L'Avare, Lilo Baur, Comédie Française © Brigitte Enguérand

À la Comédie-Française, L’Avare de Lilo Baur place son argent en Suisse

À Richelieu, Lilo Baur transpose l'Avare dans un décor de soap-opera. Une mise en scène colorée et maîtrisée, mais manquant de relief.

En montant L’Avare à Richelieu à l’occasion du 400e anniversaire de Molière, Lilo Baur signe sa sixième mise en scène pour la Comédie-Française. Transposant la comédie en cinq actes dans le décor inattendu de la Suisse d’après-guerre, la metteuse en scène signe une pièce colorée, savamment exécutée, mais qui manque de relief.

L'Avare, Lilo Baur, Comédie Française © Brigitte Enguérand

En 2019, la mise en scène par Lilo Baur de La Puce à l’oreille de Feydeau tendait vers un registre parodique, coloré et rétro. Cet Avare n’est pas moins chatoyant, se déroulant sur un gazon vert piquant rehaussé par la robe vermeil de Frosine et le jaune moutarde de la veste de Cléante. La maison d’Harpagon est une belle bâtisse moderne dont le jardin descend jusqu’à la rive du lac Léman. Dans la première scène, on trouve d’ailleurs Élise et Valère en train de tremper dans ce proscenium en forme de bassin, les corps luisant sous le clair de lune, plaçant la pièce sous des auspices poétiques et rêveurs.

Harpagon chez les Helvètes

Situant la pièce dans son pays de naissance, Lilo Baur l’émancipe du contexte français pour l’inscrire dans d’autres horizons. Celui de la Suisse d’après-guerre, en tant que refuge pour très fortunés au milieu d’une Europe à feu et à sang. Celui, également, d’une richesse cosmopolite, de la caricature trumpienne du businessman, des terrains de golf et des Rolex au poignet, le tout emballé dans un style de soap opera luxueux et un brin kitsch.

Les cheveux gris coiffés en arrière, Laurent Stocker tient sans faiblir cet Harpagon maladif, paranoïaque jusqu’au ridicule, cruel et parfois sombre comme un antihéros expressionniste. Élise et Cléante sont incarnés par deux fraîches recrues du Français, Élise Lhomeau et Jean Chevalier. Clément Bresson et Anna Cervinka jouent leurs prétendants respectifs, complétant ce quatuor certes gracieux mais duquel ne se détache réellement que le personnage de Cléante, oscillant entre une fougue chevaleresque et une bonhomie craintive.

Un parti-pris décalé

Le pari fantaisiste de Baur, qui pousse, dans le dernier acte, vers une esthétique de cirque, est coloré par un travail conjoint des costumes, de la scénographie et des lumières d’une belle unité. Ces choix font ressortir le fond d’étrangeté propre à la pièce, à son Harpagon maladif, sa cassette nimbée de mystères et ses coïncidences improbables. En cela, la pièce se fait une peinture de l’excentricité bizarre, presque inquiétante, de cette haute société protégée et autarcique.

En retour, ce parti-pris du décalage prive L’Avare d’une part de son relief en l’enfermant dans un croquis aux traits parfois épais. Malgré la qualité des interprètes, le potentiel de la pièce de Molière, entre la noirceur des mesquineries d’Harpagon et l’élan de vie juvénile qui se dresse contre celle-ci, se retrouve quelque peu aplati, ou en tout cas limité par des effets d’archétype.

Une satire trop sage

L'Avare, Lilo Baur, Comédie Française © Brigitte Enguérand

Cette mise en scène n’est pas dénuée de réussites comiques : cette partie de golf bidon dans le deuxième acte, ou les jeux de déplacements au plateau qui servent avec justesse les malentendus orchestrés par Molière. Mais elle ne nous soutire le plus souvent qu’un rire convenu. On sait gré à Françoise Gillard et Serge Bagdassarian, dans les rôles de Frosine et Maître Jacques, d’apporter un agréable supplément d’âme. Le second est particulièrement touchant dans ce mélange de loyauté noble, d’empathie et de colère vis-à-vis de son détestable patron.

Bien qu’attachant, cet Avare n’est pas aussi flamboyant et vivace qu’il pourrait l’être, et semble parfois trop se suffire dans la bonne exécution de sa partition. Si la gloutonnerie d’Harpagon y est montrée comme une folie, la pièce, elle, manque un peu d’insolence face à cette satire sans concession d’une bourgeoisie maniaque qui ne cède jamais rien, et de passion lorsqu’elle dépeint son grand principe dérégulateur : l’amour.

Samuel Gleyze-Esteban

L’Avare de Molière
Comédie-Française – Richelieu
Place Colette
75001 Paris
Jusqu’au 24 juillet 2022
Durée 2h

Mise en scène Lilo Baur
Scénographie Bruno de Lavenère
Costumes Agnès Falque
Lumières Nathalie Perrier
Musiques originales et assistanat à la mise en scène Mich Ochowiak
Avec Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Anna Cervinka, Jean Chevalier, Élise Lhomeau, Clément Bresson, Adrien Simion, et le comédien de l’académie de la Comédie-Française Jérémy Berthoud

Crédit photos © Brigitte Enguérand

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