Et après ?

Jeune comédien et metteur en scène, Barthélémy Fortier livre ses pensées sur la crise qui secoue actuellement notre pays.

Depuis quelques jours, la plupart des activités sur le territoire sont à l’arrêt.
La culture est en berne
Les salles de spectacle ont fermé.
Les compagnies sont en attente.
Avec la peur de cette pandémie, est venue la crainte de nos futurs.

Je m’appelle Barthélémy Fortier. J’ai 23 ans.
Je suis metteur en scène, et directeur de la compagnie Ce soir-là, c’était la Neige.
Je suis actuellement en création sur mon second spectacle, une adaptation du roman d’Howard Buten, Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué.

A l’annonce de ce début d’épidémie, j’ai senti une crainte approcher, qui allait bientôt se concrétiser avec le confinement que nous vivons toutes et tous, actuellement.
L’ensemble du secteur culturel est touché, et les effets de cet arrêt brutal seront sans aucun doute désastreux pour tous.
L’ensemble des acteurs et des structures culturel.le.s va être drastiquement touché.
Après deux années chahutées aux rythmes des mouvements sociaux, cette décision, bien que nécessaire, va sans aucun doute mettre en péril la situation économique de notre secteur.

Je pense aux structures, et aux coûts déficitaires annoncés.
Je pense aux compagnies dont les tournées et les représentations se voient reportées, réduites, annulées.
Je pense aux contrats déchirés.
Je pense aux intermittent.e.s qui calculent leurs heures mois après mois et pour qui l’élargissement de la date d’anniversaire ne changera rien.
Je pense aux auteur.trice.s.
Je pense aux musicien.ne.s.
Je pense aux pigistes.
Je pense aux artistes salarié.e.s.
Je pense aux artistes bénévoles.
A tout ceux qui voient disparaître du jour au lendemain, et pour une durée indéterminée, leurs seules sources de revenus.
Je pense à tous les précaires pour qui il sera impossible de déterminer de dédommagement.

L’ensemble du spectacle vivant est à l’aube d’une période douloureuse d’austérité et de précarisation.
Évidemment, ce sera difficile pour les lieux subventionnés, les grandes compagnies, les théâtres nationaux, les CDN, les artistes conventionné.e.s et associé.e.s. Ils.elles verront tragiquement certains de leurs spectacles annulés, leurs saisons décalées, de six mois, un an, peut-être plus. Mais ils survivront.Qu’en est-il des plus petits, des plus précaires ?

Je vois des compagnies dont la première tournée, celle qui devait suivre leurs lieux partenaires, qui devait servir à faire rayonner leur pièce, est arrêtée et ne sera pas reconduite.
Je vois des spectacles qui ne se reprendront pas, ou difficilement.
Je vois des compagnies qui observent péniblement leur travail, mort dans l’œuf, qui se disent qu’il sera plus facile de repartir directement sur une autre création, laissant celle-ci abandonnée au néant.

Je vois des ami.e.s auteur.trice.s, comédien.ne.s, metteur.e.s en scène, musicien.ne.s,… intermittent.e.s ou non, qui voient arriver vers elles.eux une année d’annulation, synonyme d’année sans revenu, et qui se demandent sincèrement comment elles.ils vont faire.
Je vois des ami.e.s auteur.trice.s, comédien.ne.s, metteur.e.s en scène, musicien.ne.s,… qui pourront se battre et redoubler d’efforts pour relancer activités et créations.
Je vois des ami.e.s auteur.trice.s, comédien.ne.s, metteur.e.s en scène, musicien.ne.s,… qui savent ,déjà que leur travail alimentaire deviendra inéluctablement leur prochaine priorité.

Je vois des compagnies qui espèrent, jour après jour, que leurs rendez-vous de production ne seront pas annulés ; que les subventions qu’ils attendent tomberont ; que les lieux auxquels elles sont associées continueront à les soutenir ; que les contrats signés seront honorés ; que les dates prévues seront maintenues ; qui, après s’être endettées, pourront se rembourser en jouant leur création et ainsi continuer à répéter dans les lieux qui les accueillent.

Et moi je me demande, comme tous autour de moi, si le spectacle sur lequel je suis en train de travailler verra-t-il le jour ?
Nous allons évidemment devoir reporter nos périodes de répétition, au mieux en début de saison prochaine.
Les lieux qui devaient hier nous accueillir voient eux aussi leurs plannings chamboulés, leurs propres créations déplacées. Alors, vont-ils continuer à accueillir d’autres artistes ?
Ces mêmes lieux qui vont subir une perte financière colossale pourront-ils se permettre d’ouvrir leurs portes à de jeunes compagnies ?
Pourront-ils se permettre d’ouvrir leurs saisons à d’autres spectacles ? Pourront-ils se permettent certaines prises de risques ? 
Les subventions qui devaient rembourser les frais de nos créations vont-elles être honorées ?
Les comédien.ne.s, à qui je ne peux pas encore payer les répétitions, qui ne sont pas encore intermittent.e.s, et qui ne percevront aucun revenu pendant quelques mois, pourront-il.elle.s se permettre de retourner en répétition ?

