Couv_Banquet_d_Auteuil_theatre14_@loeildoliv

Le Banquet d’Auteuil… en manque de souffre

Au théâtre 14, Jean-Marie Besset croque un Molière veillissant et homosexuel avec plus ou moins de bonheur.

Loin des bacchanales romaines, auxquelles il est fait référence, ce banquet libertin laisse un arrière goût d’inachevé tant les thématiques abordées sont beaucoup trop nombreuses : vieillesse, homosexualité, solitude, libertinage, jalousie, etc. Si les mets semblent délicieux, ils manquent de saveurs et de piquant. Au delà des mots et du phrasé très Molière, c’est le talent et le charisme des comédiens, nus comme vêtus, qui sauvent de la noyade ce spectacle… et lui offre sa planche de salut et son intérêt.

En nous invitant, chez Molière, en mai 1670, Jean-Marie Besset fait revivre un 17e siècle lettré et flamboyant. De Lully à D’Assoucy, sans oublier Cyrano de Bergerac, c’est toute la fine fleur des plaisirs du Roi qui se retrouve à Auteuil pour des bacchanales libertines. Un détail, et pas des moindres, le dramaturge, se fondant sur des écrits longtemps négligés et soumis à controverse, présente un Molière fou amoureux d’un jeune comédien de dix-huit ans, Michel Baron. Si l’hypothèse d’un Jean-Baptiste Poquelin ouvertement libertin et « gay » ne manque pas de piquant et pourrait donner à ce Banquet d’Auteuil tout son sel, très vite la trame suivie par l’ex-directeur du Centre dramatique national de Montpellier s’éparpille… Quel dommage!…

Baron_Banquet_d_auteuil_©Vincent_De_BON_@loeildoliv

Littéralement mis à la porte de l’institution languedocienne par l’ancienne ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, qui estimait son esthétique poussiéreuse, Jean-Marie Besset semble avoir voulu faire un pied de nez à cette dernière. En demandant en 2013 à son collaborateur, le jeune Régis de Martrin-Donos de mettre en scène, le Banquet d’Auteuil, pièce écrite en 2011, il fait preuve d’audace et d’humour. En effet, en 1671, soit un an après ce diner imaginaire, Molière perdait sa pension que le roi octroyait alors au rusé Lully et se retrouvait face à sa solitude.

Malheureusement pour l’excellent dramaturge carcassonnais, auteur éclectique d’une vingtaine de pièces (Perthus, RER, La Fonction, etc.) on ne s’improvise pas Jean-Baptiste Poquelin. Malgré son érudition et son talent de conteur – le texte de la pièce est fidèle à l’esprit du XVIIe siècle avec quelques accents de modernité -, il achoppe sur sa construction du personnage de Molière.

Moliere_LE_Banquet_d_Auteuil_Theatre14©Vincent_de_Bon_@loeildoliv

La multitude de thématiques, qui semblent être communes à l’auteur et au protagoniste, noie le sujet premier de la pièce et empêche que le spectateur soit happé totalement dans cet univers de libertinage. En abordant des thèmes qui lui sont intimes (Homosexualité, peur de vieillir, peur de la solitude, etc.), Jean-Marie Besset semble se contenir et passe à côté de son texte. Lui dont la finesse d’analyse, notamment sur l’état de notre société, est juste, a beaucoup de mal quand il s’agit de regarder dans le miroir de son âme. On dirait qu’il n’ose pas, qu’il est toujours en retenue, son propos s’en ressent et perd très rapidement de sa substance .Tout ici est en demi-teinte, à peine effleuré, un peu brouillon, même le banquet est loin de rivaliser avec les bacchanales romaines. Sur le papier, assez insipide, sur scène heureusement plus relevé.

Quiring_LE_banquet_d_Auteuil©Vincent_de_Bon_@loeildoliv

C’est toute la force de la pièce, le talent de ses comédiens. Si la scénographie et les décors sont sobres, c’est pour laisser place à la puissance théâtrale des interprètes. Félix Beaupérin, dont nous n’ignorons plus rien de la plastique parfaite et du rebondi du fessier, incarne un fringant Michel Baron espiègle, joueur et libertin. Hervé Lassïnce se glisse avec malice, vice et drôlerie dans le rôle du très gay Chapelle. Frédéric Quiring, dont le jeu est tout en délicatesse et doigté, est un épatant Lully à la fois ambitieux et mélancolique. En toute honnêteté, c’est le magistral Alain Marcel, qui survole la troupe. Son interprétation du fantôme de Cyrano de Bergerac est jubilatoire, drôle, caustique et sans concession pour ses congénères qui ont vite fait de s’étriper sur le dos de Molière pour le vider de sa substantifique moelle, de sa renommée et de son argent.
Ce n’est pas pour le sujet, faussement sulfureux, ou pour la nudité des comédiens, qu’il faut aller voir ce Banquet d’Auteuil au Théâtre 14, mais bien pour ses comédiens. Là, où le ridicule aurait pu s’immiscer, cette troupe hétéroclite fait des miracles et donne du poids à toute cette histoire.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Affiche_Theatre14_Banquet_D_auteuil@loeildoliv

Le Banquet d’Auteuil
de Jean-Marie BESSET
au théâtre 14

jusqu’au 25 avril
mardi, vendredi et samedi 20h 30 – mercredi et jeudi à 19h
matinée samedi à 16h

Mise en scène de Régis de Martrin-Donos
Musique originale de Jean-Pierre Stora
Costumes de Marie Delphin
Lumière de Pierre Peyronnet
Avec  Antoine Baillet-Devallez, Félix Beaupérin, Grégory Cartelier, Roman Girelli, Hervé Lassïnce, Alain Marcel, Jean-Baptiste Marcenac, Quentin Moriot, Frédéric Quiring, Dominique Ratonnat

Crédit photos © Vincent du Bon

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