Stanislas Nordey © Benoît Linder

Stanislas Nordey, 10 ans à la barre du TNS

Stanislas Nordey quitte en beauté le TNS et son École en mettant en scène "Voyage dans l'Est" d'Angot et est incarnant "l'Évangile de la nature" de Lucrèce.

Stanislas Nordey © Benoît Linder

À Strasbourg, Stanislas Nordey quitte en beauté le TNS et son École. Porté par un feu sacré depuis sa nomination en 2014, le comédien et metteur en scène n’a eu de cesse que de nourrir un projet engagé autour de la diversité et la parité. Homme de plateau, c’est sur les planches qu’il fait ses adieux en mettant en scène brillamment Voyage dans l’Est de Christine Angot et en donnant vie à l’Évangile de la Nature d’après le De Rerum Natura de Lucrèce, traduit par Marie Ndiaye, sous la direction de Christophe Perton. 

© Benoît Linder

Stanislas Nordey : c’est une sorte de lieu idéal, certainement un des endroits les plus passionnants de ce qu’il peut y avoir dans le théâtre public. C’est-à-dire un théâtre national en région, chargé d’histoire qui abrite en son sein une école nationale d’art dramatique. Le TNS s’est aussi une histoire, un ADN qui s’est construit au fil du temps, s’est enrichi des expériences passées, des directions qui m’ont précédées, comme celles de Jean-Pierre Vincent, bien sûr, mais aussi celle d’Hubert Gignoux, de Jacques Lasalle, qui ont pris des risques pour faire de ce théâtre un lieu de création, d’expérimentation et de recherche. C’est une des raisons qui à l’époque, en 2014, m’ont donné envie de candidater. Cela m’a servi de boussole. Par ailleurs, le TNS est un lieu à part sur l’échiquier du spectacle vivant, du fait de sa situation décentralisée, de sa proximité avec l’Allemagne, de tout ce que ça véhicule, ça brasse culturellement et socialement. 

L'Esthétique de la Résistance, Sylvain Creuzevault ©Jean-Louis Fernandez
L’Esthétique de la Résistance, Sylvain Creuzevault ©Jean-Louis Fernandez

Stanislas Nordey : Il y en a beaucoup. Mais je dirais tout d’abord ce que j’ai mis en place avec l’École, notamment le fait qu’un artiste vienne signer un « vrai » spectacle pour l’entrée des élèves dans la vie professionnelle. L’an dernier, Sylvain Creuzevault a monté L’Esthétisme de la résistance adaptée de l’œuvre de Peter Weiss, En 2021, Julien Gosselin avait adapté le Dekalog d’après la série de dix téléfilms imaginés par Krzysztof Kieślowski. Quelques années avant, Thomas Jolly s’était attaqué au Radeau de la Méduse de Georg Kaiser et Pascal Rambert avait écrit une pièce pour les 12 élèves du groupe 44, Mont vérité. Cela raconte beaucoup de ce que j’ai souhaité mettre en place pour cette formation, ainsi que la poursuite de l’initiative Premier acte, lancé à la Colline, dont l’objectif était de mettre plus de diversité sur les planches. Un autre point important qu’il me tient à cœur de mettre en avant, c’est la présence des autrices dans les programmations successives que j’ai imaginées. Il était primordial que sur les grands plateaux aujourd’hui, des dramaturges et écrivaines comme Claudine GaleaMarie NdiayeLéonora Miano ou Christine Angot, soient représentées. Je suis aussi très fier d’avoir pu porter avec Frédéric VossierParages, une revue qui raconte une époque et s’inscrit dans l’histoire du lieu. Plus personnellement, je dirais d’avoir porté et soutenu de grands spectacles, comme Le Passé de Julien Gosselin d’après l’œuvre de Léonid Andréïev ou Les Palmiers sauvages de William Faulkner, mis scène par Séverine Chavrier, d’avoir aussi pu accompagner autour de beaux projets, des artistes qui sont de la génération au-dessus de la mienne, comme Anatoli VassilievAlain Françon ou Jean-Pierre Vincent. Une chose qui me touche aussi et qu’il est important de signaler, c’est que grâce à une programmation éclectique, nous avons constaté avec l’équipe du TNS, que les salles étaient plutôt pleines, étaient plutôt jeunes. Ce qui était un des paris que je m’étais donné en arrivant ici. 

Stanislas Nordey : Je dirais, parce que je suis entré au TNS avec cette pièce, Je suis Fassbinder, spectacle créé en collaboration avec Falk Richter. C’était un vrai challenge, car j’ai pris le risque d’une commande sans savoir ce que cela allait donner. En tant que comédien, l’aventure avec Anatoli Vassiliev, a été une expérience autant riche, formatrice qu’âpre. C’est un directeur d’acteurs incroyable. Et puis partager le plateau avec Valérie Dréville, c’est toujours un plaisir. Il y a aussi la rencontre avec Édouard Louis, qui m’a profondément marqué. Enfin, mettre en scène Voyage dans l’Est de Christine Angot, est quelque chose de très bouleversant et touchant. Je suis très content de partir de Strasbourg sur ce texte. Quelque part, j’ai l’impression d’avoir réussi mon entrée et ma sortie. Cela dit aussi beaucoup du travail qu’exige la direction d’une institution comme le TNS : comment tu installes un projet, assoies une ligne directrice, et comment en parallèle, tu continues à prendre des risques, que ce soit en tant que programmateur, producteur, metteur en scène et comédien. 

