Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin - Printemps des Comédiens © Gianmarco Bresadola

Michael Kohlhaas, le lanceur d’alerte entier et exalté de Simon McBurney

Au Printemps des comédiens, Simon McBurney et Annabel Arden font sensation avec leur adaptation vivante de Michael Kohlhass de Kleist.

Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin - Printemps des Comédiens © Gianmarco Bresadola

Simon McBurney et Annabel Arden font souffler un vent impétueux de révolte sur le printemps des comédiens. En portant à la scène le classique de Kleist à la façon d’une lecture augmentée, les deux artistes britanniques signent une œuvre totale, une fresque vibrante à couper le souffle que magnifie la troupe virtuose de Schaubühne.

Des bruits de cavalcade, le crépitement du feu, une foule hurlante, le son de la vengeance, de la hache qui tombe sur le billot, d’épées qui s’entrechoquent, avec rien ou presque, quelques accessoires à peine, Simon McBurney et Annabel Arden proposent de s’immerger jusqu’au vertige dans l’œuvre de Kleist. Avec minutie et ingéniosité, ils restituent les pensées, les doutes, les convictions profondes d’un marchand du XVIe siècle bafoué par un jeune hobereau licencieux et malhonnête.

Intraitable 
Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist
dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin - Printemps des Comédiens © Gianmarco Bresadola

Kohlhaas (impressionnant Renato Schuch) est implacable. Rien n’arrête son désir de justice, de vengeance. Prospère et heureux, sans naissance, adapte de la Réforme, il vit, avec sa famille, du commerce des chevaux. Tout va pour le mieux, il est prêt à toutes les concessions tant que ses droits sont respectés. Mais un jour tout bascule. Un petit seigneur, un peu trop sûr de sa supériorité, s’amuse à ses dépens en lui imposant un impôt illégal, en prenant en gage deux de ses étalons à la belle robe noire qui, après plusieurs semaines de mauvais traitement, ne seront plus que les ombres d’eux-mêmes. Fini la tranquillité d’esprit, le maquignon – au sens littéral du terme – se mue en héros vengeur, en lanceur d’alerte, en glaive justicier. 

D’après un drame devenu légende
Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin - Printemps des Comédiens © Gianmarco Bresadola

S’inspirant d’une histoire vraie,  Kleist place son personnage sur une ligne de crête entre justice et impitoyable violence. En quête de réparation, l’homme, éprouvé dans sa foi, dans son bon droit, dans sa chair – sa femme meurt sous les coups de soldats un peu trop zélés, après avoir voulu intercéder en sa faveur -, ne connaît plus de frontières, perd le sens de l’équité. Brutal, aveuglé par son inaliénable probité, sa croyance en un état de droit garanti par des seigneurs impartiaux et non inféodés à leurs caprices, à ceux de leurs pairs, il soulève derrière lui tout un pays, met à sac châteaux et villes qui oseraient protéger le scélérat cause de tous ses maux.

Seule la parole juste de Martin Luther calmera un temps son âme ardente, aveuglée par la vengeance. Refusant toutefois le bras tendu, le pardon, Kohlhaas, qui s’est perdu par un amour excessif de justice, désire uniquement que le droit soit respecté. Le reste n’a pas d’importance. Il accepte sereinement de payer de sa vie le prix de son opiniâtreté, sa droiture.  

Une mise en scène à rythme effréné
Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin - Printemps des Comédiens © Gianmarco Bresadola

Assis en ligne en fond de scène, les comédiens infatigables, prodigieux de la Schaubühne – Robert BeyerMoritz GottwaldLaurenz LaufenbergDavid RulandGenija Rykova et Renato Schuch – se lèvent comme un seul homme, une seule femme, et s’emparent des mots d’Heinrich von Kleist non pour les jouer mais pour les faire vivre et vibrer. Face public, texte posé sur des pupitres, micros à la main, ils font défiler l’histoire d’un homme, d’un ange justicier, d’un révolté. Perruques pour les uns, manteaux pour les autres, tout cela suffit à ce que chacun passe en un clin d’œil d’un personnage à un autre, et donne corps à un prince, un voyou, une épouse, un cheval, une meute de chien, un magistrat. C’est tout simplement prodigieux. 

Sans répit, sans temps mort, utilisant avec une belle acuité vidéos, bande-son, la mise en scène du duo Simon McBurney – Annabel Arden fait de cette lecture performative une fable puissante et virtuose, un écho aux fêlures qui délitent nos sociétés contemporaines. Entremêlant intime et universel, passé et présent, il offre aux festivaliers une claque magistrale, une pépite théâtrale à voir absolument. Du grand Art !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier

Michael Kohlhaas d’après Heinrich von Kleist
dans une version de Simon McBurney, Annabel Arden, Maja Zade et l’ensemble Schaubühne Berlin
Première française
Printemps des comédiens
Domaine d’O
178 Rue de la Carrierasse
34090 Montpellier
Jusqu’au 28 mai 2022
Durée 1h50

Mise en scène de de Simon McBurney & Annabel Arden
Avec Robert Beyer, Moritz Gottwald, Laurenz Laufenberg, David Ruland, Genija Rykova et Renato Schuch
Scénographie de Magda Willi 
Costumes de Moritz Junge
Son de Benjamin Grant 
Collaboration sonore – Joe Dines
Vidéo de Luke Halls 
Collaboration vidéo – Zack Hein et Sébastien Dupouey 
Dramaturgie de Maja Zade
Lumières d’Erich Schneider

Crédit photos © Gianmarco Bresadola

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