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Yannaël Quenel, musicien du mouvement

Compositeur, pianiste, Yannaël Quenel travaille régulièrement avec le Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault.

Regard curieux, visage souriant, Yannaël Quenel est un pianiste né qui vit, parle, respire musique. Diplômé d’écoles prestigieuses, ce normand trentenaire se nourrit des rencontres qui jalonnent son parcours. Après un concert à la Marbrerie en juin, c’est à Grignan dans le Lorenzaccio du Théâtre du corps Pietragalla-Derouault que résonneront tout l’été les notes de l’artiste. Rencontre.

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Né dans une famille de musiciens, le jeune homme grandit à deux pas de la fameuse tapisserie de Bayeux qui retrace la vie de Guillaume le Conquérant. Comme ses deux grandes sœurs avant lui, il est très tôt initié au solfège et à la pratique de plusieurs instruments. À quatre ans, il apprend le piano et le violon. « Très vite, raconte-t-il, amusé, ma mère, qui était professeure de musique en collège, s’est rendue à l’évidence que je n’étais pas très doué pour cet instrument à cordes. Pourtant, j’ai continué à le pratiquer quatre ans durant avant de passer aux percussions. Ces premières années à l »école municipale de musique de Bayeux ont été très formatrices. J’ai notamment pu participer à un conte musical avec orchestre et chœur sur le thème de Dr Jekyll et Mr Hyde où je tenais le rôle du virtuose en perruque devant une salle comble. Je pense que ce fut un des déclics qui m’ont donné ensuite l’envie de participer et de monter des spectacles. »

Du piano aux percussions

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Formé très tôt au classique, le jeune garçon se rend souvent en famille à Caen pour assister à des concerts, des pièces de théâtre ou des opéras. Loin de se limiter à cet univers, les parents de Yannaël sont aussi des enfants du rock. Bercé au son des Beatles et des Rolling Stones, il forme son oreille à différents courants musicaux. « A huit ans, se souvient-il, je suis entré au conservatoire de Caen. En quelques années, j’ai épuisé je ne sais combien de professeurs de piano, avant de trouver celle qui me correspondait. N’étant pas un enfant prodige et rêvant d’être footballeur professionnel, il en aura fallu de la patience et de l’ingéniosité à Carine Zarifian pour me mettre le pied à l’étrier et me donner le virus qui, depuis, ne m’a jamais quitté. En parallèle, j’ai eu la chance d’avoir, en percussions, un enseignant très pédagogue, Yvan Robillard. Au-delà du festival Aspects des musique d’aujourd’hui qui avait déjà lieu, chaque année, et qui nous permettait une véritable immersion dans l’univers de la musique contemporaine, il organisait des ateliers tous les mercredis après-midi pour qu’on travaille en groupe, que l’on forme des ensembles musicaux, et des stages de trois jours pour nous faire découvrir d’autres musiques, d’autres cultures musicales. C’était vraiment très instructif. »

En parallèle, le jeune homme intègre différentes formations en tant que percussionniste. Évitant l’écueil du « tout récital », il participe ainsi à une expérience unique où professeur et élèves jouent de concert la Quatrième symphonie de Mahler. Écoutant Prodigy et Nirvana, jouant le répertoire classique, suivant en plus de son programme d’études au conservatoire, les cours de Jazz de Richard Foy, il construit son univers musical. « En dernière année du conservatoire, explique Yannaël Quenel, mon professeur de percussions a eu l’excellente idée de nous proposer des cartes blanches. J’ai ainsi organisé mon premier spectacle avec un scénario, une mise en scène. Cela s’intitulait Quand les percussionnistes partent en vacances. C’est une sorte de conte musical inspiré des différents courants ayant comme base ce type d’instruments. »

