Bernard Crombey © DR

Bernard Crombey, un homme « Plein de super »

Depuis 2009, du Rond-Point, en passant par le Lucernaire, le festival Off d’Avignon et de nombreux théâtres de France et de Navarre, l’artiste présente son magnifique spectacle, "Monsieur Motobécane". Aujourd'hui, c'est au Petit Saint-Martin qu'il pose ses valises.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai été très vite touché par la musique… Mon père voulait être chef d’orchestre. Beethoven, Liszt, Schubert tournaient en boucle tous les week-ends à la maison sur le tout nouveau tourne-disque des années 1960. C’était presque trop fort comme émotion. Et soudain, j’ai l’envie de réussir à jouer le premier mouvement de La sonate au clair de lune de Beethoven (pas si difficile techniquement) ! Je l’ai fait et tout s’est arrêté là. Les cours de théâtre, un prix de comédie classique et moderne au conservatoire national m’ont embarqué très vite vers une carrière de comédien.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
La rencontre avec un professeur d’art dramatique, René Simon, avant le conservatoire. Il nous parlait de poésie avec une mystérieuse extravagance. Toute la vie à vivre n’était que rêve et poésie face à une mort aussi abrupte, ridicule et fatale.

Bernard Crombey - Monsieur Motobécane © DR
Monsieur Motobécane © DR

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Je n’ai pas choisi. Un copain avec qui je jouais au poker dans les caves oisives de Picardie m’a dit : « Tiens ! Demain, je vais dans un cours de théâtre à Paris… pour voir. » Je lui ai répondu : « Ah oui ? J’irais bien faire un tour moi aussi, pour voir. » Je n’avais jamais vu une pièce de théâtre de ma vie. Je me suis assis sur les bancs du cours Simon. J’ai vu. Je n’ai plus jamais décollé les fesses.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle auquel j’ai participé serait plutôt le souvenir d’une scène de La Leçon de Ionesco. Cette scène était déjà pour moi comme si je jouais tout un spectacle même si elle ne durait que 10 minutes. Et au final, j’ai eu avec ce texte, un prix de conservatoire.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Le coup de cœur au théâtre, cela fut lorsque je suis allé voir Jacques Dufilho, dans la mise en scène de mon professeur au conservatoire Jean Laurent Cochet, Le Gardien d’Harold Pinter. J’y suis allé le mardi, puis le mercredi, puis le jeudi… Un très grand acteur associé à une très forte pièce et la magie du théâtre surgit. Je crois bien que j’aurais pu y aller tous les soirs de l’année. Le virus était définitivement accroché sous la peau.

Bernard Crombey et Alain Cavalier © DR
Avec Alain Cavalier devant l’affiche du film, « Le plein de super » © DR, collection privée

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
L’une des plus belles rencontres professionnelles a été d’abord à la sortie du conservatoire. Je devais choisir entre la Comédie-Française et le film d’Alain Cavalier, Le Plein de Super. Il m’avait proposé une aventure bien particulière qui était d’écrire le scénario en collectivité avec mes camarades du Cours Simon (camarades-amis d’avant le Conservatoire), Patrick Bouchitey, Étienne Chicot et Xavier Saint-Macary. J’ai choisi l’aventure.

Évidemment, les tournants de choix de vie commencent souvent tôt. Mais serais-je encore au Français si j’avais accepté d’y entrer ? J’aurais bien sûr aimé y entrer, mais je crois que je n’étais pas fait pour jouer trois pièces dans la même semaine (ou quelques fois le même jour). J’aime cette répétition d’améliorer chaque soir jusqu’à plus soif. Après, ce sont les rencontres avec tous les poètes. Robert Desnos par exemple, j’ai fait un spectacle sur son œuvre, Rose Sélavy. Et à nouveau avec Alain Cavalier qui m’a filmé en tournée de Monsieur Motobécane, pendant dix années de suite, pour le film cinéma documentaire sortie en salle en 2018, Six Portraits XL. Il y a aussi une belle rencontre avec Bertrand Blier, sur Buffet froid et Les acteurs. Un excellent réalisateur autour d’un cinéma qui décoiffe.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Mon équilibre, c’est avant tout de vivre avec les mots, chaque jour. Qu’ils soient dits ou écrits. Je ne me serais pas satisfait uniquement de les dire. C’est pourquoi je me suis mis très tôt à écrire. D’abord pour le cinéma avec Alain Cavalier, puis pour le théâtre notamment avec Monsieur Motobécane. Nous fêterons cette année les quinze ans de la création à Paris au théâtre du Rond-point.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’inspiration est directement liée à l’émotion. Tout ce qui produit une forte émotion. Qu’elle soit sur le plan artistique, social ou politique. Lorsque l’émotion bouleverse votre quotidien, on a très vite envie de se l’approprier pour faire un sujet. Une discussion à bâtons rompus, un livre, une pièce de théâtre, un film, un doc animalier ou un doc sur une fleur, etc., ou jouer Shakespeare.

