Catherine Marnas et les élèves de l'éstba ©OFGDA

Une journée à l’éstba

En stage avec Catherine Marnas, directrice du TnBA, les élèves-comédiens de la promotion 5 de l’éstba travaille au corps Peer Gynt d'Ibsen.

Occupant les théâtres, les lieux de culture, la nuit, rêvant à un avenir prochain sur les planches, les élèves-comédiens de la promotion 5 de l’éstba n’en sont pas moins assidus, le jour, au stage que leur dispense Catherine Marnas, directrice du TnBA. Associés à leur homologue du Pôle d’Enseignement supérieur de Musique et de Danse Bordeaux Nouvelle-Aquitaine, ils travaillent une adaptation de Peer Gynt d’Henrik Ibsen et de la célèbre musique d’Edvard Grieg qui lui est associée.

Place Pierre Renaudel, le printemps a fait son œuvre. Les arbres bourgeonnent, certains fleurissent même. Les cafés, les restaurants, les terrasses étant fermés, peu de monde devant le TnBA. Juste quelques banderoles, rappellent que les lieux de culture sont occupés, que les étudiants en art, les artistes, les directeurs de structures, de CDN, se mobilisent pour une réouverture rapide des lieux, la reconduction de l’année blanche et l’abrogation de la réforme du chômage. À l’intérieur du bâtiment solidaire, le silence règne. L’action se fait au loin à l’Opéra de Bordeaux. Ici, les scènes, les salles de répétitions sont investies par les compagnies « compagnonnes », les élèves-comédiens qui se préparent sous le regard humain et sensible de Catherine Marnas

Échanges à bâtons rompus
La promo 5 de l'éstba © OFGDA

Assis autour d’une table, treize des membres de la promotion 5 de l’éstba sont présents. Le quatorzième – Barthélémy Maymat – est excusé. Il est sur le front, à l’opéra, défendant les grandes lignes du mouvement, et tout particulièrement l’importance de ne pas perturber les créations en cours, les stages. Inquiets pour leur avenir, malgré quelques dissensions dues surtout à l’inquiétude engendrée par le silence du gouvernement, par la peur de lendemains incertains, les jeunes comédiens soudés sont là, les uns pour les autres, à l’écoute, des failles, des fêlures de leurs camarades. Artistes dans l’âme, ils vibrent avec passion, avec la flamme de leur jeunesse, riches de leurs vécus très différents. Parfois, les larmes coulent, les voix se brisent, mais toujours une épaule est là en ami, en soutien. Laissant chacun s’exprimer, la metteuse en scène et directrice du TnBA veille au bien-être de ses étudiants. 

Analyse de texte
Catherine Marnas et les élèves de l'éstba © OFGDA

Le tour de table étant terminé, il est temps d’entrer dans le vif du sujet, la lecture de l’acte IV de la farce poético-dramatique de Henrik Ibsen. Avec naturel, Ariane Pelluet prête sa voix mélodieuse à Peer Gynt. « Chacun s’empare, à sa guise, du personnage qu’il souhaite, au-delà du genre, me glisse à l’oreille Catherine MarnasIl n’y aucune distinction de fait. » jouant sur les inflexions de sa voix, elle donne du relief au texte, lui insuffle la vie. Tous écoutent, se laissent emporter. En renfort, Simon Royer lit les didascalies. En quelques minutes, c’est tout un univers, celui féérique que traverse l’étonnant anti-héros d’Ibsen, qui semble apparaître. La scène terminée, vient l’explication de texte. Les uns après les autres s’interrogent sur le sens des mots, sur l’intention de l’auteur. Tout est décortiqué avec précision. Dans une ambiance bon enfant, l’après-midi passe à disséquer les moindres interstices de la pièce du dramaturge norvégien. Certains passages sont éludés, d’autres mis en avant, d’autres encore sont chantés. 

La différence est une richesse
les élèves de la promo 5 l'éstba © OFGDA

A tour de rôle, Balthazar MongeLéa SarletClaire-Aurore BartoloMathéo ChalvignacMargot DelabougliseMatéo DroillardFloriane FontanMargaux GenaixDanaé MonnotCesare Moretti et Max Unbekandt attrapent la prose d’Ibsen, lui donnent corps. Certains sont dans leur lecture plus littéraux que d’autres, moins imagés. Mais comme poussés par une synergie, une complicité, tous s’impliquent, s’expriment afin de travailler à l’os le texte, préparer au mieux son adaptation scénique. « Quand avec le jury, nous avons constitué la promotion 5 de l’étsba,souligne Catherine Marnas, j’ai été, comme toujours, très soucieuse d’éviter au maximum l’écueil de l’uniformité, qui est déjà trop souvent présente sur les plateaux. Les corps, les visages, les physiques ont tendance à s’unifier par le biais de l’école. Il est donc important d’en avoir conscience et de faire le choix de jeunes élèves tous très différents les uns des autres, de par leurs origines sociales, de par leurs pratiques, de par leurs goûts. L’objectif est d’avoir un monde à porter de mains. Ce n’est pas toujours simple à gérer, mais on a la chance de pouvoir se le permettre, notamment parce que nous avons une seule promotion à la fois et de pouvoir faire du sur-mesure, dépassant ainsi la dynamique de groupe, qui peut être fatale. »

