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Décoloniser le dancefloor : Le pas de côté salutaire de Habibitch

Dans une conférence gesticulée, l'artiste met à jour les rapports de pouvoir qui opèrent vis-à-vis des contre-cultures. Un solo documenté qui interroge les dynamiques de l'appropriation culturelle.
21 juillet 2025

Entre présentation et représentation, c’est un solo singulier qui s’écrit à la Manufacture. À rebours du discours universaliste qui gommerait les différences de genre, de classe et de race sociale, Habibitch montre au contraire combien les identités sont intrinsèquement liées à la création artistique (et à ses éventuels dévoiements). Twerk, voguing, krump, les contre-cultures passent de la marge au centre.

© Nastasia Darmon

Micro en main, diaporama aux couleurs de l’Algérie, Décoloniser le dancefloor prend des airs de stand-up. Les théories de sciences sociales se voient ponctuées de traits d’esprit d’une irrévérence rafraîchissante. Habibitch teste son public, son engagement, sa sensibilité, sa conscientisation.

Plus encore que sa souplesse, Habibitch montre qu’elle a une colonne vertébrale. La recherche de justice pour boussole, l’artiste qui s’appuie sur une solide formation en sociologie évoque aussi bien les dérives néolibérales du développement personnel que l’indifférence généralisée vis-à-vis du génocide en Palestine.

À corps ouvert

Au micro de France Inter, le militant Féris Barkat expliquait combien le mot « engagé » lui posait problème, comme si la position de référence était l’apathie. En vérité, le solo de Habibitch montre bien que personne n’est uniquement spectateur de la politique. Nos actions, nos inactions, nos achats, nos corps et nos désirs nous trahissent. Et c’est tout ce travail de politisation qui sert de préambule au spectacle de l’artiste. Il est aussi bien question de matérialisme politique, un ensemble de théories qu’on doit notamment à Karl Marx, que d’intersectionnalité, un mot de Kimberlé Crenshaw pour désigner l’entrecroisement de différentes expériences sociales (le genre, la classe, la race sociale) et leur interaction.

Sans ce préambule, nul doute que parler de la scène ballroom relèverait de l’artifice. Tout comme la culture hip-hop est façonnée par la violence économique, symbolique et physique à l’égard des personnes racisées et précaires aux Etats-Unis, le voguing, ce sont des corps qui racontent une histoire. Sans percevoir ce vécu minorisé, on ne peut comprendre la flamboyance des danseuses transgenres latinas et noires des « balls » de New York dans les années 1980. Aucune œuvre artistique n’échappe à son environnement. Aucune danse ne peut être arrachée à son contexte de création sans être dévoyée.

Une politique du geste
© Camille Lenain

Tout comme une distinction sociale s’opère dans les choix de programmations et dans la réception que nous faisons des spectacles, il existe une politique du geste, des imaginaires, des langages. En somme, tout est situé socialement, du mouvement à ceux qui le regardent.

Avec pédagogie, Habibitch initie une véritable réflexion sur l’accaparement des cultures minorisées par les groupes dominants. Dans Rinse de Mish Grigor et Amrita Hepi, il était question du Corroboree, une danse arrachée aux populations autochtones par une chorégraphe américaine, blanche, avant d’être reprise par l’Australian Ballet. Il en va de même pour Vogue, titre phare de Madonna qui ampute ces mouvements de leur dimension antiraciste.

De l’influence des arts martiaux, des magazines de mode découverts dans les prisons aux hiéroglyphes, Décoloniser le dancefloor entend replacer au centre la complexité du voguing et de ses influences. On voit alors combien l’institutionnalisation des cultures hip-hop et celle de la scène ballroom sont observées avec méfiance. Les groupes sociaux auxquels on doit ces pratiques ne tirent pas crédit de ces récupérations capitalistes.

Plutôt que d’offrir un simple divertissement, Habibitch chorégraphie le regard de son public. Décoloniser le dancefloor n’est pas peut-être pas à proprement parler de la danse, mais c’est un mouvement. Devant les violences manifestes qu’énumère l’artiste, il semble difficile ne pas lui emboîter le pas.


Décoloniser le dancefloor de et avec Habibitch
Château de St Chamand – La ManufactureFestival Off Avignon
Du 14 au 22 juillet (relâche le 17)
Durée 2h20 navette comprise.

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