Aida Asgharzadeh © Sarah Robine

Aïda Asgharzadeh, au cœur du théâtre épique

Les Poupées persanes, gros succès du Festival Off d’Avignon en 2021 et 2022, arrive enfin à Paris aux Béliers. Rencontre avec une femme généreuse et sublime.

Aida Asgharzadeh © Sarah Robine

Sa pièce Les Poupées persanes, gros succès du Festival Off d’Avignon en 2021 et 2022, arrive enfin à Paris aux Béliers. Rencontre avec une femme généreuse et sublime, qui à travers son univers, sait nous toucher et nous émouvoir.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?

Il s’avère que j’ai fait russe LV1 à l’école. Et notre prof nous a fait assister, en sortie scolaire, à une représentation des Trois Sœurs de Tchekhov. En version originale donc. Non sous-titré. C’était affreux.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Les poupées persanes ©Alejandro Guerrero

Heureusement qu’après les Trois Sœurs, j’ai vu Forêts, de Wajdi Mouawad. Je me souviens être restée scotchée à mon siège durant tout l’entracte, à « fait le point » pour conclure : c’est exactement ça que je veux faire.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et autrice ?

J’aime raconter des histoires. Transmettre des bouts de vie. Et des bouffées d’émotions. Petite, j’aimais dessiner. Plus tard, j’ai tenté la musique et le chant (je chante très faux). J’ai cherché, mon envie était évidente, le média de transmission moins. En revanche, mon père a toujours eu l’amour du cinéma, bien qu’il n’ait aucun rapport avec le métier. Je me souviens de pas mal de samedis après-midi à voir des classiques en tout genre et les décortiquer ensemble : pourquoi ce plan, qu’amène la musique à tel endroit, etc. Le cinéma m’a toujours fascinée. C’est peut-être de là que viens mon besoin de visuel dans les histoires que j’ai envie de raconter.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?

Ce n’était malheureusement absolument pas dans la veine de Forêts. C’était un spectacle extrêmement… coloré. « Une pièce dadaïste et lyrique », disait l’affiche. Quelque chose de très formel dans le jeu, très géométrique, et des couleurs à n’en plus finir. Je ne suis pas sûre qu’on comprenait tout ce qu’on disait au plateau – pour donner un aperçu, la pièce s’appelait L’Appel de la Pompe à Feu. Tout était… si bizarre. Je ne sais vraiment pas comment j’ai été castée dans cette distribution, (souvenez-vous que je chante faux). Mais malgré tout, qu’est-ce qu’on a rigolé avec l’équipe. On sortait à peine d’école et on était si heureux de signer notre premier contrat.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Forêts de Wajdi Mouawad ©Thibaut-Baron

Pour citer autre chose que Forêts (mais c’est vraiment ma révélation, je relis systématiquement la pièce avant d’en entamer une moi-même), je pense à Robert Lepage (évidemment) et dernièrement à Kanata. La pièce a été très contestée sur sa distribution – mais le travail de mise en scène, en termes de sensorialité est époustouflant. J’ai vraiment perdu le fil du temps et ai plané dans une autre dimension durant la représentation. J’avais éprouvé le même état durant Cercles/Fictions de Pommerat. Une scène amène une forêt et apparaît un cheval. Je me souviendrai toujours de cette sensation étrange d’être envahie par l’image, de me sentir au milieu du plateau, tout en me sentant diaphane…

Quelles sont vos plus belles rencontres ?

Elles ne concernent pas le théâtre directement : si mon métier est un besoin, mes amis sont mon socle. J’ai la chance d’avoir une bande d’amis, solide depuis longtemps. Ils m’amènent la sécurité et l’amour dont j’ai besoin pour m’épanouir – et travailler par ailleurs. Il s’avère que bon nombre d’entre eux sont dans le métier également, ce qui parfois nous permet de ne jamais se quitter, à ma plus grande joie ! Telle Ariane Mourier qui joue ma sœur dans les Poupées persanes.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?

Malgré les contraintes de ce métier, les doutes qu’il peut engendrer, surtout en termes d’insécurité, c’est la liberté qu’il me donne qui me soulage. J’ai l’impression de faire exactement ce que je veux, au rythme que je choisis, à l’endroit que je choisis. Avoir le choix et en faire sont extrêmement importants pour moi. D’être responsable et d’assumer. L’équilibre, je le trouve dans la double casquette : je suis quelqu’un d’aussi solitaire et sauvage que sociable et entourée. L’écriture permet d’assouvir le premier besoin. Écrire est quelque de très solitaire, où je « rentre en moi ». Puis viens de le partager avec les autres : les comédiens, les techniciens, les producteurs, le public…

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Kanata de Robert Lepage © David Leclerc (photo de répétition)

Je ne cherche pas l’inspiration. J’ai besoin de dire certaines choses et je le fais. Souvent, quand je bloque dans le processus de création, c’est que je ne raconte pas bien – fou pas exactement – ce que je veux dire. Et parfois j’ai besoin de dire (écrire), mais le vrai sujet de cette prise de parole est un peu flou. Dans ce cas, souvent, je vais courir (je cours beaucoup) et je sais qu’à la fin de mon footing j’aurai un début d’horizon dégagé.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?

Évidemment tous ceux que j’ai cités précédemment : Wajdi Mouawad, Robert Lepage, Joël Pommerat… Mais mon envie ne s’arrête pas qu’au théâtre – j’aimerais beaucoup travailler à l’image –, et aux célébrités. Je suis particulièrement heureuse de travailler avec mes amis. Il y a un lien, une confiance, un lâcher prise évident entre nous, qu’on met du temps à créer avec un inconnu. Et puis, le plaisir de partager du temps, la tournée, les voyages avec eux… Car le théâtre peut prendre beaucoup de temps. Se jouer sur plusieurs années. Pour une date de tournée, il faut compter un à deux jours d’engagement : les trajets, repas, répétitions, temps off, se retrouver au plateau, partager les émotions du public, débriefer après, le retour… C’est une aventure vivante et humaine forte.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?

J’aimerais vivre l’expérience d’une distribution vraiment nombreuse. Même si ça devient de plus en plus compliqué d’en financer. Nous sommes six sur Les Poupées persanes. C’est la plus grande distribution à laquelle j’ai participé. J’aimerais vivre une fresque à des dizaines de comédiens. Qui se passerait le temps d’un week-end dans un grand espace, une sorte de Henri VI hors les murs, dans un château avec 40 comédiens. Par exemple.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?

Ce serait sans hésiter un menu gastronomique au maximum de services. Au-delà d’être une grande gourmande, je suis passionnée et fascinée par le monde de la cuisine, l’alliance des saveurs-textures-couleurs, le parcours des chefs, d’où chacun tire ses références et créations. Souvent le matin, je sors de ma brume, munie d’un café, en regardant les nouveaux restaurants, quelques recettes, les mutations de chefs… D’ailleurs, j’imagine un prochain projet qui se passerait en cuisine.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Les Poupées Persanes d’Aïda Asgharzadeh.
Théâtre des Béliers Parisiens
14 bis rue Sainte-Isaure
75018 Paris.
A partir du 24 août 2022.

Du mardi au samedi à 21h, dimanche 15h.
Durée 1h20

Mise en scène de Régis Vallée
Avec
Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker, Azize Kabouche, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot, Ariane Mourier.
Lumières d’Aleth Depeyre
Costumes de Marion Rebmann
Musique de Manuel Peskine
Scénographie de Philippe Jasko
Texte édité aux Editions Les Cygnes.

Crédit photos © Sarah Robine © Alejandro Guerrero © Simon Gosselin © David Leclerc

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