Coming-out en famille hostile

Sous l'impulsion du metteur en scène David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen esquisse le portrait d'une mère homophobe fanatisée.

Pièce commandée par David Gauchard à Marine Bachelot Nguyen, Le fils est un grand coup de cœur de lecture. Ce texte est un uppercut en plein cœur, un récit simple, doux, et pourtant d’une terrible violence. Le pire, c’est qu’elle n’est pas voulue, pas consciente, et qu’elle partirait même d’un bon sentiment ! 

Marine Bachelot Nguyen arrive à nous rendre sympathique un personnage que nous devrions détester. Au lieu de ça, nous la plaignons, avons envie de lui parler, de la raisonner… 
Nous la suivons et comprenons son cheminement sans être d’accord avec elle, mais sans lui jeter la pierre pour autant : sa bêtise, sa soif de paraître, d’être reconnue, l’emportent sur sa réflexion. 

Cathy est femme de pharmacien. 
Elle va à la messe tous les dimanches, en famille.
Elle élève ses deux garçons. Anthony le fort, le casse-cou, avide de bagarre : « Il est né par la voie naturelle ». Puis Cyril le délicat, le chétif, qui préfère rester dans sa chambre à lire ou jouer au piano : « Il n’est pas sorti par le bon endroit, vous croyez que ça compte ? »
Quand les enfants grandissent, Cathy est fière d’aider son mari à la pharmacie, de conseiller les clientes et de les écouter. 
Mais elle culpabilise : délaisse t’elle ses enfants ? 

Le fils, c’est le récit-confession de Cathy, une femme conservatrice, réactionnaire, raciste, à l’homophobie culturelle, religieuse et sociale… Rien de bien méchant, comme dirait certains : juste de quoi s’intégrer dans le milieu que son mari est tellement fier qu’elle fréquente. 
Car elle n’est pas méchante, Cathy, non, on s’attache même carrément à elle ; elle est simplement entraînée par les mauvaises personnes ! 
Ce qui préoccupe Cathy, c’est la notion de bien. 
Pour le reste, Dieu est amour : il saura pardonner. 

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Quand Anthony présente Sidonie, et que Cyril présente Thomas avec qui il fait un exposé, Cathy ne voit rien venir. 
Quand Cyril se mure dans son silence et qu’Anthony se rase les tempes à ras, elle ne voit rien venir non plus. 
Et quand Cyril rentre la gueule amochée et qu’Anthony dit que c’est des sales Arabes qui l’ont attaqué, elle ne pose pas de questions, ça lui semble logique. 
Elle ne sent pas la tension monter entre ses deux garçons. 
Elle ne sait pas dire autre chose que : « On arrête maintenant », ou « on se calme ». 

Avec sa nouvelle amie Ludivine, Cathy parle de bioéthique et de fil en aiguille, elle manifeste contre le mariage pour tous, contre l’avortement, « brainstorme » avec d’autres femmes sur des actions à mener… 

Quand elle comprend ce qui se passe entre Cyril et Thomas, la colère, la honte, la culpabilité et le reproche s’emmêlent en elle de façon hystérique et chaotique. Elle en devient mesquine, méchante et perd complètement les pédales.
Ludivine la rassure cependant : il n’y a pas à s’inquiéter ! Au contraire ! 
Elles auraient bien besoin du profil de Cyril au sein de leurs manifestations : cela dirait que l’on peut être homosexuel, mais être tout de même contre le mariage pour tous ! 

Cyril écoute TOUT ce que sa mère lui dit avec amour, pardon et douceur ; tous ces mots qui sont à lire ABSOLUMENT. Comment le bon sentiment peut-il être aussi violent ?
Cyril ne donne pas tout de suite sa réponse.
Je vous laisse la découvrir.

Il y a tellement de choses dans ce récit pourtant court : la difficulté d’être mère, le besoin d’être aimée, et reconnue, et désirée, et écoutée, la facilité de la bêtise qui ne cherche pas soi-même l’information mais l’écoute simplement de bouches à oreilles, l’envie de perfection, la certitude de correspondre à ce que Dieu attend de nous, le rejet de l’autre dans sa différence non par méchanceté mais pour protéger le bien, la certitude d’incarner ce bien, de faire tout ce qu’on peut pour le faire entendre, jusqu’au bout… 

Mais après le bout, qu’est-ce qu’il y a ?
Après le bout, il y a le doute : le nôtre, sur nos propres voisins que l’on peut trouver bêtes et méchants parce qu’ils ont le même profil qu’elle. À la fin de ce récit, on aurait voulu pouvoir l’aider, cette femme que l’on connaît forcément autour de nous. Si on l’avait prise dans nos bras au lieu de la condamner, est-ce que ça n’aurait pas changé quelque chose quand même ?

Catherine Verlaguet

Le Fils de Marine Bachelot Nguyen – Lansman Editeur

La pièce a été joué au Théâtre du Rond-Point au Printemps 2019
Idée originale, mise en scène et scénographie : David Gauchard
Avec : Emmanuelle Hiron

Crédit photos © DR, © Daniel Stockman – Wikimédia Commons et © Giovanni Cittadini Cesi

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