Cohésion de groupe
La promo 5 de l'éstba © OFGDA

Vigilante, attentionnée, Catherine Marnas questionne leurs certitudes, donne la parole à chacun. « Il faut être attentif au rythme de chacun, n’exclure personne, explique-t-elle. Certain ont besoin de plus de temps que d’autres pour se glisser dans un personnage, d’entrer dans un processus d’interrogation qui, à terme, les amène à sortir de leur zone de confort vers quelque chose de plus surprenant, de plus inattendu. Ils découvrent en eux des choses enfouies, qu’ils ne se soupçonnaient pas. D’autres sont dans une efficacité immédiate. Mais ce qui est important, c’est que guidés, entourés, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes avec la même appétence, le même engagement. » Au fil de la journée, la bonhomie des uns, leur jovialité, leur aisance naturelle va venir détendre les visages plus tendus des autres. Entité à multi-têtes, la promo 5 fait corps, se meut dans une même volonté, un même désir, fouler dans un avenir proche les planches. 

Au cœur du TnBA

Frustrés de ne pas pouvoir voir plus de pièces, les quatorze artistes profitent de leur temps libre pour se glisser, avec l’accord des compagnies, dans les coulisses des créations en cours, comme celle de Baptiste Amann et d’Aurélie van den Daele, dont l’on pourra voir des étapes de travail lors de la première édition du Festival de la Ruche, une manifestation voulue par Catherine Marnas. « Cela fait partir des spécificités de l’étsba, défend-elle fièrement, d’être au cœur d’un CDN. J’ai toujours considéré et imaginé que les jeunes élèves sont un peu comme une pépinière de troupe. Pour moi, l’école est un laboratoire. Ils sont donc au centre des interrogations du théâtre, des esthétiques de demain, qu’ils vont incarner. Dans cette optique, ils ont obligation d’être ouvreur le soir. Ils voient ainsi tous les spectacles, plusieurs fois. Ils sont confrontés ainsi à plusieurs pattes, plusieurs regards sur la mise en scène, sur le jeu. Ils peuvent observer les détails, creuser leur avis. Ils rencontrent les artistes et partagent leur avis. » 

Un double cursus
La promo 5 de l'éstba © OFGDA

Ayant depuis longtemps un goût prononcé pour la transmission qu’elle a cultivé au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et à l’École Régionale d’Acteur de Cannes, Catherine Marnas a tenu à ce que les enseignements dispensés à l’étsba conjuguent deux systèmes, d’un côté des stages avec des référents, comme le comédien Franck Manzoni, qui est aussi le directeur pédagogique de la formation, permettant ainsi, par une connaissance approfondie de chacun, de pousser les étudiants hors de leur zone de confort, et de l’autre des stages portés par différents artistes, confrontant ainsi les élèves à d’autres esthétismes. « Par ailleurs, explique-t-elle, il était important pour moi qu’ici, il y ait tout un axe de l’apprentissage qui favorise la porosité des arts. Ayant fait beaucoup de danse dans ma jeunesse, je reste persuadée qu’une bonne connaissance de son corps, de sa mobilité, permet d’interroger un rythme, un déplacement, une intention. Ainsi, cette année, nous avons travaillé Koltès au travers de la pratique des arts martiaux. C’était fascinant. »

Distanciation Brechtienne

La journée touche à sa fin. L’excitation d’être au cœur de l’actualité, du mouvement d’occupation des lieux de culture, prend le pas sur le stage. Trop d’interrogations planent sur la suite à donner à cette action solidaire pour que la concentration nécessaire à l’étude de Peer Gynt. Soucieuse de leur appréhension, de leur crainte, Catherine Marnas sonne la fin de la séance. Toutefois, en bonne pédagogue, elle tient à faire un résumé de la journée, un point sur l’avancée du travail. Par ailleurs, elle leur confirme que dans les prochains jours, le voyage d’étude prévu initialement au Japon, mais en raison de la pandémie, redirigé sur Porto, devrait être validé. « Il y a toujours chez moi, souligne-t-elle, l’idée de la relativisation, du voyage, j’ai inauguré quand j’étais au Conservatoire de Paris une quatrième année internationale. J’avais, à l’époque, embarqué une partie des élèves au Mexique pour un stage mixte. L’objectif était de leur permettre de mieux comprendre le principe de distanciation, qui est l’essence même du théâtre de Brecht. Confrontés à d’autres cultures, ils remettent ou non en question leur propre pratique. Ainsi, les deux promotions précédentes de l’étsba ont eu droit à une session à l’étranger, Argentine pour la première, Madrid pour la seconde. Malgré la pandémie, il n’était pas question de renoncer à ce stage immersif. Nous avons donc opté pour un autre pays européen. »

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © OFGDA

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