Ab[intra] de la Sidney Dance Company © Pedro Greig

ab[intra], œuvre collective et virtuose de la Sydney Dance Company

À Chaillot, Rafael Bonachela met la Sydney Dance Company à l'exercice dans un spectacle dépouillé et virtuose.

Au théâtre national de Chaillot, Rafael Bonachela met l’ensemble de son collectif de la Sydney Dance Company à l’exercice dans ab[intra]. Un spectacle subtil et dépouillé, qui met en valeur la maîtrise et la finesse de la grande troupe australienne.

Le plateau est comme une zone d’essai. Un rectangle blanc, quadrillé par les ombres de tubes métalliques suspendus au plafond, qui ressemble à une feuille d’exercice. Les mouvements, athlétiques et vigoureux, s’y impriment comme une gestuelle pure. La rigueur et la précision des dix-sept interprètes captive. Cette attaque est souveraine, détachée de toute passion sans sombrer, à l’inverse, dans une démonstration d’inexpressivité. Une danse nue, essentielle, qui rappelle la rigueur constructiviste. Studio de danse, espace test, page blanche progressivement teintée de grandes émotions chorégraphiques, l’univers d’ab[intra] est celui-ci.

Un tour de force technique

Dirigée depuis 2009 par le chorégraphe barcelonais Rafael Bonachela, formé à Londres à la Rambert, la Sydney Dance Company forme la plus grande compagnie de danse contemporaine d’Australie. Si la maîtrise technique de ses danseurs, tous réunis ici dans ab[intra], s’impose comme une évidence, elle est particulièrement valorisée dans cette forme à la fois enlevée et généreuse, où des tableaux collectifs presque martiaux laissent place à des duos et des solos autrement plus intimes. Les corps ni ne s’attirent ni ne se repoussent, le mouvement qui les meut se tient dans un entre-deux fragile et fin, mécanique de la plus belle et délicate des manières, c’est à dire affranchi des affects qui transforment la danse en expression d’autre chose, un message ou un récit.

L’instinct et l’intellect

Ab[intra] de la Sidney Dance Company © Pedro Greig

Si l’on prend à la lettre le titre de la pièce — ab[intra] comme venu de l’intérieur — il ne faut pas y voir le produit d’une recherche purement pulsionnelle, mais davantage de la rencontre active, dans les corps, de l’instinct et l’intellect. Cette conception a guidé le travail sur le spectacle, puisque celui-ci s’est construit à partir d’improvisations collectives d’abord, et ensuite de la formalisation des phrases ainsi composées. « Les danseurs font partie intégrante de ma démarche artistique ; chaque jour, ils donnent vie et corps à mes intuitions et impulsions créatrices », écrit Bonachela. Cet amour pour les interprètes et cette confiance dans leur intelligence chorégraphique rejaillissent dans la façon dont les lumières découpent pour chaque groupe et chaque solo un espace propre — réussite d’effets d’éclairages qui, à d’autres moments, peinent à embrasser la sophistication des corps.

Atteindre l’épure

Ab[intra] de la Sidney Dance Company © Pedro Greig

Dans ses recompositions, la troupe australienne dessine toute une morphologie de la rencontre à l’intérieur de laquelle des duos et trios somptueux inscrivent de belles possibilités affectives. Entre mimétisme et individualité passe un grand éventail de nuances : ici, deux groupes reproduisent la même danse dans une synchronicité parfaite, dessinant deux images identiques se faisant face ; là, un soliste se détache du rang et vient honorer le centre de la scène. Ailleurs, trois danseurs semblent défier la gravité. On regrette que la composition musicale de Nick Wales sur laquelle se déploie cette partition chorégraphique confine par moments au démonstratif, et superpose au mouvement quelques intentions superflues (le concerto pour violoncelle du letton Peteris Vasks, Présence, dont des extraits accompagnent quelques moments du spectacle, est lui choisi avec goût). Ab[intra] brille dans son épure, qui n’est pas antithétique à la générosité, la complexité et l’émotion. Dans cet écrin léger rayonne la virtuosité d’une troupe magnifique.

Samuel Gleyze-Esteban

ab[intra] de la Sidney Dance Company
Salle Jean Vilar
Chaillot – Théâtre national de la danse 
Place du Trocadéro
75016 Paris
jusqu’au 1er avril 2022
Durée 1h10

Chorégraphie – Rafael Bonachela
Composition – Nick Wales (composition originale de Nick Wales avec des passages de  Klātbūtne (« Presence ») de Pēteris Vasks)
Lumières – Damien Cooper
Costumes et scénographie – David Fleischer

Avec Natalie Allen, Davide Di Giovanni, Dean Elliott, Jackson Fisch, Jacopo Grabar, Liam Green, Luke Hayward, Morgan Hurrell, Sophie Jones, Dimitri Kleioris, Rhys Kosakowski, Chloe Leong, Jesse Scales, Emily Seymour, Mia Thompson, Coco Wood, Chloe Young

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