Le théâtre taïwanais, une douce mutation

A la condition des soies, la compagnie taïwanaise Gang-a-tsui propose un spectacle théâtral entre tradition et modernisme.

A la Condition des soies, Chen Yu-Dien s’empare de la Trilogie taïwanaise de l’écrivaine Shih Shu-Ching et signe un spectacle puissant entre tradition et modernisme. Représentant de la nouvelle vague théâtrale, le metteur en scène donne la parole à sa productrice Liu Wan Yi, qui revient sur sa carrière et sur l’évolution de cet art en pleine révolution.

Comment définiriez-vous le théâtre taiwanais d’aujourd’hui ? 

Liu Wan Yi : Dans les années 1980, de nombreux artistes ont tenté de définir ce que représentait le théâtre dans notre histoire. On pourrait dire qu’il est essentiel comme la danse à Bali ou le Buto au Japon, car il incarne tout l’esprit de notre culture orale. Par souci de trouver un langage corporel qui nous serait propre, qui serait ancré dans la pensée taïwanaise, le fondateur de la compagnie Gang-a-tsui, CHOU Yi-Chang, décédé il y a 3 ans lors d’un voyage de recherche, s’est intéressé aux différents styles que regroupent nos arts traditionnels, tel que le Taichi. En puisant çà et là, il a mis au point le Nanguan, qui rend allie classicisme, rites ancestraux et modernité. 

Pourquoi est-ce important de partir du théâtre traditionnel taïwanais

Liu Wan Yi : Quand on cherche l’origine du théâtre français, on peut plus ou moins trouver des influences italiennes mais les deux fusionnent progressivement, pour former une sorte de théâtre que l’on pourrait dire européen. Lorsque l’on cherche les particularités du théâtre asiatique, on se retourne naturellement vers des formes anciennes, car c’est dans ces richesses de mouvements codifiés que les acteurs peuvent trouver leur marque. Fort de cela, ils y puissent une énergie nécessaire qui sert de terreau au théâtre contemporain.  

Comment cette tradition s’inscrit-elle dans le processus créatif de la compagnie ? 

Liu Wan Yi: Même si les jeux des comédiens sont importants dans le théâtre traditionnel, il ne faut pas oublier le contenu, le texte. Mais les spectateurs d’aujourd’hui, surtout les jeunes à Taïwan, n’arrivent pas à apprécier les textes anciens sous leur forme d’origine en raison d’idées préconçues ou par manque de connaissances. Afin de susciter leur intérêt pour cet art qui est d’une grande beauté, nous essayons de trouver un équilibre entre tradition et contemporanéité. On tente de mettre en exergue les sujets universels pour que cela leur parlent, les touchent, les captivent.

Comment mêle tradition et modernisme dans son travail Chen Yu-Dien ? 

Liu Wan Yi: Dans notre adaptation de Le Passage à Lo-Jinil s’agissait de mettre en parallèle deux scènes différentes qui représentent d’un côté la vie réelle de l’acteur principal et une pièce de théâtre classique dans laquelle le comédien lui-même en est un interprète brillant. La première se joue en langue parlée à Taïwan de la dynastie Qing où se situe l’époque du roman, et l’autre en une langue plus ancienne qui date du 17e siècle. Tout en voyageant dans ces deux espace-temps, les spectateurs sont amenés à se questionner sur les codes sociétaux du passé au présent, à travers deux histoires parallèles. 

La pièce présentée en Avignon parle tout particulièrement de la femme et de sa place à Taïwan. Qu’elle est-elle ? 

Liu Wan Yi : En effet, l’œuvre est adaptée d’un roman-fleuve qui est le premier écrit par une écrivaine taïwanais. Donc c’est très significatif dans l’histoire de la littérature de notre pays. La situation des femmes racontée dans le roman, tout comme ce qui est toujours représenté dans les opéras traditionnels, relève non seulement d’une réalité historique qui place les femmes en permanence sous la domination ou la manipulation des hommes, mais aussi questionne plus particulièrement notre identité. Par ailleurs, à travers les scènes qui montrent bien les hésitations et les confusions des personnages pauvres devant les puissants, on renforce également cette situation ambivalence.

Que voulez-vous montrer à un public occidental ? 

Liu Wan Yi : Selon les connaissances générales, notre théâtre traditionnel est basé beaucoup sur les jeux d’acteurs, à travers les entraînements corporels, les répétitions techniques, etc. Lorsqu’il est question d’apporter des éléments modernes dans ce type de représentation, le travail du texte semble être essentiel. C’est ainsi que le metteur en scène a décidé de confronter le public à l’adaptation d’un roman contemporain tout en l’ancrant dans le perfectionnement de travaux techniques, tout comme le théâtre vénitien du 18esiècle qui est une source d’inspiration assez importante pour lui.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Le passage à Lo-jin de Shu-Ching Shih, Ming-Lun Wu,Yu-Dien Chen
Festival d’Avignon le Off
Taïwan in Avignon 2019
Théâtre de la condition des soies
13, rue de la Croix
84000- Avignon
Jusqu’au 28 juillet 2019 à 13h05 (relâches 10, 17 & 24 juillet 2019)
Durée 1h

Mise en scène de Yu-DienCHEN
AvecMei-Hui WEI, Yan-Xi CHEN, Jia-Huew LIAO, Fu-Hsuan CHAN et les musiciennes Chia-WenCHEN, Yu-NingLIAO et Hsiao-YingCHEN
Œuvre originale deShu-ChingSHIH
Adaptation de Ming-LunWU

Crédit photos © © Chin JungChun

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