Instinct de survie

Au 11. Gilgamesh Belleville, Catherine Germain nous invite à un visite bien singulière de Marseille.

A Marseille, dans les quartiers nord, une rencontre intense, forte, va bouleverser l’auteur et metteur en scène François Cervantes. Touché par le destin d’une femme, il en fait le sujet haut en couleurs d’un seul-en-scène poignant que l’interprétation magistrale de Catherine Germain magnifie. Epique et unique ! 

Son monde est sur le point de s’écrouler. Le snack où elle habite depuis des décennies est sur le point d’être détruit, rasé, pour faire place nette, donner un peu de lustre aux quartiers nord de Marseille. Latifa Tir n’a plus de larmes, plus de rage, juste une histoire à raconter, celle de Marseille, celle d’un quartier qui ne cesse de muter, celle de l’émigration algérienne dans les années 1950. 

Rencontrée lors d’une enquête menée auprès des habitants du quartier qui entoure le théâtre du Merlan, Latifa Tir est une nature, un personnage qu’on n’oublie pas, une figure emblématique de cette cité phocéenne aussi généreuse que violente. Née au château de la Busserine, où son père émigré a élu domicile, hébergé généreusement par la propriétaire des lieux, elle grandit à deux pas dans un bidonville, avant d’intégrer les immeubles flambant neufs construits en lieu et place dans l’ancienne demeure qui a vu ses premiers pas. 

A côté de son père, l’homme le plus respecté du quartier, elle voit sa ville, Marseille, se transformer sous ses yeux. Elle apprend un métier sur le tas, se fait une place. Célibataire endurcie, elle vit toujours avec sa mère, dont elle s’occupe. Elle sert de cantine aux habitants de la cité. Elle est aimée, estimée de tous. Elle se bat pour maintenir le commerce à flot. L’annonce de la destruction de son snack est le coup de grâce. Résignée, elle ne l’est pas. Telle Gandhi, elle va mener tous les recours possibles pour éviter l’expulsion. En vain, on ne peut rien contre la rénovation urbaine, la spéculation immobilière. Le lieu ne sera pas sauvé, mais son âme perdure dans son corps, dans son nouveau local qui verra le jour in extremis grâce à l’aide solidaire de ses voisins, des caïds, des ouvriers chargés de démolir les vestiges d’une vie passée. 

Le verbe haut, coloré des gens du sud, le phrasé simple, Latifa Tir charme par sa faconde sans langue de bois. Avec gourmandise, tendresse, François Cervantes recueille ses paroles, son histoire, lui redonne vie sur scène. S’amusant à brouiller les frontières entre réalité et fiction, il imagine un seul en scène vibrant, humain. Porté par l’extraordinaire Catherine Germain, qui se fond imperceptiblement avec son personnage – on en oublierait presque que ce n’est pas Latifa qui est au plateau -, le spectacle emporte le spectateur dans un voyage singulier dans la mémoire d’une femme, d’un quartier. 

Totalement suspendu aux lèvres de la comédienne, le public séduit, ensorcelé, se laisse emporter sur le chemin palpitant et drôle d’une vie. La fièvre monte, l’envie d’en découdre au côté de Latifa pour sauver son snack se fait de plus en plus pressante. C’est tout simplement formidable.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon


Le rouge éternel des Coquelicots de François Cervantes à partir de conversations avec Latifa Tir
Festival d’Avignon le OFF
11 Gilgamesh Belleville
11, boulevard Raspail
84000 Avignon 
Jusqu’au 26 juillet 2019 à 22h15
Durée 1h00


Mise en scène de François Cervantes
Avec Catherine Germain
Création lumière de Dominique Borrini 
Création son et régie générale de Xavier Brousse

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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