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Amer M./Colette B., l’histoire entre quatre yeux

À la Colline, Joséphine Serre retrace l'histoire d'Amer M. et Colette B., compagnons de vies marquées par les exils.

Présentés ensemble à la Colline, les deux volets du diptyque de Joséphine Serre imaginent la vie d’Amer M. et Colette B., compagnons de vies marquées par les exils. Un récit simultanément intime et politique, qui interroge et émeut sans donner de réponse à toutes ses questions.

Après Data Mossoul, présenté à la Colline en 2019, Joséphine Serre affirme dans Amer M. et Colette B. une ambition ample, articulant le souvenir intime à la mémoire historique. Retraçant les vies d’un immigré algérien et d’une pied-noir rapatriée, ces deux spectacles sont une réflexion sur l’exil et la possibilité de nouer des liens par-delà les découpages géopolitiques.

Sempiternel Ulysse

amer m. colette b. joséphine serre © véronique caye

À l’origine de ce diptyque en forme de portraits croisés, il y a ce portefeuille, que l’autrice et metteuse en scène découvre un jour dans sa boîte aux lettres. Dedans, des documents divers au nom mystérieux d’Amer M. : certificat de résidence en France, carte de visite d’assistante sociale ou papiers d’identité, et quelques lettres affectueuses signées de la main de Colette. Une question émerge : que peut-on connaître d’un homme à partir de ces quelques feuilles ?

Dans ce premier volet éponyme, ces archives sibyllines permettent de saisir Amer M. comme un sujet de la grande histoire, dont les papiers cristallisent les relations coloniales et post-coloniales qui lient la France et l’Algérie. Sur scène, les documents scannés sont agrandis, photocopiés par centaines, projetés, donnés à feuilleter au public. Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar et Joséphine Serre donnent corps à ce processus déductif, inférant et supposant le chemin de vie de l’Algérien. Tandis que s’ouvrent au public les coulisses de ce portrait hypothétique, Guillaume Compiano incarne ces images supposées, tout en intériorité, donnant à Amer une incarnation pudique et allusive. On découvre ainsi le parcours migratoire de ce « sempiternel Ulysse », parti de Kabylie en 1954 pour faire partie du contingent de travailleurs algériens incités à rejoindre la main-d’œuvre en métropole.

Un récit à deux voies

Penchant ainsi du côté du théâtre documentaire, ce premier panneau trouve un versant plus amplement imaginaire dans Colette B. Seules quelques lettres ouvrent ce deuxième pan du récit, qui invente à cette femme, pianiste à Radio France dans les années 60 à 90 (réincarnée sous les traits de l’émouvante instrumentiste France Pennetier), un possible itinéraire parallèle en tant que pied-noir rapatriée à l’indépendance — seconde voie de construction autour du vide laissé par l’absence des protagonistes réels, et qui permet à Serre de relier leur relation, avérée par quelques lettres seulement, à l’histoire politique, ainsi que de panser les plaies d’une histoire coupable à travers un amour possible. Se succèdent des vignettes qui traversent les décennies, où l’autrice et metteuse en scène trace en parallèle le fil de ses deux personnages et leur cruciale rencontre.

amer m. colette b. joséphine serre © véronique caye

À force d’avancer par touches sur une durée totale de 3h20, Amer M./Colette B. semble parfois manquer de structure, notamment dans la deuxième partie, qui se targue moins de dresser un portrait pointilliste à partir de fragments biographiques que d’inventer une histoire nouvelle. Le diptyque menace parfois de se dérober à certains des questionnements qu’il soulève, notamment l’exploitation de ces données personnelles. Un trouble nous saisit lorsque les photocopies circulent parmi le public ; le spectacle se contente d’en formuler la problématique (« À qui appartient-il de raconter cette histoire ? »). À la place, Joséphine Serre assume la réincarnation fictionnelle de ses personnages dans un récit qui réussit néanmoins à émouvoir, parce qu’il creuse en arrière-plan une réflexion sur le temps, le poids de l’histoire et l’extraordinaire contingence des rencontres.

Samuel Gleyze-Esteban

Amer M./Colette B. de Joséphine Serre,
La Colline – théâtre national
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris

Tournée
Le 15 avril à 20h au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine

Amer M. (durée : 1h40) et Colette B. (durée : 1h40)
Mise en scène Joséphine Serre
Avec Guillaume Compiano, Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar, Joséphine Serre
Voix en arabe – Mounir Margoum et Dea Liane
Dramaturgie et assistanat – Zacharie Lorent
Création vidéo de Véronique Caye
Création lumières de Pauline Guyonnet
Création sonore et régie générale de Frédéric Minière
Scénographie d’Anne-Sophie Grac
Collaboration plastique de Lou Chenivesse
Création costumes de Suzanne Veiga Gomes assistée de Leslie Moquet
Responsable de confection – Elea Lemoine
Costumière – Isabelle Flosi 
Collaboration artistique à la création – Pauline Ribat 

Crédit photo © Véronique Caye

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