Berlin mon garçon de Marie NDiaye. mise en scène de Nordey ©Jean Louis Fernandez
Berlin mon garçon de Marie NDiaye. mise en scène de Nordey ©Jean Louis Fernandez

Stanislas Nordey : Une forme d’étrangeté dans la forme théâtrale. Marie (Ndiaye) est surtout connu pour ses romans et moins comme dramaturge. J’avais l’impression qu’en tant qu’autrice de théâtre, elle n’était pas suffisamment mise en valeur. C’était important pour moi de l’associer au théâtre, de la mettre en l’avant. Elle a une architecture de pièce qui est singulière, qui me plaît beaucoup. Quand on la rencontre, elle a tout d’une petite souris, mais quand elle écrit c’est un dragon. Il y a un geste très passionnant dans sa manière d’aborder des sujets fondamentaux d’actualité à travers le théâtre. Ce n’est jamais frontal, mais plutôt tout en finesse et délicatesse. Dans Berlin mon garçon, la façon dont elle croque le personnage de Marina (Hélène Alexandridis), qui choisit d’être humaine avant d’être mère, est tout à fait saisissant. Cela n’a jamais l’air engagé, alors que cela l’est fondamentalement. C’est quelque chose qui m’a profondément touché. Elle est quelque part l’anti Léonora Miano, l’anti Christine Angot, mais sa langue n’en est pas moins subversive et puissante. 

Le Voyage dans l'Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez
Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez

Stanislas Nordey : Pour ce qui est du Voyage dans l’Est, il y avait tout un faisceau de raisons. Je lis ce que publie Christine (Angot) depuis longtemps et je trouvais que dans ce dernier roman, publié en 2021, il y avait une sorte de concentré de ce qu’elle est, ce qu’elle écrit depuis plus de 20 ans. Par ailleurs, il y avait dans le nom même de l’œuvre une sorte de clin d’œil à ma présence ici et à Strasbourg, d’autant que le livre, et donc le spectacle, se termine avec une scène qui se passe au TNS. C’était comme un signe, que je n’avais pas envie d’ignorer, d’autant plus pour ma dernière mise en scène en tant que directeur du lieu. Et puis, et c’est le plus important finalement, ce texte m’a mis K.O. je trouve que la manière dont elle tisse son récit, qu’elle nous attrape nous saisit, nous prend dans ses filets telle une araignée, qui n’est pas malfaisante, mais qui veut nous faire entendre des choses, ouvrir nos œillères. Je trouve d’ailleurs que ce qu’il y a finalement de plus bouleversant dans ce roman, c’est la figure de Claude (son premier mari), qui est, d’une certaine manière, nous tous, ceux qui ne sommes pas forcément concernés, qui ont pour les uns su entendre, pour les autres rester sourds à l’appel des victimes d’incestes, de violences sexuelles. Pour ce qui est de L’Évangile de la Nature d’après Lucrèce, c’est Christophe Perton qui est venu vers moi. Cela avait pour moi du sens, d’être sur scène pour faire mes adieux, puisque quand je suis arrivé au TNS, j’avais programmé Clôture de l’amour de Pascal Rambert, pour présenter au public strasbourgeois. C’est une manière de boucler le cycle, d’incarner aussi au plateau qui je suis et ce que je suis. Ce long poème écrit par Lucrèce quelques années avant J.C. évoque la nature et expose de manière théorique et onirique la puissance scientifique de l’atome à l’origine de la création de l’univers. Il donne à voir le lointain, le monde qui nous entoure bien au-delà de la terre. C’est aussi pour moi, une façon de m’envoler dans le ciel strasbourgeois, peut être à la manière d’une étoile. Il y a quelque chose de l’ordre de la pirouette, de la métaphore.  

Stanislas Nordey : Le combler, bien sûr, en prenant le temps de vivre (rires). Je ne suis pas d’une nature inquiète et je n’ai pas besoin de combler le vide. Je vais profiter de la vie, du quotidien et de mes proches. Diriger un lieu comme le TNS est une charge énorme psychologique et mentale. Je vais donc pouvoir me poser, être dans le plaisir et le bonheur de me (re)trouver nomade et libre. J’ai plein de projets en tête qu’ils soient professionnels ou personnels. Je suis tout simplement heureux de ce que j’ai eu et de ce que j’ai actuellement. 

Stanislas Nordey : De découvrir plein de nouveaux auteurs et autrices que j’ai envie de mettre en scène.


Voyage dans l’Est de Christine Angot
création le 28 novembre 2023 au TNS
Durée 2h30

Tournée
1er au 15 mars 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers

L’Évangile de la nature d’après De rerum natura de Lucrèce
Création le 13 décembre 2023 au TNS
Traduction de Marie Ndiaye & Christophe Perton avec la collaboration d’Alain Gluckstein
Adaptation, mise en scène et scénographie de Christophe Perton
Avec Stanislas Nordey

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