Sizwe Banzi is dead au Théâtre de Belleville © Daniel Maunoury

Sizwe Banzi is dead, survie tactique dans l’apartheid

Au Théâtre de Belleville, Jean-Michel Vier ranime avec fidélité ce classique sud-africain, et laisse entendre à nouveau toute sa richesse allégorique.

En 2006, Peter Brook adaptait pour la première fois en France Sizwe Banzi est mort, fable politique créée à Cape Town en 1972 par Athol Fugard et interprétée par ses deux coauteurs, John Kani et Winston Ntshona. Au Théâtre de Belleville, Jean-Michel Vier ranime avec fidélité ce classique sud-africain, et laisse entendre à nouveau toute sa richesse allégorique.

Il semble logique que ce récit sur l’identité, sur ce que l’on montre et ce que l’on cache de soi, commence chez un photographe, des portraits d’inconnus affichés au mur. Nous sommes chez Styles (Jean-Louis Garçon), un portraitiste noir de New Brighton, dans la banlieue de la ville industrielle de Port Elizabeth, sur la côte sud-africaine, au beau milieu des quatre décennies du régime de l’apartheid.

Avant, Styles travaillait dans une usine Ford. La pièce commence avec son récit caustique du travail ségrégué, de la colère méchante des patrons, de la venue de M. Ford Junior, le patron des patrons, de l’humiliation à tous les étages, d’une petite revanche jubilatoire. Ayant fui cette machine impitoyable, Styles s’est installé à son compte, dans cet humble studio qu’il a monté de ses mains. Sizwe Banzi, joliment incarné par Cyril Gueï, fait irruption au milieu des spots et de ce monologue en forme de faux départ. Il vient se faire tirer le portrait, mis en scène par Styles en « homme du futur », le panama sur la tête, la mallette à la main et l’espoir de lendemains meilleurs chevillés au corps.

Clandestin administratif

Sizwe Banzi is dead au Théâtre de Belleville © Daniel Maunoury

Le portrait de Sizwe est destiné à sa femme, restée dans l’éloignée King William’s Town. Mais « Sizwe Banzi est mort », lui annonce-t-il lui-même dans la lettre qui l’accompagne. Au centre de la pièce, le changement de nom de celui qui se fait désormais appeler Robert Zwelinzima est le prétexte à une chronique de l’inhumaine bureaucratie de l’apartheid sud-africain, des lois de passeports intérieurs qui ont servi à contrôler les mouvements de noirs réduits à leur main-d’œuvre durant ces années de ségrégation raciale. Et, plus largement, à une réflexion sur l’exploitation, la liberté et l’identité, et la manière dont celles-ci s’articulent et se négocient.

L’explication de Sizwe/Robert ouvre sur un flashback. Jean-Louis Garçon y reprend le rôle de Buntu, qui accueille Sizwe dans son appartement de New Brighton lorsqu’un contrôle de police déchoit ce dernier de son droit de séjour et le condamne à rentrer auprès de sa famille, loin des usines et de l’emploi. Partant d’un rapport loyal à une règle injuste, le personnage de Sizwe, animé par sa propre fougue et celle de Buntu, se reconfigure en tacticien de la survie en milieu politique hostile. Son récit de clandestin soulève avec lui une houle déstabilisante d’interrogations : à quoi tient l’identité d’un homme ? Ne devrait-on pas déroger au jeu de l’administration lorsque celle-ci est profondément injuste ? Que reste-t-il, alors, d’un homme qui perd son nom ?

Chronique contestataire et fable absurdiste

Sizwe Banzi is dead au Théâtre de Belleville © Daniel Maunoury

Sizwe Banzi is dead reprend les caractéristiques du théâtre des townships sud-africains, ces chroniques de la vie dans l’apartheid qui prennent naissance dans les ghettos du pays. La mise en scène de Jean-Michel Vier se tient à une grande fidélité vis-à-vis de cette forme originelle, légère et directe. Quelques éléments de décor à peine manipulés font office à la fois de studio photo, d’intérieur de bar ou de rue nocturne, soutenus par le discret mais beau travail de Stéphane Deschamps à la lumière.

C’est son duo complice d’interprètes, la fausse candeur de l’un et l’humour perçant de l’autre, qui donnent toute sa chair à cette reconstitution, laissant l’obscurité de la fable se déployer en double fond. Ils rendent hommage, avec une spontanéité intacte, à la force de la pièce d’Athol Fugard : à la fois un document de la créativité contestataire sud-africaine, où se mêlent rage et espoir, ainsi qu’une parabole sans âge, presque absurdiste, amère mais limpide, toujours actuelle.

Samuel Gleyze-Esteban

Sizwe Banzi is dead d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris

Du 4 au 26 avril 2022

Tournée
Le 14 mai 2022 à La Courée – Collégien (Seine-et-Marne)
Le 11 octobre 2022 au Théâtre de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne)
Du 7 au 13 novembre 2022 au Théâtre Dunois (Paris)

Traduction et mise en scène – Jean-Michel Vier
Assistant mise en scène – Amine Chaïb
Lumières – Stéphane Deschamps
Scénographie – Romain Fohr
Costumes – Elisabeth Martin
Dessins– Camille Lemeunier
Assistantes scénographie – Clothilde Feuillard, Noa Gimenez
Avec Jean-Louis Garçon, Cyril Gueï

Crédit photos © Daniel Maunoury

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