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Mélancolie(s), l’esprit de Tchekhov renouvelé ingénieusement par Julie Deliquet

Au Théâtre de Lorient, mêlant théâtre et réalité, Julie Deliquet et son collectif In Vitro nous plongent avec délicatesse et émotion dans l'univers de Tchekhov dans sa nouvelle création Mélancolie(s).

Après nous avoir conviés à la table d’un oncle Vania tout en mélancolie et intensité, Julie Deliquet nous plonge au cœur du mal de vivre qui consume les âmes slaves d’Ivanov et des Trois Sœurs. Mêlant adroitement deux œuvres de Tchekhov et écriture de plateau, la jeune metteuse en scène signe un spectacle ultra-contemporain et habité qui bouleverse et enivre. Vertigineux !

Sur un plateau de bois brut, une grande table, jonchée des vestiges abondants d’un repas de fête, et quelques mobiliers de jardin donnent vie à l’espace. Sur une chaise longue, une jeune femme semble dormir. Tandis que derrière elle, un homme lit un journal. Au fond côté cour, sur d’immenses draps blancs, qui séparent la scène des coulisses, les images noir et blanc d’un couple uni et complice s’affichent en 4 par 3. Derrière ce bonheur de façade, se cache une bien cruelle réalité qu’une fois off nous conte. Érodé par le quotidien et les soucis d’argent, l’amour fusionnel de Nicolas (bouleversant et rageur  Eric Charon), double moderne d’Ivanov, pour la douce et moribonde Anna (touchante Magali Godenaire) s’est éteint, transformé en pitié, en indifférence.

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Mais n’anticipons pas la fin programmée et funeste de ce ménage, et revenons un an plutôt quand l’insouciance semblait dominer leur existence. C’est le début du printemps, dans une villa perdue au bord d’un lac, la belle et rayonnante Sasha (lumineuse Agnès Ramy) fête son anniversaire, entourée de sa sœur l’honnête Olympe (épatante Julie André), de son frère le flambeur Camille (ténébreux et insouciant Gwendal Anglade), de son mari le capitaliste Théodore (impassible Olivier Faliez) et de sa  future belle-soeur, la vulgaire Natacha (provocante et humaine Aleksandra De Cizancourt). Les rires succèdent aux larmes, il y a tout juste un an, leur père décédait. Alors que la morosité semble gagner les convives, arrive Nicolas, un proche de la famille depuis longtemps perdu de vue, sa femme et son ami et contremaître Louis (froid David Seigneur).

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Nicolas (Eric Charon) et Anna (Magali Godenaire) en balade amoureuse au marché de Lorient ©Pascale Fournier

De cette étonnante rencontre entre les protagonistes d’Ivanov et ceux des Trois Sœurs, Julie Deliquet et son collectif In vitro en tirent une trame singulière faite de récits empreints d’une mélancolie immense, presque morbide, qui s’entrecroisent, s’entremêlent et s’entrechoquent. Puisant dans l’œuvre d’Anton Tchekhov un mal de vivre symptomatique de l’âme slave, elle esquisse un portrait âpre, saisissant d’une époque, d’une société désillusionnée. Trouvant dans l’écriture de ce dernier un écho à ses propres émois, ses propres doutes, ainsi qu’à ceux des membres de sa troupe, la jeune metteuse en scène mêle avec habilité et ingéniosité textes du dramaturge russe et écriture de plateau.

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Tout en finesse, Julie Deliquet tisse autour de ses comédiens une trame ciselée, resserrée qui les prend au piège de leur propre réflexion, de leur propre histoire, les obligeant petit à petit à dépasser leur personnage pour dévoiler une part d’eux-mêmes. Entrelaçant astucieusement vie privée et fictionnelle, elle nous entraîne dans un tourbillon émotionnel bouleversant où de spectateur l’on devient confident. Cette sensation d’être les témoins privilégiés de ces drames existentiels est renforcée par le jeu totalement habité des comédiens, tous poignants, sincéres. Très vite, on oublie qu’on est au théâtre, tant on a l’impression grisante, enivrante, que les tourments de ces êtres en mal de vivre envahissent l’espace et nous saisissent.

Gommant toutes références historiques, la jeune metteuse en scène signe une pièce intemporelle, utra-contemporaine, d’une rare intensité. Continuant son travail exploratoire dans l’univers mélancolique dans l’œuvre de Tchekhov, elle nous entraîne au plus prêt de ce vague à l’âme si prégnant, si astringent, stigmate noir d’une génération désenchantée. Un moment de théâtre vibrant !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Affiche Mélancolies_Lorient_Deliquet_@loeildoliv
Au Théâtre de Lorient, mêlant théâtre et réalité, Julie Deliquet et son collectif In Vitro nous plongent avec délicatesse et émotion dans l’univers de Tchekhov dans sa nouvelle création Mélancolie(s)

Mélancolie(s) d’après les Trois sœurs et Ivanov d’Anton Tchekhov
Grand théâtre de Lorient – Salle CDDB
11, rue Claire Droneau
56000 Lorient
Jusqu’au 20 octobre 2017
Tous les jours à 20h00
Durée 2h00

dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Bastille 
76, rue de la Roquette
75011 Paris
du 29 novembre au 22 décembre 2017 à 21h et du 8 au 12 janvier 2018 à 21h,
relâche les dimanches
Durée : 2 h00

Création et adaptation collective à partir des Trois sœurs et d’Ivanov d’Anton Tchekhov mise en scène de Julie Deliquet
Avec Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Aleksandra De Cizancourt, Olivier Faliez, Magaly Godenaire, Agnès Ramy et David Seigneur
collaboration artistique : Pascale Fournier
scénographie de Julie Deliquet, Pascale Fournier et Laura Sueur
lumières de Jean-Pierre Michel et Laura Sueur
costumes de Julie Scolbetzine
musique de Mathieu Boccaren
films de Pascale Fournier
régie générale de Laura Sueur.

Crédit photos © Pascale Fournier

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