Une télévision française, chronique mélancolique d’une privatisation

À la comédie de Reims, puis au Trident à Cherbourg, Thomas Quillardet revisite l'histoire de la privatisation de TF1.

À la Comédie de Reims, Thomas Quillardet, artiste associé entre autres du Théâtre de Chelles, a dévoilé Une télévision française.S’emparant de l’épisode de la privatisation de TF1 à la fin des années 1980, la pièce raconte avec sensibilité et maîtrise le quotidien d’un groupe de journalistes face à la grande histoire.

Dans l’atmosphère « eighties » des bureaux de TF1 rue Cognacq-Jay, une petite rédaction s’agite pour alimenter les journaux télévisés de la chaîne. Bavarde, volontiers fêtarde, l’équipe a des airs de famille. Vu des coulisses, le JT ressemble à un assemblage inventif d’idées individuelles dans le catalyseur du collectif. Ici, on reproche au petit nouveau de trop chérir ses micros-trottoirs ; là, une rédactrice militante trouve une idée simple mais efficace pour dénoncer l’absurdité du discours porté par le gouvernement sur le nuage de Tchernobyl. Un jour, une rumeur naît dans les couloirs : une chaîne du service public doit être privatisée. Le bruit veut qu’Antenne 2 y passe. Le public, lui, sait déjà que TF1 sera vendue en 1987 à Francis Bouygues, magnat du BTP bedonnant et ridicule, traversé de convictions volatiles qui mèneront in fine la chaîne vers un modèle bien plus commercial que ne l’annonçaient les professions de foi.

Un travail documentaire minutieux

Une télévision française de Thomas Quilardet © Pierre Grosbois

Fruit d’un long travail de documentation dans les archives de l’INA et d’entretiens avec certaines des grandes figures médiatiques d’alors, Une télévision française raconte ce tournant et les transformations qui l’accompagnent. Thomas Quillardet fait ici du théâtre à partir d’un bois moins noble, celui de l’immédiateté télévisuelle. Sans recourir à la moindre projection d’images, la pièce use de découpages, dans le décor comme dans le texte, pour accueillir ce matériau venu d’hors des planches. Ce dispositif artisanal permet de figurer ici des interventions en duplex, ou là, le foisonnement de dialogues simultanés. Les murs révèlent des lucarnes aux usages multiples, surcadrant aussi bien des conversations de cafétéria qu’une coupure pub drolatique, performée en direct. Un véritable sens du montage est à l’œuvre, auquel donne chair l’habileté de dix comédiens qui changent volontiers de rôle pour endosser les costumes de Bernard Tapie, Michèle Cotta ou Jean-Marie Le Pen. Leur vitalité donne tout son souffle à ce geste ambitieux. Et cette appropriation des formes télévisuelles ne s’embarrasse pas de jugements de valeur : Quillardet porte un regard empathique sur ces petites mains du JT.

La fin d’une époque

Cataloguant en accéléré les grands événements du tournant des années 1990, de la mort de Malik Oussekine à la chute du Mur de Berlin, Une télévision française détaille en même temps les changements entraînés par la privatisation dans le quotidien des journalistes, la censure et la course à l’audimat se glissent peu à peu dans les couloirs de la rédaction. Mais cette chronique historique et politique se double d’un second itinéraire, plus sensible, au cours duquel les tricots fluo laissent place aux costumes deux-pièces. À mi-temps du spectacle, le déménagement des bureaux dans les locaux de Boulogne-Billancourt, où un panneau rappelle qu’il est interdit de fumer, sonne le glas d’une époque teintée de nostalgie. Se dessine là le double-fond brillant de la pièce, qui décrit, simultanément à la chronique historique, un propos doucement élégiaque sur le passage du temps. Ce montage en accéléré est certes lesté de longueurs dans la seconde partie. Mais il esquisse en filigrane et avec finesse le destin mélancolique de ce groupe de journalistes, qui voient défiler inéluctablement les événements du monde et dont la liberté festive finit par ployer sous les injonctions d’une nouvelle époque.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Reims 

Une télévision française de Thomas Quillardet 
Création le 2 octobre 2021 à la Comédie de Reims
Les 21 et 22 octobre 2021 au Trident, scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin
Durée 3h25 environ entracte compris

Tournée
Le 16 octobre 2021 au Théâtre de Chelles
Le 26 novembre 2021 à L’Avant Seine – Théâtre de Colombes
Du 1er au 02 décembre 2021 au Théâtre de Sartrouville Yvelines CDN
Du 05 au 22 janvier 2022  au Théâtre de la Ville, Paris
Du 25 au 26 janvier 2022 à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle
Le 29 janvier 2022 à l’Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux
Du 1er au 02 février 2022 au Grand R – Scène nationale de La Roche-sur-Yon
Le 04 février 2022 au Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
Du 22 au 23 février 2022 à La Rose des Vents – Scène nationale de Villeneuve d’Ascq
Le 26 février 2022 à La Passerelle – Scène nationale de Gap – Alpes du Sud

Mise en scène de Thomas Quillardet assisté de Titiane Barthel 
Avec Agnès Adam, Jean-Baptiste Anoumon, Émilie Baba, Benoît Carré, Florent Cheippe, CharlotteCorman, Bénédicte Mbemba, Josué Ndofusu, Blaise Pettebone, Anne-Laure Tondu
Scénographie de Lisa Navarro
Costumes de Benjamin Moreau assisté de Maïalen Arestengui
Son de Julien Fezans
Lumières d’Anne Vaglio

Crédit photos © Pierre Grobois

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