Anthéa Sogno © Stephane Caso

L’hommage d’Anthéa Sogno à un « Sacha Guitry intime »

Grâce à Sacha Guitry et à ses œuvres, la comédienne a nourri son inconditionnel amour du théâtre, devenant directrice de deux lieux, le Théâtre des Muses à Monaco, et la Condition des soies à Avignon.

Elle retrouve le bonheur des planches et Paris avec Sacha Guitry intime, spectacle inspiré par les mémoires de Fernande Choisel, sa collaboratrice. Elle nous raconte tout ceci avec passion et tendresse.

Guitry et vous, on peut dire que c’est une longue histoire d’amour…

Anthéa Sogno : Oui, contre toute attente, car la première fois que mon père m’a « présentée » Sacha Guitry, à la télévision j’étais en pleine crise d’adolescence. Sceptique, je regardais ce monsieur en noir et blanc qui, à force de grands gestes et de mots d’amour, s’évertuait à séduire une femme. Mon père riait, en me disant : « Quel génie ! Tu vas voir ! Écoute-bien ça ! » Comme j’étais en crise d’adolescence, j’ai rejeté en fustigeant l’enthousiasme paternel : « c’est vieux ton truc, cela n’a plus d’âge. », et je suis remontée dans ma chambre. Je l’entends encore me dire : « Tu changeras d’avis ! » Si bien que moi aussi, je peux dire aujourd’hui à mon tour que Mon père avait raison.

Et qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Anthéa Sogno dans Sacha Guitry Intime © Michèle Laurent

Anthéa Sogno : Quelques années plus tard, après avoir quitté mon cocon monégasque pour conquérir Paris, j’ai découvert l’œuvre de Guitry. À cette époque, je partageais mon temps entre le cours Florent et le Théâtre de Paris où j’étais ouvreuse. Désireuse de présenter le conservatoire, j’étais en quête de scènes à travailler et un ami m’a suggéré Faisons un Rêve. Il faut dire que ce qui m’intéressait le plus, déjà, c’était le romantisme, le comique et l’élégance. Je n’ai pas réussi à rentrer au Conservatoire mais quelle révélation !

Plonger dans l’œuvre de Sacha Guitry, m’a permis de découvrir l’ambiance dans laquelle j’imaginais que mes grands-parents avaient vécu et il restait d’ailleurs, encore chez eux, quelques réminiscences. Je découvrais en détail, dans un univers délicat, comment l’art de la séduction pouvait habilement se substituer aux rapports de force qui règnent entre les hommes et les femmes. Là, le comique ne jaillissait quasiment que grâce à l’esprit et la langue magnifique, suggérait tout ce que l’amour entraîne de plus trivial quand on n’a pas les bons mots pour s’exprimer. Les situations au sein desquelles il place ses personnages, souvent moins rocambolesques que chez Feydeau, donnent plus de réalisme et décortiquent profondément les enjeux psychologiques et les désirs des personnages. Pour finir, c’est de l’esprit, qui règne en maître, que jaillit le comique. Quant aux dialogues qu’échangent les personnages et qui précisent sa philosophie, quelle maestria !

Ce qui vous a séduit…

Anthéa Sogno : Ce que j’ai profondément ressenti, c’était son intelligence et pas que celle de ses méninges, mais aussi celle de son cœur, parce qu’il y a dans sa manière de croquer ses personnages autant de lucidité que d’amour pour l’humanité. Souvent, son humour, qui n’est jamais agressif, naît de ce décalage. À l’instar de Feydeau qui disait que « l’humour, c’est la politesse du désespoir », Guitry savait observer, comprendre, ressentir les préoccupations de ses contemporains toutes strates sociales confondues. C’est ce regard, cette intelligence qui m’a fascinée. Comme j’étais très seule à cette époque, éloignée de ma famille, Sacha est devenu une sorte de père spirituel, d’amant fantasmé, d’ami magique, de guide me faisant découvrir toutes celles et ceux qui le passionnaient. Par ricochet, au fur et à mesure que je découvrais ses amitiés, ses étoiles à lui m’ont éblouie. En fait, mon premier influenceur, c’est lui !