Les Chaises - Ionesco - Harcourt © Fabienne Rappeneau
Avec Frédérique Tirmont dans « Les Chaises » de Ionesco © Fabienne Rappeneau

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Mon rapport à la scène est autant dans la passion de retravailler sans cesse le texte que dans la création nouvelle. Au fil des ans, le corps change, l’esprit se précise, la sensibilité prend la direction au plus proche de vous-même et cela donne une certaine forme d’aboutissement dans le travail de son art. Mais j’aime aussi surprendre ou me surprendre en changeant totalement de direction. Monsieur Motobécane ou Les Chaises de Ionesco sont des textes plutôt en rapport avec l’émotion dramatique, alors que mes deux prochains projets sont des comédies. Mais la comédie fait partie aussi du domaine de l’émotion…

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le désir de pratiquer le métier de comédien en rapport au corps est souvent lié au début (dans les cours de théâtre) au désir d’expérimenter ses éventuelles qualités de séduction ou d’assumer ses défauts. « On me dit que je suis beau, je vais aller vérifier sur scène ce que l’on en pense. On me dit que je suis laid, je vais aller vérifier ou prouver que je suis bien capable qu’on me trouve beau, ou de me sentir beau moi-même. » Après, tout est au plus proche de son instrument : la voix. Au théâtre, tout est musical. Un certain rythme, un phrasé, une certaine intonation, et tout est différent. Et le regard peaufine le tout.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais travailler avec tous ceux qui m’ont procuré une forte émotion (on en revient toujours au point de départ) et ils sont trop nombreux pour les citer. L’émotion n’a pas de classification, elle est reste toujours l’unique instant et un souvenir indélébile.

Bernard Crombey - Le Cancre © DR
Dans « Le Cancre » de Daniel Pennac © DR

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Après quelques adaptations pour le théâtre, plutôt proche de la poésie dramatique, c’est maintenant de participer en tant que comédien-auteur à la pure comédie que je vais essayer de monter. Se réunir à plusieurs pour faire rire avec votre propre texte. Une expérience qui me paraît être le summum d’une certaine jubilation. Nous savons tous que réussir une comédie fait toujours plus ou moins partie du domaine de l’improbable. La plupart des comédies sont moyennes même si elles font certains succès. Lorsqu’elle est vraiment bonne, elle triomphe systématiquement. Oui, c’est un projet fou. Jean Poiret y excellait par exemple. Avec ses qualités et ses défauts, si je réussis à ce qu’elle soit moyenne et que ça marche, je serais déjà au comble de la satisfaction. Il faut d’abord qu’elle soit à l’affiche…

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
L’œuvre d’une vie ? Ah ! Se lever le matin, penser à la façon de dire le texte que l’on doit mémoriser après le petit-déjeuner. Prendre son crayon et sa gomme, jouer aux mots qui dansent tout l’après-midi et tenter de les accorder au mieux pour les faire vivre un jour dans la bouche des comédiens. Cela suffit pour l’œuvre d’une vie. Pour le reste ou le principal d’une œuvre (comme on veut), ce serait d’œuvrer au quotidien à ne jamais perdre le regard de ceux qui l’ont porté chaleureusement sur vous le matin, de façon à le rendre l’après-midi sur les autres.


Monsieur Motobécane de Bernard Crombey d’après Le Ravisseur de Paul Savatier
Petit Saint-Martin
17 Rue René Boulanger
75010 Paris.
Du 25 avril au 29 juin 2024.
Durée 1h15.

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