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M’man, dans l’ombre du père absent

Au Petit Saint-Martin, entrez dans l'univers haut en couleurs de M'man.

Volcanique, hystérique, aimante, M’man a la cinquantaine flamboyante. Belle, pulpeuse, elle attire les regards. Pourtant, derrière le masque souriant de l’exubérance, elle semble bien aigrie. La présence à ses côtés de son grand dadais de fils de trente ans ne change rien à l’affaire, bien au contraire. Pratiquant l’amour vache, elle grogne, rogne, pique, enlace et étouffe. En se glissant au cœur de ce duo plombé par l’absence paternelle, Fabrice Melquiot signe un huis-clos aigre-doux savoureux, drôle et touchant, que la mise en scène sobre de Charles Templon et que l’interprétation habitée de Cristiana Reali et tout en retenue de Robin Causse, soulignent ingénieusement. Un petit bijou corrosif et mordant entre rires et larmes.

Au centre de la scène, une immense boîte de bois trône. Alors qu’un homme en bleu de travail dégage certaines ouvertures, pour que notre regard pénètre dans l’intérieur modeste, une silhouette assise, tête baissée, apparaît dans un halo de lumière. C’est Gaby (touchant Robin Causse), le fils de la maison. Ce soir, il fête ses trente ans. L’allure juvénile, le visage poupon, ce grand dadais au chômage découpe aux ciseaux des photos de ses stars préférées dans des magazines « People », en attendant le retour de sa génitrice.

Esseulé, il semble perdu dans des rêveries bien sages, quand débarque, côté jardin, une furie blonde platine. Gironde, pétillante, les racines noires très visibles, M’man (lumineuse Cristiana Reali) revient des courses. Véritable ouragan aux couleurs chatoyantes, à la voix fêlée, un peu rauque, Brunella est tout le contraire de sa progéniture. Exubérante, vibrante, la belle a la cinquantaine flamboyante. Très vite, les masques tombent, chacun révélant blessures, fêlures qui pourrissent leurs rapports filiaux. L’absence de la figure paternelle est le point d’achoppement de ce huis-clos familial.

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Humiliée par les aventures extraconjugales de son ex-mari, Brunella tempête, peste, râle. Impétueuse, légèrement bipolaire, excitée sur les bords, un brin perverse narcissique, elle s’en prend à ses proches espérant ne pas subir leur trahison, leur absence, leur abandon. Incapable de lutter contre ses démons intérieurs, son amour maternel est tendre parfois, mais le plus souvent étouffant, possessif, irrationnel.

Face à ce dragon aimant et déchainé, Gaby a bien du mal à faire entendre sa voix. Il tente de soulager les maux de sa mère, de ne pas être une charge pour elle. Mais rien n’y fait. Toutes ses initiatives se soldent par des échecs cuisants. Trop sage, trop discret, il n’arrive pas à affronter cette M’man qui l’exaspère mais qu’il chérit éperdument.

En s’infiltrant au sein de ce cocon familial branque et en le suivant à des moments clés sur dix ans, Fabrice Melquiot signe une pièce douce-amère qui dissèque les relations fusionnelles et écorchées d’une mère et de son fils. De sa plume aigre-douce, il cherche à comprendre les mécanismes qui font que cette cellule est dysfonctionnelle. Il lance des hypothèses, puis les laissent tomber aussitôt, nous entraînant dans un jeu de pistes voyeuriste, passionnant mais terriblement frustrant.

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La scénographie ingénieuse et sophistiquée voulue par Charles Templon, imaginée par Pierre-François Limbosch, renforce ce sentiment de témoin oculaire et passif de cette vie familiale en pleine déliquescence. En plaçant l’action dans une boîte de moins de 10m3 qui a tout du kaléidoscope, le metteur en scène enferme littéralement le duo mère fils dans une prison où les sentiments servent de chaînes . Incapable de s’éloigner l’un de l’autre, ils vivent en vase clos. Toute tentative d’évasion se termine inlassablement par le retour au bercail. L’amour qui les lie, les enferre dans ce champ de bataille étroit qui se délite de plus en plus avec le temps qui passe. A chaque tour, la boîte-manège perd des morceaux et laisse un peu plus notre regard inquisiteur pénétrer dans cet antre tiède et féroce.

Prisonnier d’une ville frontalière, engoncée dans une vallée inhospitalière et pauvre, le duo de comédiens nous plonge au cœur de la souffrance de ce couple mère-fils. Ils font oublier le théâtre grâce à leur complicité criante et leur jeu naturel. Cristiana Reali campe à merveille cette vamp’ sur le retour. Flamboyante, elle donne à cette M’man un peu tordue, un peu décalée, une dimension profonde et bouleversante. Solaire, elle irradie l’espace de cette chaleur, de cette générosité toute italienne entre cris perçants et étouffants baisers. Parfaitement dirigée par Charles Templon, elle est épatante. Face à elle, Robin Causse est exceptionnel. Son air enfantin, sa silhouette longiligne, collent parfaitement à ce fils un peu fade qui a bien du mal à exister dans l’ombre de cette mère ogresse. Lunaire, sourire enjôleur, il passe avec aisance du trentenaire adolescent au quarantenaire posé, serein, apaisé.

M’man est un moment d’humanité rare entre rire et larmes, qui captive et séduit par son authenticité et la justesse du propos… Une pièce bouleversante à ne pas rater !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

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M’man de Fabrice Melquiot
Théâtre du Petit Saint Martin
17, Rue René Boulanger
75010 Paris
jusqu’au 31 décembre 2016
Du mercredi au samedi à 19h ou 21h en alternance et le Samedi 17h en alternance.
Durée 1h20 environ

Mise en scène Charles Templon assisté de Marjolaine Aïzpiri
Avec Cristiana Reali, Robin Causse.
Décor de Pierre-François Limbosch
Lumières de François Menou
Création musicale de Jan Pham Huu Tri
Costumes de Charles Templon

Crédit photos © Richard Richebé

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