Il vous a également accompagnée dans votre carrière que vous avez démarrée grâce à lui…

Anthéa Sogno : Complètement ! Avec ma compagnie, on a monté d’abord, Quoi de neuf ? Sacha Guitry. C’était un ensemble de quatre pièces en un acte qui avait été mis en scène par Michel Galabru, Jacques François, François Perrot et Donald Cardwell, sous le parrainage de Jean-Claude Brialy. On était allé voir tous ces grands messieurs, pour leur demander de nous aider dans notre premier spectacle. Ce qui est magnifique au théâtre, c’est qu’il y a entre les anciens et les jeunes, quelque chose de sacré qui est le souci de la transmission.

Bien qu’ils fussent certainement débordés, ces messieurs ont pris le temps de nous aider à monter notre spectacle. Cela nous a porté bonheur puisqu’on l’a joué 600 fois. Mais cela ne s’est pas fait tout seul, rien ne se fait facilement dans le monde du théâtre. Avant de brûler les planches, il faut déjà se brûler soi-même ! Il faut aller partout, frapper à toutes les portes et quand on vous fiche dehors, il faut savoir entrer par la fenêtre avec un bouquet de fleurs !

Et vous avez poursuivi votre exploration de son théâtre…
Sacha Guitry © DR

Anthéa Sogno : J’étais tombé en amour pour cet auteur. Il y a eu Une nuit avec Sacha Guitry, qui était sa 125e pièce ! En réalité, il en a écrit 124. Le fait de les avoir quasiment toutes lues, m’a permis d’écrire pour lui cette 125e pièce. Chaque mot est de lui, je n’ai fait que l’assemblage mais une vraie dentelle ! À travers un personnage qui lui ressemblait, cette pièce mettait en lumière Sacha Guitry. On le voyait vivre véritablement. Ce spectacle a connu un immense succès. On l’a joué 700 fois. Alors qu’il avait démarré dans un tout petit théâtre au Festival Off d’Avignon, il s’est terminé au théâtre Marigny où il a triomphé pendant six mois.

Ensuite il y a eu Faisons un rêve ! Après quelques infidélités hugoliennes je lui suis revenue avec Une petite main qui se place, puis pendant le premier confinement avec ma conférence théâtralisée, Si Sacha Guitry vous était conté est née… Ce qui m’a donné l’envie d’accoucher d’une chose dont je rêvais depuis longtemps, mais que quelle part je m’interdisais, tant cette discipline est sacrée pour moi, tant j’admire Philippe Caubère, le spectacle seul en scène.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez osé franchir le pas ?

Anthéa Sogno : En découvrant Fernande Choisel, qui a été sa secrétaire et sa meilleure spectatrice, comme il le disait lui-même, durant 32 ans. Régulièrement, il lui dictait instantanément les dialogues qui lui venaient en tête. Mais, elle était aussi spectatrice de sa vie, parce que chez Guitry, tout se mélange, la vie et la scène.

Comment l’avez-vous découverte ?

Anthéa Sogno : En retrouvant ses mémoires, Sacha Guitry Intime, que j’avais chinées chez les bouquinistes et dont j’avais remis à plus tard la lecture. Les confinements m’en ont donné le temps et cela a été un sésame de découvrir ce personnage.

Pourquoi ?

Anthéa Sogno : Jusqu’ici, je m’étais toujours secrètement demandée, laquelle des femmes de Sacha j’aurais aimé être ? Charlotte Lysès, qui fut sa pygmalionne. Yvonne Printemps, cette bête de scène qu’il aima à la folie et qui lui en fit voir de toutes les couleurs. La belle Jacqueline Delubac, m’a préférée. Geneviève Guitry, la femme enfant. La sublime Lana Marconi qui fut sa veuve. Étant l’une d’entre elles, je n’aurais pu en être une autre. En découvrant Fernande, j’ai compris que c’était elle, que j’aurais vraiment aimé être. Tout simplement parce qu’elle a eu la chance de pouvoir rester le plus longtemps possible auprès de lui et surtout de partager l’aventure la plus importante avec lui : le travail.

