Moi Kadhafi © Pascal Gely-2
MOI KADHAFI (REPETITIONS) de Veronique Kanor Mise en scene et scenographie de Alain Timar avec Serge Abatucci Production Centre Dramatique Kokolampoe Theatre des Halles Avignon le 9 juin 2022 © Pascal Gely

Moi, Kadhafi, jeu de rôles anti-impérialiste

Alain Timár met en scène Moi, Kadhafi de Véronique Kanor. Un jeu de rôles vertigineux dans lequel un comédien antillais s'apprête à incarner nul autre que le leader libyen.

Moi Kadhafi © Pascal Gely-2

Alain Timár met en scène Moi, Kadhafi de Véronique Kanor. Un jeu de rôles vertigineux porté par Serge Abatucci, dans lequel un comédien antillais s’apprête à incarner le leader libyen.

Dans la belle chapelle du Théâtre des Halles comme dans un cachot, il est là, assis dans un coin. Serge Abatucci joue Paul, un comédien qui s’apprête à incarner Kadhafi. Quelque chose dans le physique et dans l’allure. Lui est antillais, pas libyen. Dans ses écouteurs, un titre de Tiken Jah Fakoly, dans lequel la star du reggae francophone dénonce les guerres impérialistes de l’Occident. Paul, lui, cherche à saisir son rôle. Pas facile de se mettre dans les bottes d’un dictateur.

Moi Kadhafi © Pascal Gely

Kadhafi est mort en 2011 dans la confusion, lynché puis tué à Syrte au cours d’un soulèvement soutenu par la communauté internationale, laquelle aura laissé le pays dans l’instabilité la plus grande. Un temps, à l’aube de ses 42 ans de règne, le charismatique leader avait représenté un espoir pour les partisans de l’union panafricaine et la promesse d’une souveraineté retrouvée pour le peuple libyen, sur le modèle du socialisme islamique. Dans le panthéon aux côtés de Guevara, Sankara, Lumumba. Que s’est-il passé ?

Le spectre du dictateur

À mesure que Paul se laisse peu à peu habiter par le personnage, le chef d’état traqué par les forces occidentales se fait le miroir fantasmé du comédien qui quitte son île pour monter sur scène sur les terres de l’oppresseur. En fond, des images évoquent le pas cadencé de la Libye aux ordres du Colonel, le paradoxe de l’émancipation promise par la soumission militaire, et les projections rendent bien cette fascination qui fut aussi iconographique. Serge Abatucci se dévoile vraiment dans la deuxième partie du spectacle, à mesure qu’il endosse les costumes kadhafiens (lunettes de soleil, uniforme militaire puis gandoura) et plonge dans une rage vindicative. La mise en scène d’Alain Timár, dépouillée, faisant une utilisation juste de la vidéo, se fond parfaitement dans les murs de pierre de la chapelle, et orchestre bien cette odyssée solitaire.

Le verbe tranchant de Véronique Kanor oscille au gré de glissements allant du réel au fantasme mais également du français au créole. L’autrice martiniquaise donne corps à la position compliquée et ambivalente d’un homme aux prises avec l’histoire coloniale face à une figure de la libération qui a progressivement glissé dans la tyrannie et la violence. Sans didactisme, sans formuler de fausses excuses de bienséance, l’autrice rappelle que la fracture impérialiste ne nous revient pas à la face sans un petit vertige moral.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Moi, Kadhafi de Véronique Kanor
La Scala
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Du 9 au 21 janvier 2024.
Durée 1h15.

Festival Off d’Avignon

Théâtre des Halles
4 rue Noël Biret
84000 Avignon

Jusqu’au 30 juillet 2022 à 16h

En Guyane, octobre 2022
Centre dramatique Kokolampoe
Scène conventionnée de Macouria

Tournée
En métropole, à partir de janvier 2023
Mars 2023 :
Tropiques Atrium, Scène nationale de Martinique
Artchipel, Scène nationale de Guadeloupe

Mise en scène, scénographie Alain Timár
Avec Serge Abatucci
Lumière et régie Claire Boynard
Montage son et vidéo Quentin Bonami
Costumes Arlette Ricard

Crédit photos © Pascal Gely

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