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Le Père ou le cri assourdissant des exclus de la société

A la MC93, dans le cadre du Festival d'automne à Paris, Julien Gosselin reprend Le Père adapté d'un texte de Stéphane Chaillou.

C’est un hurlement dans le noir, une voix lointaine, celle de ceux qu’on se refuse de voir, d’entendre, car ils ont eu le mauvais goût de faillir et de tomber dans la précarité. S’emparant de ce texte âpre et rugueux de Stéphane Chaillou, Julien Gosselin donne avec force et effets, trop peut-être, la parole aux dépossédés qui vivent en marge de la société normée. Les mots durs, violents, martèlent nos consciences sans pour autant les atteindre tout à fait.

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C’est dans le noir le plus complet que tout commence. On n’y voit goutte. Seule la voix « microtée », si reconnaissable de Laurent Sauvage, résonne dans cette obscurité envoûtante, étrange. Les mots semblent douloureux à sortir. Ils content l’histoire de cet homme, de ce père, qui n’a pas pu sauver l’exploitation agricole familiale de la banqueroute, faute de productivité. Tout est perdu. Les huissiers sont là tels des vautours. Il faut quitter le cocon, le nid douillet où avec sa femme et ses enfants, ils pensaient construire leur vie. Trop tard, l’opprobre est là. Le jugement des autres, des bien-pensants les condamne sans appel. Leurs existences, leurs erreurs sont étalées sur la place publique sans aucun ménagement, sans aucune compassion. La colère monte, sourde, virulente, incandescente. La parole de ce paysan déchu se fait plus fluide, plus lourde, plus dure.

C’est maintenant une diatribe d’une violence inouïe contre le monde, contre une société verrouillée ou seuls ceux qui travaillent ceux qui n’ont pas failli ont droit de cité. Le sentiment d’abandon, la peur de ne pas avoir su protéger ses enfants de cette descente aux enfers, de cette mise au ban du monde, de cette humiliation qui colle à la peau, de cette dépersonnalisation de l’être, prend le pas sur tout le reste, guide ses émotions à fleur de peau, ses réflexions tant sur ses errances, ses fautes que sur les comportements inhumains de ses concitoyens.

Habitué des adaptions de textes forts, que ce soient Les Particules élémentaires de Houellebecq, 2666 de Bolano ou plus récemment au festival d’Avignon de trois romans de DeLillo, Julien Gosselin fait rarement dans le format court. Il privilégie le plus souvent les spectacles fleuves. En 2015, quand il a monté Le Père, d’après l’œuvre de Stéphane Chaillou, il a préféré resserrer le propos sur l’essentiel : la chute de cet homme simple. S’appropriant les phrases courtes, les formules sèches, le vocabulaire sans fioriture du dramaturge, il leur donne, grâce au magnétisme de Laurent Sauvage, une puissance poétique, lyrique. Soulignant l’ensemble de jeux de lumière, passant de la pénombre à une clarté aveuglante, ainsi que modulant les sons et les musiques pulsatives du murmure à l’assourdissement, le jeune metteur en scène signe un show percutant qui perd malheureusement de sa force dans une abondance vertigineuse d’effets. C’est d’autant plus dommage que le spectacle offre de belles fulgurances : les mots silencieux des enfants inscrits en lettres lumineuses sur le mur noir, la scénographie oppressante, terriblement austère qui semble rejeter la possibilité de toute existence, le monologue final porté sans artifice par un Laurent Sauvage droit, fier refusant de plier face à la dureté de la vie, de l’exclusion.

Explorant la richesse du théâtre et des technologies qui viennent renforcer la force des mots, Julien Gosselin expérimente sans cesse pour servir au mieux le texte. Pour lui, rien n’est superflu, tout est utile quitte à perdre le spectateur, à le noyer dans une surabondance d’artifices sonores et visuels. Les qualités de son travail sont parfois aussi ses défauts. Et c’est un peu ce qui ressort de ce Père. À trop vouloir entourer d’effets le manifeste des exclus de Stéphane Chaillou, une distance se crée qui nous empêche d’être touché et ce malgré le jeu intense de Laurent Sauvage.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Le Père d’après L’Homme incertain de Stéphane Chaillou
Festival d’automne à Paris
MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Jusqu’au 20 septembre 2018
Du mardi au dimanche, horaires variables à consulter sur le site du théâtre
Durée 1h

Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin assisté d’Olivier Martinaud
Avec Laurent Sauvage
Scénographie Julien Gosselin et Nicolas Joubert
Création des lumières : Nicolas Joubert
Création musicale de Guillaume Bachelé
Création sonore de Julien Feryn
Arrangements de Joan Cambon

Crédit photos © Simon Gosselin

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