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Vania, Tchekhov magnifiquement réinventé

Entrez dans la Datcha de Vania et invitez vous à sa table.

Invité à la table de l’Oncle Vania, on assiste impuissant à la déliquescence de cette famille en proie aux difficultés de vivre ensemble. Témoin singulier des déchirements sentimentaux qui animent les habitants de cette datcha, on vit au plus près ce drame familial. Avec un sens aigu de l’immédiateté et de la spontanéité, la jeune Julie Deliquet s’empare de « l’œuvre monstre » de Tchekhov et en livre une version épurée, intense. Ici pas de comédiens, à peine un jeu effleuré, des personnages vivants, des âmes vibrantes qui touchent le cœur avec une sincérité et une émotion fascinante.

 La scène du théâtre n’est plus, elle a laissé la place à une gigantesque salle à manger. Au centre, trône une immense table en bois rustique. Des chaises dépareillées au style campagnard l’entourent. Un énorme buffet et un piano complètent le décor. Alors que le public s’installe de part et d’autre de ce singulier plateau au dispositif bi-frontal, comme s’il était invité à partager avec les hôtes de cette maison, un bout de pain ou un verre de vodka, un homme, veste de cuir, costume contemporain, déambule attendant l’arrivée des autres membres de la famille. C’est le docteur Astrov (excellent et charismatique Stéphane Varupenne). Il a été appelé par la fille de la maison, la frêle Sonia (lumineuse Anna Cervinka), inquiète pour la chancelante santé de son tonitruant père, le professeur Serebriakov (épatant Hervé Pierre).

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Autour de ce tyran domestique, gravite un petit monde hétéroclite qui sacrifie tout au désir de ce vieillard cacochyme et égoïste : sa jeune épousée tout d’abord, la belle Elena (flamboyante Florence Viala), ensuite son adulatrice de belle-mère (impeccable Dominique Blanc), l’homme à tout faire un peu benêt (étonnant Noam Morgensztern) et enfin son revêche beau-frère (sidérant Laurent Stocker), le fameux Oncle Vania. Mal dans sa peau, amoureux éperdu et éconduit de celle qui a remplacé sa sœur dans la couche de ce détestable homme qui régente leur vie, il étouffe chaque jour un peu plus. Désorganisant leur existence bien tranquille, imposant des heures de repas à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, il fait mener à la maisonnée un train d’enfer.

Incapable de voir au-delà de lui-même, bouleversant par ses exigences le fragile microcosme, Serebriakov épuise son entourage. Petit à petit, les rires se muent en larmes. Les jours en nuits. Tout semble partir à vau-l’eau sans que rien ne puisse empêcher qu’explose inexorablement le conflit rentré qui couve entre l’oncle Vania, qui a tout abandonné pour le bonheur de sa défunte sœur, et le professeur, persuadé que tout lui est dû. Amours inassouvies, passions délétères, impossibles, aspirations brisées dans l’œuf, tout concourt à l’effondrement de cette famille recomposée.

Au plus près des comédiens, on vit ce drame de l’intérieur. C’est toute la magie de la mise en scène imaginée par Julie Deliquet. S’affranchissant ingénieusement du théâtre classique, épurant l’œuvre de Tchekhov du superflu et de tout ce qui ne touche pas l’humain, elle signe un spectacle intense qui parle aux cœurs et aux âmes, qui émeut, bouleverse. Sans trahir la pensée du dramaturge russe, elle la réinvente, l’ancre dans le quotidien, dans la vie de tous les jours, lui donne une puissance singulière, une force nouvelle. Débarrassant les comédiens de leur carapace, les poussant dans leurs derniers retranchements et les obligeant à vivre les errances et les doutes de leurs personnages, elle livre une version viscérale d’Oncle Vania pleine d’émotion et de spontanéité.

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Ainsi, sans artifice, la troupe du Français donne le meilleur d’elle-même et démontre une nouvelle fois- comme si cela était nécessaire – son incontestable talent. Laurent Stocker est fascinant. Il campe un Vania au bord de l’explosion. Incompris au caractère brut, cynique au cœur d’artichaut, il est un homme démuni, un pathétique flamboyant. Florence Viala est impressionnante. Charmeuse sans le vouloir, elle joue avec un feu qu’elle est incapable d’éteindre. La fuite sera son salut. Hervé Pierre est brillant d’égoïsme. Tortionnaire malgré lui, il pousse avec une facilité déconcertante ses comparses à l’épuisement psychologique. Noam Morgensterzn est un fantastique idiot. Doux, tendre, il incarne avec une remarquable justesse cet homme ruiné, totalement à la masse. Dominique Blanc, cheveux gras en arrière, semble prendre un malin plaisir à interpréter cette vieille femme rêveuse, intellectuelle décatie vivant par procuration dans l’ombre de son odieux beau-fils. Stéphane Varupenne est parfait en homme désabusé. Sombre, mélancolique, il est incapable de voir la passion dévorante qu’il provoque dans le cœur de la trop douce Sonia. Quant à Anna Cervinka, elle explose littéralement. Lunaire, elle n’est que souffrance résignée et poétique drame. Vibrante, elle nous émeut aux larmes, nous touche en plein cœur.

Exsangue, bouleversé, on ressort du Vieux-Colombier avec l’étrange et singulière impression d’avoir vécu un moment rare, d’avoir touché du doigt l’âme humaine… Brillant !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Entrez dans la Datcha de Vania et invitez vous à sa table.

Vania d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov
Reprise
Théâtre Gérard Philipe
59 Boulevard Jules Guesde
93200 Saint-Denis
jusqu’au 16 Septembre 2017
du mercredi au vendredi à 20h, samedi à 18h
Durée estimée 2h00
puis du 4 octobre au 11 novembre 2017 retour au Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie Française

Mise en scène Julie Deliquet
Traduction de Tonia Galievsky et de Bruno Sermonne
Avec Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Dominique Blanc
Costumes de Julie Scobeltzine
Lumières de Jean-Pierre Michel et Laura Sueur
Musique originale de Mathieu Boccaren
Collaboration artistique de Julie André
Assistanat scénographie : Laura Sueur
pièce créée en 2016 au Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie Française

Crédit photos © Simon Gosselin

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