertrand Delanoë, maire de Paris, avaient eu le courage de donner des responsabilités à une personne dont la ligne de conduite était l’humour et la dérision. Pour certains bien-pensants, c’était la fin de tout et le commencement du grand n’importe quoi. Ceux-là mêmes qui, quelque temps plus tard, se battront pour y être programmés. Pour d’autres, auxquels j’appartenais, c’était la promesse d’un théâtre qui allait être ardent et différent. Ribes le promettait, le Rond-Point allait devenir un lieu de création où les auteurs vivants seraient à l’honneur. Il promettait de nous surprendre, de nous étonner, de parler de la société et du monde, d’en faire un lieu « de vie, d’envie et de rencontres ». Avec les trois salles, la librairie et le restaurant, il a tenu parole.

Je me souviens de l’esprit ribesien

Pour moi, que ce soit en tant qu’auteur de théâtre, metteur en scène, réalisateur ou créateur d’émissions cultes comme Merci Bernard et PalaceRibes a depensé sans compter. Comme j’ai aimé son Théâtre sans animaux, ses Brèves de Comptoirs, ses mises en scène des textes de ToporGrumbergDubillard ! Mon plus grand souvenir de spectatrice demeurera son spectacle Musée haut, Musée bas, un chef-d’œuvre où il exposait tout ce qui forme l’esprit ribesien — humour et intelligence. Je n’oublie pas non plus son spectacle Batailles, co-écrit avec Topor (un vivant parmi les morts), dans lequel ces deux généraux du rire menaient une guerre aux incongruités de la vie. L’homme peut être aussi attachant qu’agaçant, mais ainsi est fait l’être humain, et ces contradictions font le nerf de la créativité.

Les nouvelles brèves de Comptoir © Brigitte Enguerand
Je me souviens du bruit joyeux de la création

Avec une trentaine de spectacles par an, si je ne me suis pas trompée dans mes calculs, cela fait 653 spectacles programmés. Avec ou sans les Grands Mezzes d’Édouard Baer et de François Rollin, qui ont occupé nombre de mes dimanches soir. En y ajoutant les Mardis Midis, lectures proposées par les E.A.T. (écrivains et écrivaines associé•e•s du Théâtre, qui ont contribué à la création du Rond-Point).

Sans oublier, les rendez-vous avec la Fondation Culture et Diversité qui a permis à des lycéens de l’éducation prioritaire de découvrir le spectacle vivant et même de se produire sur scène (Merci Jean-François Tracq et Pierre Zaoui). Sans omettre tous les débats, les conférences, les performances, les rencontres et les exceptionnelles. Ce qui faisait ronchonner la rédactrice en chef du journal Pariscope, lorsqu’elle relisait les pages théâtres (« Il en prend, de la place ! ») ou nos articles (« Encore ! »). Si la crise sanitaire a fait réduire la voilure, elle n’a pas empêché Jean-Michel Ribes de réagir et de trouver des solutions.

Couverture du Livre 20 ans de Liberté Théâtre du Rond-Point
Je me souviens d’y avoir vu

En parcourant le livre, je me suis amusée à compter les spectacles que j’y ai vus. Plus de 300 ! En replongeant dans mes archives, j’ai repassé en revue ces vingt années de création contemporaine avec toute sa diversité. Théâtre cirque, danse, comiques, extravagants, il y en avait pour tous les goûts et tous les styles. On y a applaudit des vedettes et même des stars. On a découvert des artistes en devenir, dont certains sont sortis du lot.

Si je ne devais garder qu’une dizaine dans toute la programmation, je dirais dans le désordre et que les autres me pardonnent : le récital de Michel Fau, La mélancolie des dragons de Philippe Quesne, Les Claudine de Caubère, Les belles-sœurs de Michel Tremblay, René l’énervé, Musée Haut et Musée bas de Ribes, Les Diablogues avec Gamblin et Morel, La symphonie du Hanneton de Thierrée, Les Semianyki, Pippo Delbono, Emma Dante, Pierre Notte, Pierre Guillois (et ses petits lapins)…

Je me souviens de cet esprit de fête perpétuelle
Le restaurant du Ront-Point © Giovanni Cittadini Cesi

Dès le début, le Rond-Point est devenu le lieu qu’il fallait fréquenter. Qu’il est émouvant à entendre les bruissements des spectateurs stagnant dans le hall, attendant devant les portes des salles. Une anecdote me revient : Micheline Presle (qui allait tout voir) répétant, avec patience et modestie, son nom à la jeune fille qui était en charge de donner les invitations et qui visiblement ne savait pas qui elle était.

Le restaurant a participé, à sa manière, au succès du lieu. On y mange et boit des verres, bien sûr. C’est un lieu où l’on croise artistes, professionnels, journalistes, passionnés. On y refait le spectacle ou le monde. Et quand on traîne dans les théâtres du coin, on s’y retrouve. Normal, il est le seul endroit sympathique du quartier. Tout comme sa librairie où il est difficile d’entrer sans en ressortir avec un livre !

Le Rond-Point de Ribes, c’était tout cela. J’y étais comme à la maison. Le 1er janvier 2023, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, qui ont fait les beaux jours du théâtre Sylvia Monfort, prennent la direction du navire. Nous partons pour de nouvelles aventures. À suivre donc…

Marie-Céline Nivière

Théâtre du Rond-Point de Jean-Michel Ribes – 20 ans de liberté, Beaux Arts éditions.

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris.

Crédit photos © Giovanni Cittadini Cesi © Brigitte Enguérand pour le spectacle Les nouvelles brèves de comptoir.

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