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La Femme rompue, les errances mortifères d’une mère aigrie

Josiane Balasko est La Femme rompue de Simone de Beauvoir.

Un cri, né dans le cœur froid et moribond d’une femme, d’une mère, déchire le silence et se brise contre des murs invisibles. Abandonnée de tous, elle hurle au monde sa haine avant que le verni craque et laisse entrevoir l’être blessé derrière l’affreuse mégère. Là où le texte de Beauvoir nous saisit d’effroi, la mise en scène froide d’Hélène Filières nous laisse à distance. Dommage !

Sous les ors vieillissants du magnifique théâtre des Bouffes du Nord, un simple et étroit divan orange sert d’unique décor. Allongée, une femme (touchante Josiane Balasko) tourne et retourne. Elle cherche désespérément le sommeil. Le bruit de ses voisins, celui qui provient du dehors, ainsi que ses démons intérieurs qui l’assaillent sans cesse, l’empêchent de trouver le repos salvateur. Excédée, épuisée, elle vitupère contre le monde qui se soucie comme d’une guigne de ses problèmes, des siens qui l’ont rejetée, abandonnée.

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On est un soir de 31 décembre, alors que tous font la fête, cette femme abîmée hurle son désespoir, sa haine, sa colère. Incapable de se remettre en question, elle rage, peste, déverse des torrents d’insanités. Elle en veut à tous : à sa mère qui n’a pas su l’aimer ; à son père parti trop tôt ; à son frère à l’ombre duquel a grandi ; à ses maris qui l’ont aimée trop vite avant de littéralement la « jeter comme une vieille chaussette » ; à son fils qui ne sait que penser de cette furie vociférant ; à sa fille décédée qu’elle n’a pas su apprivoiser ; comprendre.

C’est cet être fielleux, rigide, cette femme abîmée qui enfin ouvre les portes de sa prison et crache tout ce qui empoisonne son cœur. A bout de force, elle se libère de ses chaînes, de sa colère et se livre dans un vibrant monologue où enfin le masque tombe. Écrit comme une sorte d’auto analyse crue et féroce, La Femme rompue de Simone de Beauvoir nous plonge dans les réflexions de cette mère en souffrance, en guerre contre une société machiste qui vend une idée fausse et stéréotypée du bonheur, en colère enfin contre elle-même, car elle n’a pas su empêcher l’inévitable, enferrée dans une geôle d’indifférence.

Pris à la gorge par ce texte âpre, rugueux, on est quelque peu douché par le parti-pris scénique d’Hélène Filières. Froid, glacial, il empêche la comédienne Josiane Balasko de hurler cette rage qui la brûle de l’intérieur. A l’instar des lumières qui symbolisent parfaitement l’enfermement de cette femme blessée, la mise en scène, un brin trop radicale, trop sobre, bride l’explosion de colère, la canalise en un monologue presque monocorde qui a bien du mal à faire entendre sa noirceur, sa violence, sa brutalité. Et pourtant, on sent le bouillonnement intérieur qui la tiraille et qui ne demande qu’à jaillir en flots de lave incendiaires et libérateurs.

LAFEMME_ROMPUEfilage02_©Pascal-Victor_@loeildoliv

Parfaite dans le rôle qu’on lui a assigné, Josiane Balasko est cette femme seule, raciste, homophobe. A l’agonie, elle tente, dans un dernier souffle, de se réconcilier avec elle-même. Muselée, elle finit sur le fil par s’affranchir des règles imposées par la metteuse en scène et sauver cette représentation de sa froideur. Faute d’être véritablement bouleversé par la vie de cette mère, on est touché par le talent d’une comédienne hors-pair.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


La Femme rompue, d’après Monologue extrait d’un recueil de nouvelles de Simone de Beauvoir
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, Boulevard de la Chapelle
75010 Paris
jusqu’au 31 déc 2016
Du mardi au vendredi à 19h00 et exceptionnellement le samedi 31 décembre à 19h00
durée 1h10

reprise au théâtre Hébertot
78bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
jusqu’au 24 mars 2018
Du mardi au samedi à 19h

Mise en scène Hélène Fillières
Avec Josiane Balasko

Crédit photos © Pascal Victor

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