Le 11 mai, premier jour de déconfinement

Enfin déconfinée, la metteuse en scène Johanna Boyé libre son regard(s) sur la journée du 11 mai.

Cela fait 55 jours que nous sommes confinés chez nous, à attendre les directives, les annonces, les allocutions, sagement, en espérant pouvoir reprendre le travail. Nous sommes pendus aux lèvres de nos ministres, accros aux informations, aux médias et à toutes les études ou articles qui paraissent sur le virus, la sortie de crise, sur le monde d’après…

55 jours que tout le monde du spectacle, et nous les artistes, sommes à l’arrêt, sans visibilité, sans date de reprises, sans projection possible. Mis à part le flot d’annulations qui nous tombent dessus, les unes après les autres, et qui avortent nos créations, détruisent nos espoirs, pulvérisent le fruit de mois, d’années de travail… 

55 jours que nous avons dû abandonner nos vies trépidantes, palpitantes pour laisser place à un océan d’incertitudes, à un déluge de questions sans réponse, à une tempête de perspectives anéanties. Et voilà que nous sommes condamnés à rester confinés derrière nos écrans.

Les théâtres sont fermés depuis le 13 mars et jusqu’à nouvel ordre. Les tournées sont suspendues, Les festivals tels qu’Avignon, Cannes, Jazz in Marciac, Aix-en-Provence, et j’en passe, sont reportés. Et pour nous, aucune précision sur une date de réouverture, alors qu’on ouvre les centres commerciaux, les transports, qu’une exception est faite aux compagnies aériennes pour les mesures e distanciation sociale ! Alors qu’est ce qui rend les salles de théâtre, de concerts, si dangereuses ? Qu’est-ce qui fait que nous serons les derniers à être « déconfinés » ? Comment créer, imaginer, rêver, sans la réouverture des espaces de créations, de nos outils de travail et sans pouvoir rassembler notre public ? Comment répéter, mettre en scène, créer des images sans savoir quand nous retrouverons notre public et s’il reviendra ?

Il faudrait faire du théâtre « autrement », nous réinventer, trouver des solutions, s’adapter, chevaucher un drôle de tigre blanc des utopies… Il faudrait accepter sans broncher des annulations de tournées, parfois même jusqu’en janvier 2021 ? Il faudrait admettre l’absence de volonté politique et de plan de relance pour tout notre secteur ? Il faudrait peut-être renoncer ?

Depuis toujours les hommes se réunissent pour qu’on leur raconte des histoires. Cet espace est précieux, irremplaçable, magique, sacré. Il reflète de façon extraordinaire le miroir de la société que l’homme bâtit, qui nous fait rire, réfléchir, nous émeut.

Une amie m’envoie ces mots  :

Après la grande dépression de 1929 Franklin D. Roosevelt a intégré la création, l’expression et l’industrie culturelle et dans sa politique keynésienne de relance. Pas seulement pour réanimer l’économie, pour la cohésion sociale aussi, l’humeur collective. Il faut dire qu’il régula dans le même temps les marchés financiers, assainit les pratiques bancaires. 

Christiane Taubira

Obama affronta la crise des subprimes, en 2008, en maintenant les grands programmes culturels, en favorisant la création et l’éducation artistique. Rien, rien de parfait. Mais il ne fut pas question de garantir des milliards de prêts à des mastodontes industriels et dans le même temps inviter chaque intermittent à gagner chaque denier à la sueur de son front. 

L’art selon Camus est « le moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant l’image privilégiée des souffrances et des joies communes. » 

Et, encore une fois, les mots si justes de cette grande dame me touchent en plein cœur.

Aujourd’hui, c’est le 11 mai. 

Un jour tempétueux, qui souffle sur les arbres une tornade de colère, un jour de pluie diluvienne qui lave les trottoirs. Mais, malgré tout, une minuscule lueur me semble pointer au bout de cet interminable tunnel, qui me redonne un soupçon d’espoir, et souffle à mon oreille un avenir possible. 

Je me replonge dans la lecture d’une pièce que je prépare, malgré tout, et qui a bercé tout mon confinement. Je respire les mots du texte, active mon cerveau, machine à rêve, j’entends la musique de la pièce, et je me dis que le théâtre ne mourra jamais. Qu’en tout temps, toutes situations, toutes crises, il a toujours fini pas renaitre. 

Alors, je ferme les yeux, et …  Je m’imagine, assise dans une salle sombre. Les lumières de la salle doucement se baissent pour éclairer le plateau, le silence se fait autour de moi. Et ça y est, la magie opère, magie de l’histoire qui commence à se raconter.

Montreuil, le 11 mai. 1er jour de déconfinement.

Johanna Boyé, metteuse en scène 

Crédit photos © Nathalie Mazeas, © Jet Lowe – Wikimedia commons et © Celette – Wikimedia commons

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1 Comment

  1. Oui, le théâtre est l’âme du monde. Un conte de l’oralité qui s’éteindra …avec l’homme…

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