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Madame Bovary, une gourmandise théâtrale

Au théâtre du Poche-Montparnasse, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps signent une Madame Bovary Déjantée qui nous invite dans une danse folle et onirique.

En faisant fi de la forme, sans sacrifier le fond, Paul Emond signe une revisite dépoussiérée et décorsetée du roman éponyme de Gustave Flaubert. Loin des errances romantiques et des contraintes littéraires de l’époque, plus vivante et passionnée que jamais, la nouvelle Emma virevolte au son du bal musette et invite le spectateur dans une danse effrénée, burlesque et poétique. Happé par ce tourbillon vivifiant, séduit par l’interprétation énergique des quatre comédiens, embarqué par le dynamisme et le modernisme de la mise en scène, le public suit avec délectation les intrigues amoureuses de la belle et sort totalement conquis par cette Madame Bovary version « cabaret » … Brillant !…

Au fond, un écran géant nous invite à errer dans un immense champ de blé sépia, rappelant le bocage normand d’antan. Sur scène, quatre chaises, des trépieds, quelques instruments de musique servent d’unique décor. Quatre ombres, quatre silhouettes apparaissent. Une femme gironde, rayonnante, c’est Emma (lumineuse Sandrine Molaro). Elle est suivie de trois hommes. L’un est le mari enamouré et naïf de la belle (épatant David Talbot). Le deuxième est Rodolphe, l’amant flamboyant et cynique (charismatique Gilles-Vincent Kapps). Le dernier est Léon, jeune novice, tout aussi entiché de la pulpeuse brunette (fascinant Félix Kysyl).

madame_Bovary_11_Molaro_©brigitte_enguerand_@loeildoliv

C’est le soir des noces. Les convives chantent le bonheur naissant, idyllique, des jeunes mariés. La douce Emma, fille d’un riche fermier de campagne, épouse le charmant Charles, simple officier de santé qui lui promet monts et merveilles : une maison à la ville, une vie de fête, etc… Très vite, le beau rêve s’évanouit, laissant place à la vie monotone de notables de province. L’ennui gagne la jeune femme qui ne supporte plus la mollesse et le manque d’ambition de son époux. Bien décidée à n’en faire qu’à sa tête, elle est en permanence contrée par la sournoise et castratrice présence de sa belle-mère (divinement odieux Félix Kysyl).

Les sens échauffés après la douloureuse naissance de sa fille, la belle perd ses dernières inhibitions. Elle dépense sans compter pour assouvir son goût du luxe. Elle se donne passionnément à son amant. En un mot, elle vit, tout simplement. Humaine, incandescente, Emma virevolte, danse, tourbillonne. Entraînée dans une spirale infernale, l’émotion à fleur de peau, ce feu-follet féminin finira sa course dans le désespoir, abandonnée de tous et acculée au suicide par une dette faramineuse.

Beaucoup ont lu le roman éponyme de Gustave Flaubert, ou vu une de ses adaptations cinématographiques, que ce soit celle, très réussie, de Claude Chabrol ou, plus récemment, celle de Sophie Barthes, il fallait donc toute l’audace et l’ingéniosité de Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps pour proposer une relecture moderne de ce chef-d’œuvre littéraire et lui donner un souffle décalé et burlesque. Respectueux de l’ouvrage, ils ont proposé à Paul Emond d’en signer cette nouvelle version dépoussiérée, loin des carcans bourgeois et romantiques de la fin du XIXe siècle. S’éloignant de la forme narrative originelle, il dessine un portrait de femme drôle, humain et bouleversant.

Séduit par ce personnage fantasque aux émotions exacerbées, le spectateur suit avec délectation et gourmandise les errances amoureuses de la jeune femme, ses déceptions, ses joies, ses peines. Au son des guitares, du violon, du bandonéon et de l’harmonica, la salle plonge dans une ambiance féérique de kermesse, de cabaret sauvage. La mise en scène vive, rythmée et énergique renforce cette impression de ronde folle qui jamais ne s’arrête. Construit comme une tragi-comédie, cette Madame Bovary est un concentré de dynamisme et d’humour. Embarqué dans le sillage de cette héroïne romantique, le public s’amuse, rit, oubliant, un temps, soucis, contrariétés, ennuis et tristesse. Il faudra attendre le dernier instant pour que cette course insensée s’arrête net, rattrapée par la fin inexorable et tragique de la belle.

L’étonnante réussite de cette revisite doit beaucoup au talent des comédiens, joyeux drilles en goguette : ils sont tous excellents. Sandrine Molaro campe une Emma accorte et voluptueuse. Le sourire séducteur, les yeux pétillants, elle incarne une femme moderne qui croque la vie avec malice et excès. Le truculent Gilles-Vincent Kapps s’avère un Rodolphe implacable et cynique. David Talbot donne au fade Charles Bovary un éclat jovial atypique. Et le jeune Félix Kysyl est tout aussi fabuleux et drôle en belle-mère acariâtre que séducteur gauche et touchant en Léon…

Conquis par cette Madame Bovary des plus cocasses, le public sort de la salle, la bonne humeur en bandoulière… Jubilatoire !..

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


AFF_MADAME_BOVARY_@loeildoliv

Madame Bovary de Gustave Flaubert
Théâtre du Poche-Montparnasse
75, Boulevard du Montparnasse
75006 Paris
A partir du 12 novembre 2015
Du mardi au samedi à 19h et le dimanche 17h30
durée 1h30

Adaptation de Paul Emond
Mise en scène de Sandrine Molaro & Gilles-Vincent Kapps
Avec Sandrine Molard, David Talbot, Gilles-Vincent Kapps et Félix Kysyl ou Paul Granier
Scénographie Barbara de Limbourg
Lumières François Thouret
Costumes Sabine Schlemmer
Musique originale Gilles-Vincent Kapps
Collaboration artistique Grétel Delattre

Crédit photos © Brigitte Enguérand

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