Poser ses valises le temps d’une création, maintenir ces moments de recherche, ces instants suspendus, prendre le temps, ensemble, va sans doute devenir un luxe dans les mois qui arrivent.
Les lieux soucieux de garantir le soutien pour lequel ils se sont engagés, se verront dans l’obligation de réduire le temps et le coût accordés à chacun.e, afin de pouvoir conserver l’ensemble de leurs compagnies.

J’ai la chance inouïe que les toutes premières dates de mon spectacle soient conservées, mais je sens, je sais, que l’horizon des possibles se réduit pour les mois qui arrivent.

J’aimerais être certain que l’État sera garant d’un relais financier et d’un accompagnement pour tous les artistes, quels qu’il.elle.s soient, mais je n’arrive pas à me persuader.
Même quand je vois que Franck Riester annonce une aide d’urgence pour la culture de 22 millions d’euros, je m’en réjouis, et ne peux pourtant m’empêcher de me demander :
Qu’en sera-t-il des plus précaires d’entre nous ?
Qu’en sera-t-il de ceux.celles qui n’ont pas de contrats pré-établis, de ceux.celles qui devaient jouer en partage de recette, de ceux.celles qui ne sont pas produit.e.s, de ceux.celles dont les répétitions ne sont pas payées, de ceux.celles qui jouent au chapeau, de ceux.celles qui jouent dans la rue,… et de tous.toutes les autres. De tous.toutes ceux.celles qui n’auront le droit à aucune variable d’ajustement et qui ne sont engagé.e.s que par leur passion.

Je m’interroge sur notre projection de l’après :
Comment va-t-on redémarrer l’activité ?
Une fois cette crise passée, allons-nous tout reprendre comme avant ? Peut-être même avec plus de vigueur, dans une frénésie excessive pour rattraper ces temps d’arrêt ?
Ce présent qui nous est imposé, ne doit-il pas être porteur d’un questionnement profond sur la gestion de la reprise d’activités dans nos secteurs ?
Alors je me demande, ne serait-ce pas le moment de se pencher sur une autre façon de concevoir, produire, et diffuser nos spectacles ?
Que changer ? Quoi changer ?
Ce bouleversement drastique et inédit doit être, je pense, la base d’une nouvelle réflexion sur l’ensemble de notre secteur.
Une pensée solidaire.
Les prochains mois, peut-être les prochaines années, vont être difficiles.
Nous devons nous tenir côte à côte pour pouvoir continuer à travailler, à inventer, à créer !

Lieux associatifs, lieux municipaux, CDN, lieux nationaux, compagnies amateures, jeunes compagnies, collectifs, compagnies confirmées, compagnies subventionnées, nous allons devoir lutter contre la sélection naturelle et financière qui nous guette.
La force du théâtre vivant aujourd’hui se trouve sans aucun doute dans sa diversité.
Pour conserver cette dernière, nous allons être dans l’obligation de réfléchir ensemble, sans concurrence, sans différences, sans préjugés ni supériorités.
Penser, les uns avec les autres, dans une idée, peut-être, de mutualisation, d’entre-aides, de solidarité.
Dans les mois qui arrivent, et plus que jamais, les grands devront aider les petits ; les stables, les plus précaires ; les plus visibles, ceux de l’ombre. Et l’inverse sera sûrement vrai aussi.
Notre devoir sera de nous protéger, toutes et tous.

En attendant, profitons de cette période étrange d’inactivité forcée pour nous recentrer, échanger et travailler.
Pour réfléchir sur notre rapport aux lieux, aux espaces, à notre économie.
Je vois tout autour de moi des artistes qui inventent de nouvelles façons de faire leur métier et de le diffuser.
Il y a de nouvelles perspectives à créer !
Et il serait sans doute idiot de repartir ensuite en faisant comme si rien n’avait changé.
Une nouvelle façon de penser notre secteur pourra-t-elle être salvatrice ? Pour nous toutes, nous tous ?

Barthélémy Fortier, comédien et metteur en scène

Crédit Photos © Stéphane VaqueroSéance de Travail au CRESCO à Saint-Mandé

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