D’après moi le plus grand amour de Sacha c’est son père, qui avait pour culte, pour religion, le Théâtre. Pour être à sa hauteur, pour le prolonger, il avait besoin d’être le monstre sacré de théâtre qu’il est devenu. Sa collaboratrice était la personne à qui il pouvait demander tout et n’importe quoi pour que cette chose du travail sacré puisse s’accomplir.

Comment avez-vous abordé l’écriture de ce spectacle ?
Anthéa Sogno dans Sacha Guitry Intime © Michèle Laurent

Anthéa Sogno : Mon spectacle démarre comme le livre sur la rupture et le coup de fil d’Arletty, initié certainement par Sacha Guitry. Ensuite, je me suis débrouillée pour que, tout en rangeant ses affaires, elle raconte sa vie auprès le lui, tout ce qu’il a été pour elle. Comment elle, petite sténodactylo venue de province, est entrée dans sa vie et comment lui, finalement l’a littéralement aspirée.

Vous êtes parti de ses mémoires que vous avez enrichies…

Anthéa Sogno : Depuis très longtemps, j’ai eu le bon réflexe de souligner les passages que je trouvais formidable dans toutes les biographies que je lisais. J’ai ainsi pu récolter et recouper des informations, des idées, que j’ai intégré dans le spectacle. Le but était que ce spectacle puisse aussi bien réunir les profanes que les connaisseurs. Permettre aux premiers de le découvrir et d’apprendre encore aux seconds des choses qu’ils ignoraient. Maintenir cet équilibre ténu fut ma première difficulté. La seconde était de choisir quoi mettre en avant car lorsqu’on est face à un tel monstre sacré, tout est fantastique. J’aurais pu faire 4 ou 5 spectacles d’1h30. Disons un spectacle par femme ! Mais il n’y a que Philippe Caubère qui soit capable d’une chose pareille ! 1h40 en scène, en jouant tous les personnages, c’est déjà une aventure merveilleuse !

Avec ce spectacle vous rendez un véritable hommage à ce grand auteur…

Anthéa Sogno : Que je considère comme le Molière du XXe siècle. Il faut arrêter de le réduire à cette idée qu’il était misogyne ! Chaque fois que ses aphorismes, jugés misogynes, sont cités dans les médias, ils sont sortis du contexte théâtral ! Il adorait les femmes ! Moi qui l’ai lu de A à Z, je peux en témoigner. C’est d’ailleurs une des raisons d’être de ce spectacle.

Pour le bien de tous, pour la sauvegarde de ce qu’on appelle l’Esprit Français, il faut que la jeunesse s’empare de Sacha Guitry. Il faut qu’elle redécouvre ses pièces et ses films. Le mieux étant d’aller voir en priorité ses films, afin de comprendre qui il était vraiment, se familiariser avec ses mots, le ton de sa voix, ses intonations. Il faut le voir parler aux femmes, les séduire en ayant recours à ce fameux esprit, véritable sésame ou formule magique. Et puis, il y a aussi ses livres, 4 ans d’occupations, 50 ans d’occupations, Toutes réflexions faites, Si j’ai bonne mémoire.

Tous ces ouvrages sont pour moi des bréviaires, de véritables préceptes d’une philosophie accessible permettant d’appréhender toute chose. Par le prisme de son regard bienveillant mais lucide, tout devient drôle et même beau. C’est ce paradoxe qui fait de lui le grand auteur, comédien et réalisateur qu’il a été. Mon souhait le plus cher est de transmettre ce grand trésor à la jeunesse, ainsi qu’aux moins jeunes qui n’ont pas eu, comme moi, la chance d’avoir été initiés.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Sacha Guitry Intime, spectacle écrit et interprété par Anthéa Sogno.
Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Du 31 août au 16 octobre 2022.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30.
Durée 1h40.

Collaboration artistique de Marie Simon et Jacques Décombe.
Création lumières de Luc Khiari.
Musique d’Alain Bernard.

Crédit photos © Stephane Caso, © Michèle Laurent & © DR

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