D’écoles réputées en prix prestigieux

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À dix-huit ans, bac F11 en poche, il quitte Caen pour le prestigieux Conservatoire national supérieur de musique et danse de Lyon qu’il intègre en 2004. « Les débuts n’ont pas été évidents, se rappelle Yannaël Quenel. Le niveau était nettement supérieur. J’ai fini par trouver ma place grâce à une carte blanche lors d’une des trois soirées étudiantes données en début d’année. Je me suis occupé de tout. J’ai organisé un pastiche des Victoires de la musique classique. Très vite, l’idée a plu, le directeur, des professeurs, de nombreux élèves ont rejoint l’aventure en proposant des sketches. Il y a eu un vrai engouement. Le show a duré près de quatre heures. Ça été un vrai succès. » Après cette première expérience fort enrichissante, les cours ont repris. Toujours en recherche d’expériences, il monte plusieurs spectacles, surtout avec un de ses amis danseur, Denis Terrasse, entré depuis à l’opéra de Lyon. Mêlant toujours classique et contemporain, passionné des suites de Rameau, en 2006, alors qu’il n’a que 20 ans, il réussit son premier concours international en musique contemporaine en interprétant des morceaux choisis de Debussy, d’Arnold Schönberg et d’Anton Webern. « Même s’il n’y a pas eu de vraies retombées, car si le prix est prestigieux, il ne fait pas partie des cinq concours qui lancent une carrière, explique-t-il, cela a été une expérience extraordinaire. » En 2008, il quitte du conservatoire avec les félicitations du jury.

Loin de s’endormir sur ces premiers lauriers, fidèle à lui-même, cet « accro » des touches blanches et noires enchaîne pendant 5 ans les stages d’été organisés par Henri Fourès, le directeur du CNSMD. Dix jours durant, des étudiants français et allemands travaillent différentes œuvres de musique de chambre contemporaine. « En 2009, dernière année où je participais à cette expérience, raconte le jeune homme avec beaucoup d’émotion, j’ai été sollicité pour remplacer la pianiste sur le second concert. J’ai ainsi joué le concerto de Ligeti que j’ai appris en très peu de temps. C’était un vrai challenge. Parallèlement dès  2008, grâce à Erasmus, je suis parti étudier à la célèbre Hochschule für Musik und Theater de Hambourg. J’y ai suivi Volker Banfield que j’avais rencontré lors du stage de l’été 2007, et qui est connu pour avoir beaucoup travaillé avec György Ligeti. J’ai pris une vraie claque, le niveau était très élevé. Parmi les étudiants, il y avait notamment Anna Vinnitskaïa qui venait de remporter à Bruxelles, en 2007, le Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique. C’est l’un des cinq plus prestigieux prix de musique. À la fin de la première année d’études, j’ai décidé de rester pour passer un master en deux ans. J’ai continué les cours, mais je suis parti m’installer à Berlin. »

Acharné, passionné, véritable bourreau de travail, Yannaël Quenel ne ménage pas sa peine. Il travaille d’arrache-pied entre 3 et 10 heures par jour, seul ou avec sa nouvelle professeure d’origine russe, Lilya Zylberstein. « J’ai eu tout au long de mon parcours, explique-t-il, la chance incroyable de pouvoir travailler avec des personnes de tous horizons, de toutes cultures, de toutes origines. J’ai ainsi pu me former à différentes techniques d’approches de la musique, notamment avec mon maître à penser depuis 2004, le compositeur argentin Carlos Roqué Alsina. C’est un vrai génie. À 6 ans, il donnait son premier récital, à 7 ans, son premier concert avec un orchestre. Il a une compréhension impressionnante des notes, de la musicalité. On se voit régulièrement, il me guide et me donne toujours des cours d’interprétation et de composition. Il me porte chance, je joue toujours une de ses œuvres lors de mes concours, quand c’est possible. »

De Berlin à Paris

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En 2011, master en poche, le jeune homme décide de rester encore quelque temps à Berlin. L’ambiance de la ville lui plaît beaucoup et l’inspire. S’entraînant quotidiennement, jouant à la fois des morceaux classiques ou contemporains, il s’adonne aussi, souvent, à l’improvisation, laissant ses doigts voler sur le clavier. « Avant la fin de l’année, se souvient-il, j’avais passé des auditions au Havre pour intégrer les jeunesses musicales de France. La directrice artistique, Anne Torrent, m’a appelé la veille de l’examen pour me dire qu’elle était intéressée par l’un des trois projets que j’avais présentés. C’était un conte pour enfants, leur permettant de se familiariser, d’aborder la musique contemporaine autrement, de manière plus sensible, plus émotionnelle. C’est au moment de signer le contrat, au cours de la conversation, qu’elle m’a parlé de la Compagnie du Théâtre du Corps Pietragalla – Derouault, qui recherchait un pianiste pour une nouvelle création. » C’est ainsi qu’à commencé la collaboration avec les deux chorégraphes. De cette rencontre artistique est née une vraie et sincère amitié. « Quand je suis arrivé au studio qui était à Bagnolet, à cette époque, se rappelle-t-il, ils étaient déjà en train de répéter avec leurs danseurs. Pietra est venue vers moi. Elle a commencé à me parler du projet, Les Chaises, d’après Ionesco, et des musiques qu’ils avaient prévues, pour avoir mon avis. C’était très encourageant car ils m’intégraient directement à leur processus créatif. Les répétitions se sont enchaînées, j’observais, je faisais des essais, leur proposais des lignes mélodiques. En discutant avec Julien et Pietra, tout va très vite. C’est une vraie partie de ping-pong. C’est passionnant et tellement stimulant. »

