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Jekyll & Hyde, un « Schizo » show

Jekyll devient Hyde à la Comédie Bastille.

Regard bleu azur, sourire enjôleur, allure de dandy, Pierre Azéma prête son imposante stature au très sage et un peu fou docteur Jekyll. Timide, exalté, tourmenté, il compose un personnage tout en retenue avide de comprendre le comportement humain, sa dualité entre le bien et le mal, une véritable obsession qui va le pousser à révéler son côté le plus obscur, son double lubrique, sulfureux et violent : Mr Hyde. L’artiste prend un malin plaisir à incarner cet être maléfique, hors de contrôle. Seul en scène, il évolue dans un décor au fort accent gothique, explorant avec délectation les différentes facettes de ce personnage mythique, sombre et captivant. Charismatique, troublant, il séduit et nous emporte dans les tourments de la schizophrénie. On peut toutefois regretter le manque de « lâcher-prise », de désinhibition qu’on aurait tant aimé voir poindre derrière cette interprétation de belle facture mais un peu trop lisse.

Le rideau s’ouvre sur un endroit sombre, presque sordide, une sorte de laboratoire expérimental où s’empilent les cages vides, rouillées, les fioles aux contenus douteux et colorés. Au centre, un pupitre recouvert d’un tissu rouge flamboyant. Le noir se fait. Une musique d’outre-tombe égrène ses notes stridentes. Des éclairs zèbrent la scène. Une silhouette massive, imposante, apparaît. Haut de forme, cape, veston gris, montre à gousset, l’homme porte la tenue du parfait gentleman londonien de la fin du XIXe siècle. De sa voix de stentor, il rompt le silence. Il harangue ses collègues chercheurs, le public en l’occurrence, afin de les convaincre de l’utilité de ses travaux : parvenir, grâce à une potion, à séparer le bien du mal chez l’être humain. Devant la foule perplexe, incrédule, voire hostile, il s’arme de courage. Persuadé de l’importance de l’expérience qu’il aimerait réaliser sur l’homme, il cherche reconnaissances et soutiens. Rien n’y fait. Le refus est catégorique, laissant hébété l’étrange scientifique qui n’est autre que le trop vertueux et très timide docteur Jekyll.

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Sonné par le désaveu de ses pairs, il s’enferme dans son laboratoire. Face à la solitude qui le ronge, il s’adresse à son unique compagnon, un vieux rat à la fourrure toute élimée. Après mûre réflexion, le trop sage chercheur, faute de cobaye humain, décide de tester sur lui-même son étonnante et miraculeuse potion, capable de dissocier le bien du mal. Pris de terribles contractions, traversé de douleurs intenses, le bon docteur se métamorphose, sous nos yeux ébahis, en un double charmeur terriblement charismatique. Le sourire ravageur, le regard intense, sûr de lui, l’homme est tout autre. Libéré des carcans sociétaux, il n’aspire qu’à découvrir le monde, errer dans les bas-fonds de Londres, et laisser ses violentes et libidineuses pulsions diriger ses actes.

Fasciné, grisé tout autant qu’effrayé par l’être maléfique qui se cache en lui et qui ose tout, le docteur Jekyll est emporté dans le sombre et délétère tourbillon où l’entraîne son double qui le mènera inexorablement à la folie, à sa perte.

En s’imprégnant des mots de Stevenson, Pierre Azéma explore les différentes facettes de son personnage. Avec une facilité déconcertante, il passe de Jekyll à Hyde et inversement. Séducteur, enjôleur, le regard scrutateur, il dessine par touche les errances de l’âme, sa dualité permanente entre le bien et le mal, la multiplicité des personnalités présentes en un même corps. Timide, presque introverti, courtois et vertueux, il devient, en un éclair, brutal, bestial, sardonique, agressif. En transe, habité par le démon, il tourne, danse, virevolte frénétiquement. Le gentleman respectueux, doux, se transforme en une bête avide de sang et de sexe. La magie opère.

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Séduit par cette interprétation « au cordeau » et cette énergique mise en scène, une impression toutefois persiste : la difficulté pour le talentueux Pierre Azéma de lâcher prise, de se laisser totalement envahir par la lubrique et vicieuse personnalité de Hyde. Régulièrement, il semble « bridé », ménageant un public qu’il devrait bousculer, pousser dans ses retranchements en lui montrant le véritable visage du démon. C’est d’autant plus regrettable que le comédien a le charisme et la carrure nécessaire pour imposer sa vision de cette âme noire, sans tomber dans la caricature.

Seul en scène, Pierre Azéma étonne, charme et bouleverse, faisant non seulement se côtoyer avec virtuosité les deux visages antagonistes du même être, mais aussi, l’évocation d’un Londres interlope, vibrant et sombre… fascinant !…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Jekyll & Hyde d’après le roman de Robert L. Stevenson
Théâtre de la Comédie Bastille
5, Rue Nicolas Appert
75011 Paris
Tous les mardis à 19h jusqu‘au 26 avril 2016
durée 1h05

Mise en scène de Pierre Azéma et Bénédicte Bailby
Adaptation de Pascal Salaun
Costumes de Nathalie Vignon
Lumières de Sébastien Lanoué
avec Pierre Azéma

Crédit photos © CrisNoé

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