Un dimanche soir, comme tant d’autres, Simone et Erik se retrouvent dans leur salon. Les enfants sont couchés, le calme règne. En surface, tout semble paisible. Lui travaille dans l’édition, elle dans l’automobile. Leur vie, bien installée, donne l’illusion d’un équilibre confortable. Mais ce soir-là, Simone revient d’un déplacement professionnel avec un cadeau. Un geste somme toute banal, s’il n’était pas révélateur des dissonances sous-jacentes, souvent évoquées, mais toujours étouffées. Ce paquet doré va réveiller les rancœurs accumulées, que l’amour en berne ne suffit plus à apaiser.
Les phrases, d’abord anodines, deviennent de plus en plus sibyllines. Les remarques, doucement acides, s’infiltrent comme un poison dans l’harmonie fragile du couple qui vacille. Ce qui ressemblait à une discussion ordinaire se transforme en affrontement feutré. Les mots frappent et laissent des entailles profondes. Derrière l’ironie, les vérités blessent. Erik reproche à Simone ses absences. Elle lui rappelle que c’est son métier qui fait vivre la famille. Et qu’elle en est toujours à devoir se justifier.
Inversion des rôles, renversement des repères
Comme pour balayer la dispute et le manque d’amour criant, il suffit de la formule « peu importe », qui clôt la conversation, pour qu’en redémarre une autre. Avec un malin plaisir, Marius von Mayenburg inverse les rôles et brouille les repères.
Les prénoms restent les mêmes, mais chacun se glisse dans la peau de l’autre. Erik reprend sa place de mâle : c’est lui le chef de famille, tandis que Simone s’occupe du quotidien. Comme si, par amusement, l’auteur allemand remettait les choses « à leur place » – c’est-à-dire dans une vision machiste du couple. Ce renversement ne change pas le fond des échanges, mais en démultiplie la portée. Ce qui semblait absurde devient dérangeant. Le mécanisme conjugal se répète, inversé, mais inchangé, comme une boucle sans fin.
Le décor en dit long. Une montagne de cadeaux multicolores, jamais ouverts, entassés à jardin qui menace à tout moment de s’effondrer comme un château de cartes. La scénographie faussement joyeuse souligne l’ironie du propos. Sous les apparences colorées, c’est un champ de bataille – et bientôt de ruines – qui se dessine.
Un pas de deux tendu
Marilyne Fontaine et Assane Timbo, tous les deux excellents, livrent une partition millimétrée. Leur jeu complice épouse les moindres inflexions du texte, tantôt drôle, tantôt glaçant. Ils s’observent, s’affrontent, se répondent dans un ballet de mots où chaque silence est un gouffre, chaque réplique une entaille. Ils incarnent la fusion contrariée d’un couple à bout de souffle, avec une intensité rare.
Robin Ormond dirige ce duo avec une précision d’orfèvre. Pas de débordements, pas de pathos, mais une tension constante. La mise en scène épouse la rigueur du texte de Mayenburg, où la langue, acérée, devient un instrument de dissection. Ce que cette pièce révèle, au-delà du couple, c’est l’usure des pactes, le poison des non-dits et la mécanique impitoyable des injonctions sociales.
Au bout de cette boucle infernale, un téléphone sonne une dernière fois. Personne ne décroche. Et c’est peut-être là, dans ce refus de répondre, que surgit enfin une forme de résistance.
Peu importe de Marius von Mayenburg
La Scala-Provence – Festival Off Avignon
du 5 au 26 juillet 2025 – relâche les 7, 14, 21 juillet 2025
à 15h35
durée : 1h20
Mise en scène et traduction de Robin Ormond
Avec Marilyne Fontaine et Assane Timbo
Scénographie & lumières de Manon Vergotte
Costumes de Louise Digard
Création sonore d’Arthur Frick
Dramaturgie de Laurent Muhleisen