Alors que les premières représentations s’achèvent, Julien Derouault appelle le jeune musicien pour un autre projet. Le danseur chorégraphe souhaite travailler sur un spectacle solo où Yannaël s’occuperait de la bande originale et jouerait ses musiques sur scène. Ce sera Être ou paraître, un spectacle joué deux années de suite en Avignon et qui est programmé pour une longue série à Paris dès le 17 septembre 2017, au studio Hebertot. « C’est vraiment extraordinaire de travailler avec eux, raconte le jeune compositeur. Ils me font totalement confiance, on travaille en synergie. On se nourrit les uns des autres, des avis, des expériences. Je m’inspire de leurs envies et de l’ambiance que j’observe lors des répétitions. Je me nourris aussi de toutes les musiques que j’écoute : classique, baroque ou contemporaine. Ils me donnent une ligne directive, une intention, une couleur, et je laisse aller mes émotions, j’improvise. C’est grâce à eux que je me suis lancé dans la composition. Sans leur bienveillance, je n’aurais pas osé, je crois. Depuis j’ai travaillé aussi sur leur dernier spectacle en duo, Je t’ai rencontré par hasard, dont j’assurais la première partie. Toute la suite des huit Intravide, fil conducteur de ce spectacle, est née précisément d’une envie de Pietra d’avoir un son qui se transforme au fil du temps. » Ce sont d’ailleurs les musiques qu’il crée ou joue pour les différentes créations du Théâtre du corps Pietragalla –Derouault, qu’il édite dans ses Albums intitulés Berlin-Paris, dont le second opus vient de sortir. Si le titre rappelle qu’il est venu d’Allemagne pour travailler avec les deux chorégraphes, l’ensemble des morceaux joués est une sorte de présentation de ce que le jeune musicien peut faire au piano, tant en classique et qu’en composition, et en musique électro.

Une collaboration fructueuse

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Bouillonnant, hyperactif, Yannaël Quenel ne s’arrête pas à un seul projet. Vivant, respirant musique, il joue du piano tous les jours, c’est nécessaire à son équilibre. Travaillant jour et nuit, il prépare pour la rentrée, avec la compagnie l’Artifice, une comédie musicale pour enfants, mêlant piano et son électronique. Intitulé La chambre à airs… le spectacle raconte l’histoire d’une petite fille qui ne veut pas déménager. « Alors que j’étais en pleine création sur ce projet, explique-t-il, Pietra et Julien m’ont appelé pour me parler de Lorenzaccio et pour me proposer de participer à l’aventure. J’ai dit oui tout de suite. J’ai commencé à écouter de la musique d’époque, mais aussi d’autres morceaux plus contemporains. J’avais l’envie de jouer sur les différents langages musicaux. Comme eux, j’avais l’idée de quelque chose d’assez intemporel, hors du temps. Prenant des inspirations à droite à gauche, de Desprez à Brahms ou Rameau, l’objectif, ensuite, est de combiner, d’harmoniser l’ensemble pour former une suite cohérente, magique, qui emporte et souligne le jeu, le mouvement voulu par Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault et Daniel Mesguich. »

Assistant aux répétitions depuis décembre, le musicien observe, écoute, discute avec les deux chorégraphes. Il se nourrit de tout cela pour imaginer un univers musical qui colle à l’univers de la pièce, le transcende. Alors que les répétitions touchent à leur fin et que la générale de Lorenzaccio, dans la cour du Château de Grignan, arrive à grand pas, Yannaël Quenel s’accorde une parenthèse. En pleine promotion d’un second album qui reprend les musiques d’Etre ou paraître et de Je t’ai rencontré par hasard, il vient de jouer pour un concert exceptionnel à la Marbrerie. Ses musiques envoûtantes, sa virtuosité, sa personnalité touchante, avenante, font du jeune musicien un être passionnant à suivre, assurément.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Les albums Berlin-Paris et Berlin-Paris II sont disponibles chez tous les bons disquaires, sur le site panier musique ainsi que sur toutes les plateformes d’écoute. 

Crédit portrait © OFGDA / Crédit photos Fabrice Poulpier & © Laurent Bugnet

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