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Qué haré yo con esta espaça? ou la noirceur du monde jusqu’à l’écœurement

Angélica Liddell provoque l'écœurement dans Qué haré yo con esta espaça?.

Horrifique, crue et brutale est la vision sans filtre qu’a Angélica Liddell de notre société, de notre monde. Aucune barrière morale ne peut plus à ses yeux empêcher l’indicible, le monstrueux. Pour ce nouveau spectacle, elle puise dans les drames les plus atroces, les retranchements de l’être dans ce qu’il a de moins humain. Pour elle, Ce n’est plus qu’une bête assoiffée de sang, de chair et de sexe. Elle provoque jusqu’à l’outrance, jusqu’au dégoût, secouant nos âmes avec une violence terriblement froide, diablement esthétique. Avec cette fresque fleuve baroque, percutante et étrange, l’espagnole déroute et laisse plus d’un spectateur sur le carreau… perplexe ou pire nauséeux.

La critique. Dans la magnifique cour du cloître des Carmes, sur un plateau quasiment nu, recouvert d’un immense tapis bleu incrusté de centaines d’étoiles argentées, un homme en toge s’avance. Il s’arrête, scrute la salle d’un regard trouble, un peu fou. On dirait Néron admirant Rome brûlée. Il défie l’assistance et d’un geste violent, libère un bout de tissu et se livre, fier, dans le plus simple appareil avant de disparaître dans les coulisses.

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Nouveau tableau. Une femme, fine, brune, robe de soirée dorée, entre. C’est Angélica Liddell, elle même. Elle s’approche d’une table métallique installée en fond de scène. De sa voix rocailleuse, elle récite une litanie en espagnol. Elle parle de la mort et de son envie irrépressible de sexe. Elle rêve d’être « baisée » le soir où ses parents décéderont, d’être prise après sa mort, d’être un objet de désir pour les hommes plus jouissif, plus puissant qu’une femme encore vivante. Les mots sont crachés à l’assistance. Ils sont crus, barbares. Puis, elle s’allonge et présente son sexe à l’assistance comme une offrande, une réincarnation vivante et live de L’Origine du monde de Courbet. La violence visuelle est au diapason de la violence verbale. Ce n’est que le début d’une longue série d’images plus brutales, plus écœurantes les unes que les autres. Elle s’exhibe comme un morceau de viande à l’étalage. Elle semble vouloir détruire, avilir la femme, son image. Misogynie extrême ou provocation délibérée cherchant dans l’immonde une sorte de rédemption, difficile à dire tant le message est brouillé, délité par la noirceur horrifique de la fresque.

Loin de s’arrêter en si bon chemin, elle s’attaque à la jeunesse, à la femme enfant. Quittant la scène, elle laisse la place à huit jeunes femmes, belles, blondes comme les blés. Cheveux au vent, en uniforme noir, elles s’avancent sages, candides étudiantes. Elles sont des morceaux de choix pour les trois hommes d’origine japonaise, qui les suivent, les observent. Le climat anxiogène et perturbant semble plus calme, plus serein, pourtant pointe en filigrane la perversion, le désir sexuel. L’arrivée d’une Geisha, corps nu recouvert de points couleur argentés, n’en est que les prémices. Les visions cauchemardesques, écœurantes reprennent encore plus violentes, plus brutales, plus agressives. Angélica Liddell fait sauter toutes les barrières de la morale pour ancrer son propos dans l’avilissement le plus noir, le plus hideux. Notre société est malade, l’artiste espagnole nous le fait comprendre sans fard. Elle enchaîne ainsi durant près de cinq heures, les tableaux les plus sombres, révélant une humanité pervertie, barbare, où l’indicible, l’immonde sont devenus le quotidien, le banal. Elle pousse le public dans ses retranchements les plus intimes, dans l’écœurement le plus total pour qu’au delà du dégoût, au delà de la simple réflexion sur l’état du monde, on ressente physiquement le mal être, la douleur d’exister dans cet univers perverti où les cannibales, les immoraux, les vicieux, les terroristes de toute sorte deviennent la norme.

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La nausée au bord des lèvres, le public semble partagé entre fascination et rejet. Perdu dans les errances obsessionnelles d’Angélica Liddell, la perplexité, l’incompréhension gagnent la salle. En exposant ses peurs, ses fantasmes les plus sombres, les plus inavoués et ses haines, elle perd une large partie de son auditoire. En étirant à l’envi des scènes à la limite de l’insoutenable, comme ces jeunes femmes prises de crise d’épilepsie et se masturbant avec des poulpes, l’artiste semble vouloir détruire le bel esthétisme qu’elle met elle même en scène. Très vite, la ligne directrice devient illisible, inaccessible, trop complexe au commun des mortels.

Le propos nous échappe. Trop d’interrogations sur les intentions de la brune espagnole fusent jusqu’au trop plein. Dénigrant l’esprit français dès les premiers minutes, avec une citation de Cioran, on se demande jusqu’à quel point, elle souhaite vouloir être détestée, mal aimée.
Face à cette pièce interminable qui chamboule et bouleverse à l’excès, on peut se demander pourquoi subir autant de souffrance, de laideur. Quel en est l’intérêt ? A chacun de se faire ou pas sa propre idée.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon


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Angélica Liddell provoque l’écœurement dans Qué haré yo con esta espaça? © Christophe Raynaud de Lage

¿Qué haré yo con esta espada? d’Angélica Liddell
Festival IN d’Avignon
Cloître des Carmes
Place des Carmes
84000 Avignon
Jusqu’au 13 juillet 2016 à 22H
Durée 4h40

Texte, mise en scène, scénographie et costumes d’Angélica Liddell
Lumière de Carlos Marquerie
Son d’Antonio Navarro
Avec Victoria Aime, Louise Arcangioli, Paola Cabello Schoenmakers, Sarah Cabello Schoenmakers, Lola Cordón, Marie Delgado Trujillo, Greta García, Masanori Kikuzawa, Angélica Liddell, Gumersindo Puche, Estíbaliz Racionero Balsera, Ichiro Sugae, Kazan Tachimoto, Irie Taira, Lucía Yenes et la participation de figurants

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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